L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL
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Charte de 1306

 

Les chartes des communes, furent rédigées pour confirmer les acquis obtenus par les habitants des villes et des villages à la suite de leurs luttes plus ou moins violentes contre les comtes, abbés ou seigneurs. Elles soulignent la pression démographique croissante du monde rural qui souhaitait avant tout disposer d’une portion de marais pour la pêche et les joncs, d’un bois pour la coupe ou la chasse et d’une friche pour le bétail. Elles induisent aussi un rudiment d'organisation municipale où maire et échevins se retrouvent parmi les marguilliers de la paroisse, les plus gros laboureurs ou le maréchal-ferrant.

En 1194 à Labroye (Pas-de-Calais), Pierre d'Amiens, aussi seigneur de L'Etoile, accorda aux habitants une commune, sur le type de celle d'Abbeville, avec obligation de clore et de fortifier le bourg avec du bois pris dans la forêt. Renaud d'Amiens concéda à ses hommes de Flixecourt une commune en 1209, sur la modèle de celle d'Amiens. Les habitants de Fontaine-sur-Somme eurent leur charte de commune en 1282, par lettre d'Edouard 1er, roi d'Angleterre et comte de Ponthieu. A Long la commune, détruite et désorganisée pendant les guerres avec les Anglais, fut rétablie par Robert de Crésecques en 1379 [G. Bacquet, Le Ponthieu, p. 75-82, 354, 373. – A. Bouthors, t. 1, p. 62. – R. Fossier, Chartes..., acte 65, p. 277. – Thierry, t. 4, p. 775. – E supplément, p. 331, etc.]

Et pour L’Etoile, rien ?

Effectivement, à ce jour, aucune charte de commune de L'Etoile n’est archivée dans un dépôt reconnu, et l’on n’en trouve aucune mention dans les publications passées. Il y eu pourtant bien une charte de commune à L'Etoile ! On en a des traces, et même des extraits, mieux, l’original n’est peut-être même pas détruit ! Cette charte fut accordée en 1306 et l’original, bien que falsifié pour les besoins d’un procès, existait encore peu après la révolution !

La charte de commune de L'Etoile de 1306

Deux documents, imprimés peu après la révolution, l’un conservé dans les série diocésaine des Archives départementales d'Amiens, l’autre faisant partie d’une collection privée d’un habitant de Condé-Folie, donnent une idée assez précise de ce document fondamental.

La première pièce en date est le Précis pour le duc de Chaulnes, document imprimé en 1765 au cours d’un procès par lequel le Duc essaya vainement de s’accaparer le Fief des Marais de L’Etoile aux dépends des habitants de ce lieu. Dans cet imprimé, plus de quatre siècles après sa rédaction, figure pourtant la première mention et un extrait en français de la charte de L'Etoile ! [ADS, DA 785, Précis... p. 5 et suiv. ; sera noté Précis.]

La seconde pièce est aussi un document imprimé relatif à un procès concernant ce même fief des Marais de L'Etoile, mais cette fois par les habitants de ce village se défendant contre les prétentions de ceux de Condé-Folie. Cette pièce fut signifiée le 13 novembre 1793. Bien que plus tardif, cet imprimé est le plus complet à ce jour. Il cite plusieurs articles et mentionne des lieus dits. Document privé, il n’en a pas été trouvé d’autres exemplaires dans les deux principaux dépôts d’archives d'Amiens. Un second imprimé, de la même collection privée, contenant les réponses par les habitants de Condé-Folie à la pièce précédente, fait également allusion à cette charte mais sans apports réellement nouveaux. [Arch. privée ; sera noté AP].

Commençons par le second document et corrigeons les quelques confusions initiales. L’imprimé mentionne d’abord l’existence de plusieurs « chartes », antérieures à celle de 1306. Méfiance, il ne s’agit que de « lettres », et non de chartes de commune. On relève aussi une erreur de date concernant Jean d'Amiens, souvent reproduite, l’année 1228 qu’il faudrait lire 1248. Il est enfin cité une charte concédée par Dreux d'Amiens en 1274. Mais en fait il ne s’agit que de chartes particulières contenant de simples hommages rendus pour le fief des Marais de L'Etoile, au lieu de chartes générales ; d’ailleurs l’hommage de Jean d'Amiens en 1274, cite et reprend celui de son père en 1248 ! Par contre, comme on le verra plus loin, la charte de 1306 est bien une charte de commune, d’intérêt général, même si les exposants n’en retiennent, encore une fois, que ce qui les concernent dans leur procès, celui des marais. Néanmoins, on y apprend déjà que cette charte fut octroyée par Jean de Varennes (premier du nom, époux d'Agnès d'Amiens), qu'elle se composait de feuillets, qu’il est présumé que (peu avant 1765) le feuillet des pages 13/14 avait été coupé et que par ailleurs des lignes avaient été grattées ou réécrites !

« Vers 1228 [sic], Jean d'Amiens avoit concédé aux habitans de l’Etoile une Charte de Commune. Vers 1274, Dreux, ou Druon d'Amiens leur en avoit concédé une seconde [sic], et en 1306 Jean de Varenne leur en accorda une troisième, confirmative des deux précédentes. Cette dernière a été produite par le Vidame d'Amiens au procès dont il sera ci-après parlé. Elle contenoit très probablement la mention de la concession du Marais de l’Etoile, mais on en avoit coupé un feuillet qui comprenoit les pages treize & quatorze, & on y avoit gratté & surchargé quelques lignes. Ces altérations constatées par un procès-verbal chez le rapporteur, combinées avec les titres dont on va faire mention ont déterminé le Parlement à confirmer les habitans de l’Etoile dans la propriété, possession & jouissance des Marais en question. » [AP, p. 3, 4 (et référence à la page 11)]

Plus loin, le précieux document reprend les indications ci-dessus, mais avec davantage de précisions, à savoir que la charte était un parchemin in-quarto, de 8 feuillets (16 pages). Mieux, il mentionne des numéros d’articles, entre 21 et 32, avec quelques mots résumant chaque article en vieux français. Ces articles concernent les chartes précédentes (à prendre au sens restreint), le mort et vif herbage, les carrières et terrières pour bâtir, le pâturage (la vaine pâture), deux journaux concédés à la communauté des habitants dans les Craullières, un pré pour les chevaux en contrepartie d’une journée de corvée par cheval, et enfin les modalités de pâturage au lieu dit actuel des Ergonnes !

« C’est dans la production du Vidame au procès [Voir le Précis, vers 1765] que l’on vit paroître la Charte de commune de l'Etoile de l’an 1306. Il n’est pas difficile de deviner que cette charte lui avoit été remise par le sieur de Calonne [seigneur de L'Etoile]. Mais en quel état ! Grattée, maladroitement surchargée & avec deux pages de moins, par la suppression totale d’un des feuillets. L’état de cette pièce a été constatée par un procès-verbal contradictoire chez le Rapporteur, ainsi qu’on l’a déjà dit. Elle avoit huit feuillets en parchemin in-quarto, contenant seize pages, la seizième écrite en partie seulement. On avoit coupé un des feuillets, faisant la treizième et la quatorzième pages ; et comme la douzième page, dans ses dernières lignes, n’avoit aucune suite avec le commencement de la quinzième, on avoit gratté les trois dernières lignes que l’on avoit surchargées d’une autre main, d’une autre encre, d’une écriture plus grosse, & si maladroitement qu’il restoit encore beaucoup de traits de l’ancienne écriture et des queues de lettres. Au frontispice, on avoit aussi gratté trois lignes. Cette pièce pliée en deux, on lit sur la seizième page du seizième feuillet verso [à la dernière page, quand ce cahier est fermé] :

CHARTRES ET PRIVILEGES
     de la Ville de
     l'Etoile en 1306.

Ces trois lignes ne sont pas telles qu’elles étoient ; il y a eu plusieurs mots grattés, on y lit encore le mot l’Etoile répété, & on apperçoit plusieurs queues de lettres dont l’encre n’a pu être enlevée.

Les articles 26 & 28 parlent des précédentes chartres, scellées du scel Monsieur Druon d’Amiens notre devancier.
Et l’art. 27 fait mention d’autres lettres & chartres en ces termes : « Item, nous voulons, gréons & confirmons les lettres que ledite communauté a de Monsieur Jehan d'Amiens... ».
L’article 21 parle du mort& vif herbage.
L’article 25 bis, de la faculté d’user des carrières et terrières pour bâtir.
L’article 29, de la faculté de pâturer dans les prés de la seigneurie & des particuliers après la St. Remy, appellés les prés fauquelles
[fauquelés, fauchés].
L’article 30 concède environs deux journaux de cranlières
[Craulières].
L’article 31 donne un pré particulier pour la pâture des chevaux, moyennant une journée
[de corvée] de chacun cheval par an.
L’article 32 parle de la pâture en le ouche dargonne
[dans l’enclos des Argonnes, Ergonnes], sans faire dommage à autrui. Ouche, en vieux langage, signifie cloture. » [AP, p. 11 et12].

Cette charte, qui semble avoir été longtemps mise au secret, pourrait exister encore. On connaît toutefois quelques étapes de son cheminement.

« Le mémoire que les habitans de l'Etoile ont fait imprimer contre le duc de Chaulnes est produit par les habitans de Condé-Folie sous la lettre F. Ils y ont discuté avec beaucoup d’étendue la charte de 1306, page 21 et suivantes. Il résulte de cette discussion que cette chartre avoit été fournie au duc de Chaulnes par le seigneur de l'Etoile qui, apparemment, avoit trouvé le moyen d’en dépouiller ses habitans, en la possession desquels elle auroit du être. Ils y observent que « cette chartre étoit défigurée, altérée, lacérée, grattée, surchargée. » [AP, second document, p. 36-37].

Compléments

Le précis du Duc de Chaulnes n’attribue pas de numéro d’articles, mais il cite de vrais extraits, correspondant de toute évidence aux articles 29 et 31 (toutefois l’explication « c'est-à-dire fauchés » pour « fauqueles » n’est visiblement qu’un commentaire hors texte) :

« Item, les Gens de ladite Communauté de notre Ville de l'Etoile pourront mener cacher leurs bêtes en nos Prés fauqueles (c'est-à-dire fauchés) & ès Prés fauqueles des hommes de ladite Ville, [de]puis le jour Saint Remy jusqu'au jour de mi-Mars ; & ès Prés qui ne sont fauqueles, les bêtes de ladite Communauté ne pourront aller si ce n'est par notre volonté ; le pâturage des chevaux y est aussi permis à la charge d'une corvée ou l'ouvrage d'une journée par cheval ou jument d'âge à pouvoir ouvrer » [Précis, citant la charte, ponctuation corrigée].

Vient ensuite une autre référence à la charte (article 30), mais sans citation intégrale :

« ... c’est que dans la charte, le Seigneur de l'Etoile accorde aux échevins de la Communauté, deux journaux de craulière ou marais, dont ils pourront soyer ou faire soyer l'herbe à la fauchille & non à la faux, & y mettre leurs bêtes, ainsi qu'ès Prés fauchés ».

Conclusion

On regrettera évidemment de ne pas disposer du parchemin original, même amputé du feuillet manquant qui, effectivement, devait concerner le fief des marais de 200 journaux. Cependant, nous avons la certitude qu’une charte de commune fut octroyée au Stelliens en l’an 1306, l’on en connaît quelques articles et l’on apprécie d’y trouver les mentions de deux lieus dits très anciens, les Creuillières et les Ergonnes (Argones). On sait que le premier lieu dit se réfère à l’ancien lit de la Somme ; on a la confirmation qu'il provient d'un substantif. Le second, me semble-t-il, évoque cette appellation d’Arguvium, qui semble avoir précédé celle de Stella pour notre village... Signalons de plus que la curieuse transcription de l’article 32, « sans faire dommage à autrui » pourrait prendre un sens tout autre : « sans faire d’[h]ommage à autrui »...

Où retrouver cette charte ?

Si cette charte manque dans les dépôts d’archives, de même que le terrier de L’Etoile et les milliers d’actes notariés enregistrés par les officiers de L’Etoile, on peut toutefois penser que ces documents ne sont pas détruits ; ils existaient encore lors de la Révolution, et même en 1793 en ce qui concerne la charte..., et il n’y a nulle part aucune mention, ni même allusion, à la destruction de ces documents. La seule crainte serait que ces parchemins et papiers du patrimoine stellien, s’ils étaient possédés par lointain héritier du dernier seigneur de L'Etoile demeurant à Abbeville, aient disparus dans le terrible incendie qui ravagea la ville durant la seconde Guerre Mondiale. Mais les héritiers se seraient-ils encombrés des innombrables actes notariés, c’est peu probable. Alors, sont-ils dans le grenier d’une étude notariale ? Ou dans un coffre de vieux papiers détenu par un héritier des officiers de L’Etoile ? Ou dans la cave d’autres acquéreurs de biens du dernier seigneur ? Ces vénérables manuscrits sont peut-être chez nous ou près de nous ! Retrouvons-les avant qu'ils ne disparaissent dans un incendie ou une inondation !

 

 
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