L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL
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Le camp néolithique de L'Etoile

Le Néolithique s'étend de 6 000 ans avant J.-C. à 2 700 avant J.-C., avec une subdivision en trois périodes basées sur la céramique (néolithique ancien, comportant le Rubané ; néolithique moyen, de 4500 à 3500 avant JC, avec le Chasséen et le groupe de Cerny ; néolithique récent). Les populations que l'on peut qualifier de néolithiques avaient leur économie essentiellement fondée sur l'agriculture et l'élevage.

On pense assez souvent, du moins en Angleterre, que les grandes enceintes néolithiques, comme celle de L'Etoile, étaient utilisées pour rassembler les troupeaux avant d'en abattre les bêtes nécessaires à l'alimentation et de les conserver par salaison. Les entrées en entonnoirs auraient évidemment permis de canaliser plus facilement l'entrée des animaux et les palissades intérieures auraient séparé les diverses peuplades qui se regroupaient à l'occasion de grandes fêtes tribales et cérémonies rituelles liées à ces abattages. Mais d'autres hypothèses sont envisagées.

Bibliographie     Photographies (autres)

Le premier camp néolithique découvert en Picardie...

Cette photographie aérienne, prise lors de l'hiver 1971, dans des circonstances agraires et hygrométriques exceptionnellement favorables, est la première montrant la totalité du camp néolithique de L'Etoile. La trace d'une palissade interne, parallèle au fossé, est partiellement visible dans la partie gauche du cliché.
Photo R. Agache, Ministère de la Culture (mars 1971).

Localisation

Ce vaste camp néolithique, de 270 x 200 m, se trouve à L'Etoile sur les lieux-dits la Justice, le Puits et le Champ de Bataille, en contrebas du coteau dominant la Somme (entre les cotes 65 m et 75 m) entre L'Etoile et Long. Coordonnées Lambert : x = 576.96, y = 258.72, z = 72.

La découverte du site complet par Roger Agache, en 1971

Laissons Roger Agache commenter sa découverte : « Récemment, en mars 1971, un vaste ensemble néolithique, mais d'un type tout différent, a enfin été décelé à L'Etoile, après onze années de prospections. Or ce site avait été très régulièrement survolé et nous n'avions repéré jusqu'alors qu'une toute petite fraction des tracés, ce qui ne permettait pas une identification. Dans le cas présent, toutefois, malgré le caractère très partiel du cliché obtenu en 1964, certains de ces aspects avaient retenu notre attention : les lignes sombres qui marquaient la position du fossé comblé étaient très irrégulières, à la fois dans leur tracé et dans leur épaisseur fort variable ; cela incitait à y voir une structure inhabituelle et particulièrement ancienne.

En mars 1971, dans des circonstances agraires et hygrométriques exceptionnellement favorables (tous les champs, y compris le pâturage, étaient labourés et roulés, par beau temps, après une période fortement humide), la totalité est apparue (photo ci-dessus) et, du même coup, son étonnante similitude avec les vastes enclos à entrées multiples, caractéristiques du Néolithique, ces causewayed-camps dont nous nous étions étonnés, à juste titre, d'avoir si vainement cherché les traces dans la Somme.

Totalement arasé, ce "camp" domine la vallée de la Somme. Installé non sur la hauteur elle-même mais légèrement en contrebas sur un rebord de plateau exposé au midi, il est délimité par des fossés creusés irrégulièrement (avec des variations notables de profondeur et de largeur), doublés intérieurement par une levée de terre et par une palissade de bois dont le tracé est partiellement visible sur les clichés aériens. Avec sept ou huit grandes entrées, d'une dizaine de mètres de largeur, cet ensemble de 270 x 200 m est très grossièrement ovalaire. Ces interruptions multiples sont caractéristiques des camps néolithiques connus en Allemagne (civilisation de Milchelsberg) et en Angleterre (civilisation de Windmill Hill) où ils sont désignés sous l'appellation bien significative de causewayed-camps.

 [...]


Photo R. Agache
Minist. de la Culture

Des sondages de contrôle viennent d'être effectués à L'Etoile, près de l'entrée sud (photo ci-contre). Aucun trou de poteau, aucun dispositif de défense ou de fermeture de cet accès n'a été observé. Le fossé remonte progressivement en dessinant un arc de cercle [vers l'intérieur,] de part et d'autre de cette entrée. Les sondages ont confirmé que l'on se trouve bien en présence d'un camp analogue à ceux connus Outre-Manche. Les fossés à fond légèrement arrondi ont environ 3,50 m de largeur et un peu plus de 1 m de profondeur. Ils semblent avoir été rebouchés intentionnellement avec la craie provenant de la destruction de la levée de terre. Sur le fond des anciens fossés, dans un niveau cendreux, on note des traces d'occupation : nombreux silex grossièrement taillés de type campignien, avec quelques rares outils parfois complètement craquelés par le feu : tranchets, haches, grattoirs et plusieurs fragments abondants de meule en grès, le tout accompagné d'ossements brisés : bœufs, moutons... Les tessons très rares, mal conservés, semblent de type chasséen ; leur pâte grossière présente un dégraissant calcaire assez abondant. Il faut signaler, entre autres, un fragment de disque plat, en terre cuite rougeâtre, et un fragment d'anse funiculaire très saillante.

D'autres sondages, effectués près de l'entrée nord-ouest avec M. Bardagi, M. Bréart et Melle Defives, ont permis de vérifier la présence d'une rigole qui court parallèlement au fossé comblé. Cette rigole profonde de 45 cm, large de 40 à 60 cm – et cependant parfaitement visible sur certaines vues aériennes – servait très probablement de base à une palissade de bois ; Les grandes fosses bien visibles sur les clichés sont postérieures et semblent dater du début de l'époque romaine. Elles sont probablement en relation avec une petite villa qui réoccupe l'emplacement d'une grande ferme gauloise visible d'avion à quelques centaines de mètres plus au nord [...] Des recherches plus étendues sont indispensables à L'Etoile durant les prochaines années » [R. Agache, La Somme pré-romaine et romaine, pp. 83-88].

Les fouilles au sol par B. Bréart, 1981 et 1983


A gauche, les flèches indiquent la palissade intérieure (Ph. R. Agache) – A droite, levé B. Bréart

Ce camp ayant une superficie de près de cinq hectares, il n'a pas pu faire l'objet d'une fouille exhaustive. Un choix s'imposait. Des premiers sondages et fouilles avaient été effectués en 1972 et 1973 (R. Agache). De nouveaux clichés aérien, en particulier ceux pris lors de la grande sécheresse de l'été 1976, avaient permis la confirmation de l'existence d'une palissade d'enceinte et surtout la découverte d'une palissade intérieure curviligne séparant le camp en deux parties, avec un décrochement caractéristique. Les nouvelles recherches se sont portées sur deux des huit "entrées" (interruptions des fossés) du camp, secteurs présumés privilégiés.

Fouille de 1981 (entrée ouest). Le contour du camp est un fossé principal ayant à l'endroit de la fouille une interruption mesurant 18,50 m (la porte ou entrée faisant l'objet de l'étude). Cette porte s'ouvre en direction d'une vallée sèche [la Vallée Picard]. Le fossé, entaillé dans la craie, a une largeur de près de 4 mètres et une profondeur d'environ 1 mètre, avec des parois obliques lui donnant un profil en cuvette. Quelques silex taillés (grattoirs) et une céramique très peu représentée furent trouvés.

 
Trous de poteaux
(nord et sud de l'entrée)

Entre 2,10 m et 2,90 m vers l'intérieur, on trouve une seconde tranchée, bien plus petite, ayant en son fond une série de surcreusements trahissant l'emplacement d'anciens poteaux supports d'une palissade. Les analyses ont déterminé la nature du bois comme étant du chêne. Les deux bouts de la palissage se referment au niveau de l'entrée en une forme d'entonnoir ne laissant plus qu'un passage de 1,20 m ! La tranchée contient des résidus de blocaille, des poteaux calcinés (surtout à proximité de la porte), ainsi que des d'objets lithiques et céramiques rares.

A proximité on trouve deux fosses, dont vraisemblablement un silo à grains, qui confirment une forte occupation du site à l'Age du Fer (La Tène final).

Fouilles de 1983 (entrée sud-est et sondages). Les observations sont semblables aux précédentes, avec quelques différences : fossé de largeur 4,50 m, de profondeur jusqu'à 1,50 m et interruption de 9 m. Le fossé s'était comblé, d'abord naturellement  puis par un remplissage provenant exclusivement de l'intérieur. Le mobilier archéologique est composé de vestiges lithiques (plus abondants qu'en 1981), de toujours rares tessons de céramiques et faunistiques (bœufs, moutons, cochons et chevreuils).

La tranchée de palissade laisse un passage ne dépassant pas 1,40 m et présente les mêmes caractéristiques qu'à l'autre entrée. Une cuvette peu profonde termine aussi chaque tranchée. Par contre, aucun vestige archéologique n'a été rencontré. Une fosse subovalaire de 3 m a été observée avec un fond composé d'une épaisse couche d'argile cuite. Elle comporte du matériel lithique et céramique, dont un fragment de col identifié comme étant de la fin du chalcolithique.

Conclusion et datation

Les enceintes à fossé interrompu sont maintenant connues en grand nombre en Europe, sans toutefois atteindre la dizaine en Picardie. Le camp de L'Etoile est toujours le seul site actuellement connu dans la vallée de la Somme. Les enceintes sont très différentes les unes des autres (aire pouvant atteindre 100 ha, nombre d'interruptions jusqu'à 25, exposition, etc.) Les fouilles très partielles du camp de L'Etoile ne permettent pas de choisir entre diverses hypothèses de fonction de ce camp (enclos pastoral et/ou lieu rituel, etc.) Il semble de plus que ce site ait été occupé à plusieurs reprises avec peut-être des préoccupations différentes. Les entrées en entonnoir auraient été conçues pour canaliser l'accès (de populations ?, de troupeaux ?) à l'intérieur de l'enclos, tout en permettant une obturation rapide et aisée au niveau de l'interruption de la palissade dont la largeur ne dépasse guère un mètre d'ouverture. Les petites cuvettes détectées au bout des tranchées de part et d'autre des entrées pourraient être interprétées comme des empreintes d'un dispositif de fermeture. La présence d'un talus réalisé avec les déblais des fossés est présumée mais son emplacement n'a pas été déterminé. Des traces de charbon de bois pourraient correspondre à une destruction volontaire des entrées par incendie...

La datation effectuée sur de gros charbons de la porte ouest donne une fourchette allant de 4430 à 3895 ans avant J.-C. tandis que celle de l'autre porte fait remonter plus anciennement le site, de 5255 à 4555 ans avant J.-C (*). Une occupation du site de L'Etoile au moins dès le début du Néolithique moyen peut être retenue, ainsi que l'implantation d'une culture post-rubanée (groupe de Cerny, etc.) Seules de nécessaires fouilles scientifiques complémentaires permettraient de préciser la néolithisation de la vallée de la Somme.

[Extraits de : B. Bréart, Revue archéologique de Picardie N°1-2 de 1984, pp. 293-310]

(*) Le professeur de géométrie que je suis s'est étonné, en observant le schéma minutieux de cette enceinte (voir ci-dessus, B. Bréart), et en particulier la palissade curviligne intérieure et les deux curieux décrochements de l'enceinte au niveau de cette palissade, que l'on dénomme la forme globale de l'enceinte par ovale et non de pseudo ovale, d'ovale étranglé ou même de cercle et arc accolés. Il semble évident que les deux arcs séparés par les étranglements ne sont pas de réalisation contemporaine : on construit d'abord un rond – et non un ovale dans lequel on fait ensuite un rond – puis on l'agrandit avec un arc appuyé sur le premier cercle. Je prévoyais ainsi une datation différente pour le cercle principal et pour l'arc ouest, ce qui a été confirmé avec priorité d'ancienneté au cercle : ainsi ces hommes du néolithique ancien auraient d'abord délimité une enceinte ronde primitive entourée seulement d'une palissade, et 750 ans plus tard, des néolithiques plus nombreux, et/ou plus expérimentés, auraient réalisé un agrandissement en arc de cercle avec cette fois un fossé entourant le tout : hypothèse innovante, ou à oublier car contredite par une observation plus fine ? (G. L.)

Des camps néolithiques réaménagés en plusieurs périodes sont maintenant connus. Monsieur Jean-Claude Blanchet, Inspecteur Général de l'archéologie, Conservateur Général du patrimoine, a par exemple fouillé celui de Catenoy (Oise) où il a dénombré six périodes d'occupation, dont quatre phases au néolithique. Pour le camp de L'Etoile, il confirme : " Effectivement, la fortification peut avoir été exécutée en deux phases au moins. Il est tout à fait courant de distinguer pour ces périodes plusieurs occupations dans des temps pouvant s'échelonner sur de nombreux siècles, voire plusiers millénaires [...] Le camp de l'Etoile n'a pas une forme isolée dans le monde du Néolithique moyen d'Europe de l'Ouest. Toutefois, je pense comme vous que le partage du camp en deux parties, par la palissade intérieure, peut indiquer l'existance d'une première fortification palissadée, suivie de la construction d'un fossé, puis d'une extension du camp vers l'ouest. Le problème est de savoir le temps mis pour ces édifications et par quelles civilisations. On peut penser que la première phase de construction est l'oeuvre de cultures post-roësséniennes (tesson décoré). La deuxième phase doit être assez proche chronologiquement (Michelsberg ou Chasséen peut-être) [...] " (23/06/06)

 



Plan de situation (B. Bréart)

Remerciements à R. Agache, B. Bréart et J.-C. Blanchet.

Dernière mise à jour de cette page, le 26 juin 2006.

 
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