L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL |
On sait peu de choses sur les anciennes orgues de l'église de L'Etoile. Du premier, on ne sait presque rien. Le second, racheté par un marché amiable à Flixecourt en 1869, était attribué aux Basiliens de Valloires (1ère moitié du XIXe siècle) et fut à ce titre proposé au classement, malheureusement l'année de sa destruction lors de l'embrasement de l'église (1991).
On ne dispose que de peu de renseignements concernant le premier orgue de L'Etoile (celui précédant le nouveau de 1869). Il exista pourtant puisque le 19 décembre 1863, le préfet autorisait le maire de L'Etoile à faire effectuer les réparations à l’église (428,96 francs) et les travaux à l’orgue (200 francs). Le mois précédent, le 16 novembre 1863, le Conseil municipal avait logiquement soumis à l’assemblée « le mémoire de M. Vuls, facteur d’orgues à Amiens, montant à 200 francs, pour avoir démonté, remonté et accordé l’orgue », avec mention que cette dépense était indispensable [99 O 1618/Chemise 4]. Les comptes du Conseil de Fabrique, connus à partir de 1855, ne mentionneront les 15 francs pour l'entretien de l'orgue, que chaque année à partir de 1865. On peut donc penser que cet orgue avait été acheté d'occasion en 1863, ce qui justifiait les démontage et remontage de cette année 1863 [ ADS, V 436017].
La première description du dernier orgue de L'Etoile, succincte mais comportant la meilleure photographie connue, ne date que de 1987. Elle figure dans l'inventaire des orgues de la Picardie. En voici la photographie (où l'on peut observer qu'il manque déjà un tuyau au centre et probablement un autre aussi à droite) et le rapport intégral.
« L'Etoile. Eglise Saint-Jacques le majeur. Grand orgue, façade ouest, sur tribune.
HISTORIQUE. Aucune indication n'a pu être recueillie sur cet orgue.
BUFFET. C'est un meuble simple, décoré de 34 tuyaux en façade, dont deux sont déposés, répartis comme suit : deux plates-faces de 12 tuyaux au centre et deux plates-faces de chacune 5 tuyaux sur les côtés.
INSTRUMENT. Etat actuel. Injouable. Composition. Un clavier, 51 notes, Ut1 à Ré5. A gauche, Doublette, Faux Bourdon, Nazard, Cromorne, Basson ; à droite, Prestant, Bourdon, Flûte, Trompette, Haubois. Tout en haut à droite : Cornet. Console. En fenêtre. Les registres sont répartis de chaque côté du clavier. Traction des claviers. Mécanique. Traction des jeux. Mécanique. Tuyauterie. Les tuyaux sont en métal ou en étain. Toutefois, l'état de l'instrument ne permet pas un examen plus approfondi. Certains tuyaux sont déposés, écrasés, d'autres sont épars ici et là. Alimentation du vent. Par soufflet à main, hors d'usage. »
Source : Orgues de Picardie, Ministère de la Culture, 1987 [BMA, Pic 3797, pages 169/170]. L'orgue de L'Etoile, détruit en 1991, ne figurait évidemment plus dans l'inventaire de 1993 [Pic 4997].
Ci-dessous, ou pourra trouver la copie de la description des orgues de L'Etoile et la reproduction des photographies publiées par M. Marcel Degrutère dans la revue EKLITRA, ainsi que ses notes complémentaires, intégrées au texte. Il a été vérifié que l'historique provient essentiellement des Archives Départementales de la Somme [cote actuelle : 99 O 1618/Chemise 4/Mobilier et Eglise], avec confusion signalée sur les dates (voir ci-dessus, Le premier orgue).
« La notice succincte - heureusement accompagnée d'une photographie - publiée par l'inventaire des orgues de la région [ASSECARM, 1987, p. 169-170 (voir ci-dessus)] contient quelques détails significatifs, révélateurs pour le regard averti de l'intérêt de ce modeste instrument : originalité du buffet, tirants de registres carrés, étiquettes de jeux sur papier, étendue du clavier, 51 notes d'ut1 à ré5. La composition (avec en particulier le cornet) et la soufflerie (toujours manuelle) laissaient raisonnablement supposer que l'orgue n'avait subi aucune transformation mutilante.
Une première visite rapide - à cause du froid - en février 1991, confirma l'intérêt exceptionnel de cet orgue que nous comptions analyser en détails aux beaux jours. Hélas, les beaux jours se firent attendre... et l'instrument disparut dans l'incendie de l'église au cours de la nuit du 17 au 18 juillet de la même année.
Malgré ce désastre, il nous paraît nécessaire d'envisager une reconstruction digne de la perte subie.
Description. Le buffet, modeste, en pin, se présente comme une simple armoire avec deux jouées en forme de console renversée destinées à cacher les tuyaux postés à l'extérieur. Il mesure 212 cm de large, 320 cm de haut et 133 cm de profondeur. En façade, deux tourelles plates de cinq tuyaux encadrent une grande plate-forme de 24 tuyaux (2 X 12) ; elle est surmontée, en guise de claire-voie, d'un faisceau (soleil ?) de 12 rayons ; au centre, en haut, un croissant de lune. Le tout était couronné d'une lyre (invisible sur les photos ; elle gisait déjà sur le plafond de l'orgue). Quel symbolisme faut-il voir dans ces astres, dans ce nombre 12, sur l'instrument d'une église dédiée à Saint-Jacques, dans un village appelé L'Etoile ?
La console, en fenêtre, possède un clavier de 51 notes, d'ut1 à Ré5, mais le 1er ut est muet ; il n'y a pas de pédalier. De chaque côté du clavier, sont disposés les tirants de jeux, de section carrée ; celui du cornet, dont la mécanique avait été changée, le rendant totalement inaccessible, se trouvait en haut du soubassement, à droite.
Le sommier, fait rare, était entièrement chromatique, engendrant un abrégé un peu particulier.
La tuyauterie, aperçue rapidement et non analysée en détail, présentait les caractéristiques suivantes : jeux ouverts coupés au ton ; bourdons à calottes soudées. De plus, on notait la présence exceptionnelle d'un Bourdon en plomb dès le 8 pieds, comparable à celui de l'orgue de Notre-dame de Marissel à Beauvais. D'après les indications relevées à la console, la composition s'établissait ainsi : [A gauche] Doublette, Faux Bourdon, Nazard, Cromorne, Basson ; [à droite] Prestant, Bourdon, Flûte, Trompette, Haubois [en haut à droite] Cornet.
D'après l'ensemble des éléments réunis, malgré les lacunes liées aux circonstances, on se trouve de toute évidence, en présence d'un instrument datant au moins de la fin du XVIIIème siècle, remanié dans des limites acceptables au XIXe siècle. La comparaison avec l'orgue de Marissel tendrait à en attribuer la paternité à Charles DALLERY.
Histoire. Toutefois, on ne sait rien de l'origine précise de cet instrument, ni de son histoire avant son arrivée à L'Etoile. Nous avons seulement relevé l'inscription suivante "Legrand Napoléon facteur d'orgues à Picquigny, avril 1828" [note : Inscription relevée derrière la façade, au-dessus du tampon de laye. Ce facteur est actuellement totalement inconnu. La date aurait pu se lire également 1878].
Dans ses notes sur les curés de L'Etoile [disparues], l'abbé Pont, ancien curé, écrit à propos de l'abbé Bourgeois (curé de L'Etoile de 1863 à 1873) qu'il est né à Arry le 9 février 1830, dans une famille chrétienne qui a déjà donné un prêtre, l'abbé Maquaire, mort en 1863, curé de Flixecourt ; il termine ainsi : "Est-ce en souvenir de son oncle que l'orgue de Flixecourt à été installé à L'Etoile ?" Les archives consultées appuient cette version en confirmant d'abord la date de 1863 [Note : ADS, série Oa, L'Etoile (sic)].
Un premier extrait des délibérations municipales, en date du 20 mai 1863 [lire 1869 (GL)], envisage : "L'acquisition d'un orgue excellent et bien connu, offert pour neuf cents francs... Il est prouvé par les connaisseurs que l'objet proposé vaut beaucoup plus..." [achat auquel s'ajoutaient les frais relatifs aux nouveaux travaux à la tribune, pour un montant de 300 francs, alors que cette tribune avait déjà été agrandie l'année précédente pour y placer les Sœurs d’école et leurs enfants (GL)]. Le second extrait, du 16 novembre [Cette fois il s'agit bien de l'année 1863, mais cette mention concerne le premier orgue (GL)], signale : "Le mémoire de Mr Vuls, facteur d'orgues à Amiens, montant à deux cents francs, pour avoir démonté, remonté et accordé l'orgue...".
Les comptes de la fabrique, jusqu'en 1906 [ADS, V436017], montrent que l'orgue est entretenu régulièrement jusqu'à cette date. En 1877-1878, une réparation plus importante se monte à 125 francs. L'année suivante, 25 francs sont consacrés à un "travail à l'orgue". En 1880, Deldine [Note : Facteur à Amiens] reçoit 200 francs pour une réparation de l'instrument.
La suite de l'histoire de l'orgue nous échappe totalement. Il semble qu'il ne subsiste aucune archive paroissiale pour le XXe siècle. On ignore à quelle époque l'usage de l'instrument fut abandonné ; probablement assez tôt puisqu'il n'a jamais été doté d'un ventilateur électrique.
Conclusion. On ne pourra jamais évaluer exactement le dommage subi par la perte de cet instrument trop mal connu au moment du sinistre. Mais la visite rapide que nous avons effectuée nous a convaincu de l'intérêt majeur que représentait cet orgue pour le patrimoine organistique picard terriblement mutilé par les derniers conflits mondiaux. »
Sources : EKLITRA, publication de Marcel Degrutère (Revue n° 27 - 1993, p. 46 à 50)
Le 15 mars 1991 s'était réunie la Commission Supérieure des Monuments Historique (Ve section, orgues et instruments anciens). La commission allait donner son avis sur le classement de l'orgue de L'Etoile, orgue attribué aux Basiliens de Valloires aux basiliens (1ère moitié du XIXe siècle)...
Philippe Lefebvre, rapporteur, "fait remarquer que cet orgue est typique d'une facture régionale rare : celle des Frères Basilien de Valloires dans la première moitié du XIXe siècle. En avril 1878, il est modifié par Legrand Napoléon, facteur d'orgues à Picquigny. C'est à ce facteur inconnu qu'il faut attribuer la transformation de la mécanique exigée par le changement de console, etc. Cependant, de nombreux éléments datent de la première période de cet orgue et sa reconstitution est réalisable. Il est favorable à l'inscription sur l'inventaire supplémentaire, car c'est un orgue de transition par son esthétique".
Pour Jean-Marie Meignien, technicien conseil, "l'état déplorable de l'édifice et l'aspect minable du buffet influence défavorablement notre jugement sur la partie instrumentale : clocher effondré, absence d'escalier de tribune, etc. Pourtant ce petit orgue présente un intérêt, en dehors de toute considération sur l'état de l'édifice. En l'inscrivant, nous suivons le cours de son histoire durant les travaux d'architecture. De plus, sa composition est originale et compte beaucoup de jeux d'anches et de flûtes, au détriment des jeux principaux. Il reste 551 tuyaux sur les 680."
Considérant ces informations, la commission après avoir voté avait émis un avis favorable au classement par 11 voix pour, et 3 contre.
On connaît la suite, l'incendie qui ravagea l'église, et l'orgue, le 17 juillet de la même année 1991...
L'orgue avait été en fonction au moins jusqu'en 1906 puisque les dépenses du registre des comptes de la Fabrique de l'église de L'Etoile, signalaient encore en cette dernière année du registre (couvrant les années 1855-1906) le paiement de l'organiste [ADS, V 436017]. Est-ce à cause de la guerre, de frais trop élevés pour son entretien ou par manque d'organiste qualifié qu'un jour il resta muet à tout jamais ? Ce qui est certain c'est qu'un harmonium, acheté pour 300 000 (anciens) francs en 1951, remplaça l'orgue et que tous deux furent détruits en 1991...
Avant que l'église ne brûle, derrière l'orgue, Jacky Hérouart avait remarqué qu'à même le plancher de la balustrade se trouvaient quelques tuyaux de cet orgue. Etaient-ils usagés, ou engendraient-ils des fausses notes ? Nul ne le sait. Toujours est-il qu'après l'incendie il a retrouvé un tuyau, peut-être l'un de ceux du plancher, à même les gravats, peu abîmé. C'est le seul et unique rescapé ! Il l'a conservé. Ce tuyau mesure 72cm de long pour un diamètre d'environ 33,5 mm en partie cylindrique et 1cm en partie inférieure.
La bouche (encoche) se trouve environ au tiers du tuyau. Elle se trouve entre le pied (partie conique) et le corps (partie cylindrique). La longueur du corps détermine la note. Ici le corps, mesuré depuis la soudure, mesure 42,5 cm. A l'arrière la languette mesure 4 cm . La section du corps cylindrique permet de définir le jeu auquel peut appartenir ce tuyau.
Dominique Chailley s'est passionné pour cet unique tuyau. Il nous livre ses commentaires. D'après les photos, ce tuyau semble en "étoffe" (étain 25% + plomb 75%) et l'entaille à l'arrière, sur 40 mm, est un témoin de ce que le ton a été monté, heureusement sans qu'on ait recoupé le tuyau. Il pourrait donc être de la fin XVIIIe ou début XIXe siècle, comme l'orgue de Marissel-lès-Beauvais (Oise), auquel le buffet ressemblait. Comme bien souvent, un nombre est ici gravé très légèrement à la pointe sèche en bas du corps, au-dessus de la bouche, à l'arrière : c'est le nombre 30. Ce n'est pas sans intérêt : ce serait donc la 30e note du Principal de 8 pieds à partir du Do grave, donc le FA de la 3e octave du Principal ou Montre de 8 pieds : 42,5 cm à l'origine, raccourci de 4 cm par l'entaille d'accord à l'arrière, donc 38,5 cm, soit 1 pied 1/2 environ, ce qui semble bien correspondre à un FA de 2 pieds dans un diapason début XIXe siècle, remonté d'environ un ton par la suite. Ce n'est pas cela qui vous rendra votre orgue, mais c'est mieux que rien ! D. C.
Pour information, signalons que Picquigny avait eu aussi son orgue au XVIIe siècle, et ses déboires, ainsi que le témoigne cette "Requeste à Madame la Duchesse de Chaulne, sur l'air de Joconde" en faveur du sieur Destourbes, certainement un facteur d'orgues local reconnu pour ses compétences :
Extrait de "Recueil de chansons choisies" de 1698 (sans nom d'auteur, 2e édition), tome 2, p. 221 [Coll. privée Dominique Chailley, 89770 CHAILLEY].
Autres crédits photos que ceux cités : J. Hérouart (photo en couleur des ruines de l'orgue et du tuyau). Remerciements à Dominique Caillet (orgue).
Dernière mise à jour de cette page, le 24 janvier 2008.