L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL

Histoire du vieux cimetière de L'Etoile

L'ancien cimetière de L'Etoile s'était agrandi au rythme de la commune, en suivant avec un décalage compréhensible le développement de l'usine des Moulins-Bleus et l'accroissement de la population qui en avait résulté. Voyons l'histoire du plus vieux des deux cimetières de L'Etoile.

Le vieux cimetière, aux temps anciens

Le vieux cimetière de L'Etoile est ancien, du moins plus ancien que l'abside de église aujourd'hui en ruines puisque les fouilles effectuées après son ravage par un incendie ont révélé la présence de corps en travers des murs de cette église, édifice construit quasiment sans fondations. Si l'on sait que plusieurs seigneurs, des curés et d'autres personnes furent inhumés dans cette église, on peut néanmoins se demander si, parmi les nombreux corps mis à jour lors des fouilles, un grand nombre d'entre eux ne sont pas des corps d'un cimetière primitif, ossements qui se trouvaient donc déjà à cet endroit lorsque cette église fut construite après la Renaissance.

Les sept semaines de fouilles de l'église réalisées par l'AFAN en juillet-septembre 2000 ont permis de déceler six tombes perturbées par la fondation de l'abside. Le décompte des inhumations, rien que pour l'abside, est de 53 sépultures in situ (dont 12 enfants) auquel s'ajoute, d'après les ossements, au moins 30 adultes et 74 enfants. Pour l'église entière, plus de 200 individus ont été observés, dont 82 en place et 66 ayant été l'objet d'une fouille fine [Rapport AFAN, par Jean-Louis Bernard, pages 13, 25].

La première mention connue d’un cimetière à L'Etoile ne date que de 1656, on la trouve dans le contrat de mariage d'Antoine Daullé, marchand tavernier demeurant à Lestoille, avec Louise Cordier. Dans les apports de l'époux figurent une maison dont la localisation se réfère au cimetière : "Item, une masure amasée de maison, chambre, grange et estables, ainsy qu’elle se comporte et estend, tenant d’un costé à Claude Pappin, d’un bout au cimetière dudit Lestoille, et d’autre bout au frocq de rue" [3E 29748 (24 janvier 1656, MRicard)]. Un siècle plus tard, en 1755, une adjudication des biens de feu Pierre Beurier, vivant marchand brasseur à Amiens, mentionne ce même cimetière, non loin de la Grande Rue : "le total de laquelle susdite mazure, circonstances et dépendances, tient d’un côté audit Antoine Cacheleux comme acquéreur desdites deux mazures et des deux quartiers y réunis, d'autre côté aux héritiers de Margueritte Foucard, d'un bout par derrière au cimetierre et d'autre bout sur ladite Grande rue" [1 B 2075/1, art. 1]. Ces deux mentions semblent concerner une même masure qui se serait située à l'emplacement de l'actuelle Place des Déportés. La partie concernée du cimetière serait donc surplombante, aux abords du porche de l'église où se trouvaient effectivement quelques sépultures.

Vers la fin de l'année 1807, un devis très détaillé concernait, pour l'importante somme totale de 1 535 francs, la remise en état de l'ensemble des mursdu cimetière, en particulier 64 mètres sur le mur nord [SAP, Ms 133 (Pièce 2, aert. 5 à 8 )]. Les travaux furent certainement exécutés.

Les plans napoléoniens de 1833 (ci-contre) représentent un petit cimetière très ressemblant à celui des plans de 1783, d'une longueur de seulement le double, approximativement, de celle de l'église.

Avec l'accroissement de la population, fortement lié au développement de l'usine Saint-Frères des Moulins-Bleus, la municipalité va être amenée à agrandir à plusieurs reprises le cimetière. De 1876 à 1902 ce lieu de sépultures ne va cesser de s'allonger vers l'est, repoussant à chaque fois un peu plus loin l'accès au chemin de Beauquesne qui le longeait par le sud-est.

Premier agrandissement du cimetière (Dulin, 1876)

 

On dispose d'un plan couleur du cimetière agrandi, en date du 14 août 1881 (à l'échelle 3/1000). Mais il représente très certainement la délimitation dès l'agrandissement de 1876. Un dossier d'archivage incomplet nous informe en effet qu'en cette année 1876 la municipalité de L'Etoile, sous la conduite de Eugène Magnier, maire du village, avait demandé au Préfet l'autorisation d'agrandir le cimetière et qu'un avis favorable avait été donné. Plus précisément, on sait que lors du conseil municipal du 14 mai 1876, le maire exposait que le cimetière actuel deviendrait bientôt insuffisant et qu’il fallait profiter de l’occasion pour acheter le jardin Dulin-Josse, qui forme le prolongement naturel du cimetière actuel. Un vote d’une somme de 625 francs était destiné à couvrir les frais. Fin octobre, le Préfet autorisait l'achat du terrain. Les travaux furent exécutés. Il n'est donc pas surprenant que la légende du plan de 1881 mentionne : A, "Vieux cimetière" (16 a 20 ca) ; B, "Nouveau cimetière destiné aux concessions" (9 a 80 ca) ; C, l’église (3 a 10 ca) ; D, deux sépultures particulières presque carrées (d'environ 4 m x 4 m). Curieusement le plan mentionne aussi une population de la commune de 956 habitants (alors que le recensement daté du 4 janvier 1882 ne dénombre que 884 habitants !) Fallait-il convaincre le préfet de la nécessité de l'achat du jardin Dulin ?

Concessions (1881). La raison d'être de ce plan était autre, s'agissant de délimiter les zones de concessions qui allaient devenir payantes. Le plan montre en couleurs, au nord (en rose) la zone des concessions gratuites ou fosses communes, en jaune les concessions pour 15 ans, et au sud (en violet) les concessions perpétuelles et trentenaires.

La municipalité est très favorable à une taxe sur les concessions, d'autant plus qu'elle agit comme si elle manquait de ressources. Le compte-rendu du conseil en date du 8 août 1881 mentionne : « considérant que la commune, fautes de ressources, a dû ajourner diverses améliorations, notamment celles qui ont pour objet : 1° Clôture du nouveau cimetière ; 2° Travaux de réparations aux bâtiments communaux, notamment à la Mairie et au logement de l’Instituteur ; 3° Substitution d’un mobilier neuf au vieux mobilier des écoles qui est dans un état déplorable », a fixé les taxes pour chaque mètre carré à : Concessions perpétuelles, 20 francs ; trentenaires, 10 francs ; temporaires, 3 francs. Chaque concession aura au moins 2 mètres carrés, sans fraction. Le produit des taxes appartiendra pour deux tiers à la commune et le surplus au Bureau de Bienfaisance.

Bien vite, l'argent rentre dans les caisses ! Le conseil du 16 novembre 1881 déclare souhaiter effectuer les travaux qui viennent d’être autorisés par le préfet concernant le nouveau cimetière (terrassement et clôture de la concession perpétuelle). Les frais sont de 180 francs, mais 120 francs reviennent déjà  à la commune sur la concession accordée à monsieur Sylvanie Fricot. De fait, la plus ancienne concession payante connue est effectivement celle de Sylvanie Fricot, employé communal (9 novembre 1881).

Agrandissement du cimetière (Beaussart, 1888)

En 1888, une douzaine d'année après la première demande, intervient une seconde demande d'agrandissement du cimetière. Le 6 avril 1888, Adonis Fricot, maire de L'Etoile, expose que, suite à l’augmentation du nombre de maisons aux Moulins-Bleus, le cimetière deviendra insuffisant et qu’il souhaite l’achat d’un terrain qui longe le cimetière au nord (4 a 35 ca) au prix de 80 francs. La parcelle convoitée s'intègre parfaitement à la configuration passée du cimetière pour combler un vide reliant, au nord, une sépulture privée à un débordement de la parcelle de l'acquisition précédente. Après demandes diverses auprès du préfet et enquête légale auprès des habitants (25 juin), autorisation sera donnée pour l'achat de la parcelle au sieur Urbain Baussart. L'aire du cimetière passait ainsi à 32 ares 35 centiares.

Cette parcelle, très mal située – étant tout au nord du cimetière dans une partie pentue –, ne semble pas avoir reçu beaucoup de sépultures.

Agrandissement du cimetière (Fricot, 1899)

Onze années plus tard, dès le début de l'année 1899, une nouvelle demande d'agrandissement du cimetière vers l'est est adressée au Préfet (15 janvier). La réponse viendra vite (25 janvier) mais dans ce premier temps, ce sera une opposition, le Préfet craignant que la législation sur les distances légales d'éloignement avec l'enceinte des habitations et jardins (de 35 à 40 mètres) ne soit pas respectée. Mais quelques mois plus tard il avait certainement reçu toutes les assurances nécessaires puisque les procédures se poursuivent. Un procès verbal d’arpentage et d’estimation est rédigé, concernant une parcelle en forme de trapèze presque rectangulaire de 30 m (est-ouest) sur 35 m, estimée 360 francs, pour une surface de 10 a 90 ca (22 juin 1899). Un plan est joint mais il ne représente que la parcelle seule, sans son environnement. Le même jour un devis de clôture (piquets, fil de fer, 5 journées) est produit et en fixe le montant à 125 francs.

Le 15 juillet 1899 une promesse de vente est signée entre Fricot Marie, mécanicien à Amiens, Fricot Ernest, pareur, et Fricot Jules Charlemagne (époux Bordeux), cultivateur, demeurant tous deux à L'Etoile, d’une part, et Fricot Octave, cultivateur à L'Etoile, agissant en sa qualité d’adjoint au maire, pour un terrain à usage de culture, lieu-dit Le Camp de César (Section B, n° 725 et 726), d’une surface de 10 a 90 ca au prix principal de 360 francs. Le 12 août 1899, le conseil vote l’achat du terrain, rappelant qu'il est situé à plus de 50 mètres des habitations, sources et puits les plus rapprochés.C'est le 14 octobre 1899, après une inévitable enquête auprès des habitants (12 octobre), que le Préfet prononce son avis favorable. La contenance totale du cimetière est ainsi portée à 40 a 92 ca.

L'acquisition de cette parcelle semblait urgente car depuis le second semestre de 1895 il n'y avait plus eu d'attributions de nouvelles concessions. La rangée K (avant-dernière rangée vers le haut de l'agrandissement de 1876) était complète, et la rangée L, même vide, semblait réservée à d'urgentes nécessités éventuelles. Les concessions ne reprirent qu'en janvier 1901, très peu de temps avant le nouvel et dernier agrandissement, en 1902 (voir ci-dessous). La concession d'Ilda Warmel, veuve de Léopold Patry (en date du 12 août 1902, pour l'emplacement A 34, et non B 37 comme alors indiqué), est l'une des première, au bas de cette zone : "dans la bande des concessions à perpétuité du nouveau cimetière, tenant à l'ouest à la nouvelle entrée située au sud du nouveau cimetière et à l'allée ascendante, à l'est, d'un terrain actuellement libre, au nord à la grande allée et au sud à la clôture du cimetière".

Agrandissement du cimetière (Jourdain de L’Etoille, 1902)

Le 25 avril 1902 la municipalité de L'Etoile engage les procédures pour un quatrième et dernier agrandissement de ce cimetière. Une promesse de vente est signée entre Gaston Joseph Jourdain de L’Etoille (descendant du dernier seigneur du village), propriétaire à Argoules (Somme) et M. Léon Ducrotoy, directeur d’usine à L'Etoile agissant comme maire de la commune, pour un terrain actuellement à usage de culture, Section B, n° 722 à 724, d’une contenance de 18 a 91 ca, au prix de 441,17 francs. La promesse est signée à L'Etoile, mais il faudra encore quatre mois avant que toutes les procédures soient respectées. Un plan est dessiné : « Commune de L'Etoile. Projet d’agrandissement du cimetière communal. Plan détaillé des lieux et plan d’ensemble de la commune indiquant la distance qui sépare le cimetière de l’enceinte des habitations » (12 mai). On voit que le terrain prolongeait à l’est le cimetière et se terminait par un chemin réservé par le vendeur (en prolongement de la rue de la Montagne Simon, et en remplacement du sentier communal qui sera supprimé et intégré au cimetière). Un sondage de la parcelle est réalisé le même jour et obtient une avis favorable (sol crayonneux jusqu’à deux mètres de profondeur). Les mois suivants sont occupés à la recherche du financement, provenant de trois crédits encore disponibles (24 mai), à l'enquête auprès des habitants, pour ou contre le projet (néant dans les deux colonnes au bout des 15 jours, du 7 au 21 juillet), à l'obtention d'un devis pour les frais de clôture, 100 francs (24 juillet) et à un changement dans le financement de l'ensemble achat et clôture (certainement voulu par le préfet), désormais couvert par la vente de 100 pieds de caroline aux lieux-dits Les Chasses, le Marais et Terrière, estimés valant 700 francs (13 août 1902).

Le même jour, le conseil municipal décide d'ailleurs de modifier les prix des concessions : « dans l’intérêt de la Commune et des pauvres, il est proposé d’adopter un nouveau tarif qui puisse être accepté par la plupart des familles jouissant d’une certaine aisance... ». Le maire ne fait d'ailleurs qu'aligner les prix des concessions sur ceux de villages voisins comparables : par mètre carré, la concession perpétuelle passe à 30 francs (au lieu de 20) et la trentenaire à 15 francs (10) tandis que les concessions temporaires restent à 3 francs.

Dans la pratique les parcelles acquises en 1899 et 1902 furent rapidement réunies pour y tracer les rangées A à G.

Cette dernière acquisition portait la superficie du vieux cimetière à 59 a 83 ca et lui donnait sa configuration actuelle et définitive. Ci-dessous, on trouvera un report schématique des situations des divers agrandissements du cimetière.

Ne pouvant plus s'agrandir, ou ne respectant plus les normes en vigueur, un nouveau cimetière fut créé à proximité. Il est utilisé depuis 1952 (environ), l’un des premiers à y être inhumé fut René Hanquet, Mort pour la France (transcription du 09/01/52).

Codifications des emplacements

Il est utile de prendre connaissance des diverses appellations et de la codification utilisée pour la désignation des emplacements des concessions, faute de quoi il sera bien difficile de localiser facilement une tombe parmi plus de 400 emplacements ! Entre les deux allées verticales se situe la partie principale de la parcelle d'agrandissement achetée en 1876 et qui prendra dans les actes de concessions, relativement à cette date, l'appellation de CN (Cimetière Neuf) par opposition à VC (Vieux Cimetière, situé à gauche, autour de l'église).

Les deux agrandissements de 1899 et 1902 sont réunis à droite (à l'est) de la grande allée verticale. Dans les concessions, les 7 rangées y sont désignées par les lettres allant de A (en bas) à G (en haut), chacune comportant une bonne trentaine d'emplacements numérotés à partir de 1 à droite (et non à gauche). Ainsi A1 est la tombe la plus éloignée au sud-est.

En se rapprochant de l'église, entre les deux allées verticales, les rangées sont repérées suivant le même principe à partir de H (dans le prolongement de B et non de A qui est une rangée supplémentaire) jusqu'à K (en face de E), la rangée L étant restée vide. Ces rangées n'ont que 11 emplacements environ. La rangée H, qui se situe au-dessous (au sud) de l'allée horizontale, est la seule qui se prolonge à gauche de la petite allée verticale en gardant la même lettre (mais elle semble toutefois devenir N un peu plus loin). M serait en face de J. Autour de l'église, les désignations, confuses, sont O, P et X.

Cette codification a été mise en évidence par une étude globale des actes de concessions dont l'élément clé a été la concession Spicher, alors la seule dans la rangée du haut, ce qui a permis de donner une signification aux lettres et à l'ordre des numéros (de droite à gauche).

 

Sources : ADS, 99 O 1619 /2 /Cimetière. Photos du dossier et des plans par Claude Deroletz. Photomontage (Plan de 1902), report schématique des agrandissements et schéma de codification des rangées (sur fond de carte Roux-Tognella) par Ghislain Lancel.

Dernière mise à jour de cette page, le 7 novembre 2007.

 

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