L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL

Les asperges de Rommel
(Les S.T.O. et le Bois du Caurroy)

 

A côté des maquisards et F.T.P, saboteurs « officiels » durant la Deuxième Guerre mondiale, il est de certains stelliens dont on ne parle pas et qui pourtant ne restèrent pas inactifs… Ces hommes faisaient leur « petite guerre » personnelle, dans l’ombre et, 60 ans plus tard, certains de ces héros anonymes n'ont toujours pas voulu témoigner ouvertement. D’autres pensent qu’il est temps de verser à la petite histoire – celle qui a fait la grande –, des témoignages qui risqueraient bientôt d'être oubliés !

Le S.T.O. à L'Etoile

Cest probablement dès la fin de l’année 1943 qu'une base de lancement de V1 (bombes volantes lancées depuis une sorte de tremplin) fut construite dans le bois du Caurroy, à proximité de Domart en Ponthieu (10 km au nord-est de L'Etoile, en sortant par la D 216).

Des blockhaus, situés non loin de là, permettaient aux allemands qui œuvraient à leur tentative de détruire Londres, de se protéger. En effet la voie ferrée Boulogne-Amiens-Paris traversait le secteur en passant par Longpré-les-Corps-Saints, Condé-Folie et Hangest, et ces deux cibles constituées par la rampe et les munitions d’une part, la voie ferrée d’autre part, étaient souvent frappées par les bombardiers anglais.

Les F.T.P. intervenaient aussi, notamment pour la voie ferrée. Souvent bombardée elle nécessitait régulièrement d’être remise en état par l'ennemi. Organe vital pour le transport des armements et des munitions en direction du front, c’était aussi une voie privilégiée pour envoyer en Allemagne tous les objets des vols perpétrés en France.

Pour reboucher les trous de bombes et remettre en bon état de fonctionnement la voie ferrée détruite, les allemands avaient recours à la main d’œuvre locale… Les hommes valides, jeunes comme vieux, encore présents dans les communes, étaient réquisitionnés afin d’effectuer ces travaux appelés S.T.O., Service du Travail Obligatoire.

Une photographie en témoigne. Prise à Condé-Folie durant l’occupation, elle montre 29 hommes. Au titre du S.T.O., ceux-ci étaient dans l’obligation d’effectuer les travaux de remise en état de la voie ferrée, mais aussi d’intervenir au bois du Caurroy.

 

1) ... LEBLANC (Bourdon) ; 4) ... BOYELDIEU (Longpré) ; 5) Paul HURIER ; 6) Bernard LEFEVRE ; 7) Paul MARECHAL ; 14) Fernand CARPENTIER ; 19) Colbert CAILLY ; 20) André HANQUET ; 22) V. BLOQUET (Longpré) ; 24) Henri CAILLY ; 25) Marcel DANTEN ; 27) Bernard HANQUET.

Les asperges Rommel

Au bois du Caurroy, les blockhaus résistaient assez bien aux bombes. Le site était protégé par la batterie anti-aérienne se trouvant près de L'Etoile dans les larris de Bouchon. Il était quand même parfois nécessaire de reboucher les excavations faites par les bombes sur la route afin d’accéder à la départementale d’accès.

Mais la hantise des allemands était de voir apparaître un commando de planeurs et de parachutistes. Et c’est ainsi qu’une nouvelle fois un nouveau groupe de STO fut créé, non seulement à l’Etoile, mais également dans de très nombreux villages du secteur. Tous les matins ces STO devaient se présenter pour l’appel devant l’entrée d’un blockhaus.

Le but était de planter des pieux pointus en bois dans toute la plaine. Ces « asperges Rommel », comme on disait, devaient empêcher tout parachutage ou atterrissage. Quatre groupes de travail furent créés :

Le premier groupe était chargé de se rendre dans les bois environnants pour y couper sur trois mètres de long des troncs d’arbres ayant environ 20 à 30 cm de diamètre. Un biseau très pointu, comme une pointe de crayon, était effectué à l’une des extrémités... Le deuxième groupe assurait le transport entre la forêt et le lieu d’implantation dans la plaine. Le troisième groupe creusait des trous d’environ un mètre de profondeur. Et le quatrième groupe devait planter les asperges, pointe en l’air, et non pas dans le sol comme certain l’auraient souhaité ! Et comme de temps en temps l’état d’avancement de l’implantation était vérifié, il était plus sage de respecter cette règle !

Les pieux étaient plantés très serrés, à 2 mètres l’un de l’autre disent les uns, à 3 mètres de distance affirment les autres. Peu importe, les parachutistes n’avaient guère de chance de tomber entre deux pieux !

Au fil des jours un cinquième groupe, non officiel celui-ci, et très limité en effectif, commença à se constituer, dans la discrétion la plus totale... En effet certains de ces hommes réquisitionnés ne pouvaient se résoudre à admettre qu’ils mettaient en place des asperges Rommel destinées à déchiqueter leurs éventuels sauveteurs. Il fallait faire quelque chose. L’on se concerta, et c’est ainsi que se créa le cinquième groupe ! Très discret, six décennies plus tard, l’on ne connaît toujours pas le nombre exact de ses membres, peut-être pas même une dizaine ?

Toujours est-il que quelques braves, prenant d’énormes risques, décidèrent d’aller déplanter la nuit ce qu’ils avaient planté le jour.

La guerre passée, l’un d’entre eux n’en fit plus mystère. Marcel FLANDRE, derrière son bar, racontait ses exploits à qui voulait bien l’écouter. Durant des mois, accompagné de Georges HEROUART et de F.V. (lui par contre avait toujours désiré conserver l’anonymat), ils avaient déplanté plus de pieux qu’ils n’en avaient plantés !

Très souvent donc, à la tombée de la nuit, passant à travers champs afin d’éviter les patrouilles entre L’Etoile et Domart, ils allaient par groupes de trois déplanter les pieux ou les rendre inutilisables en prenant soin de les entailler à la scie. Il y avait toujours un homme sur les trois qui faisait le guet, surveillant la présence éventuelle d’allemands dans les environs. Ils furent si prudents que durant des mois que dura leur exaction ils ne furent jamais inquiétés. Ces sabotages étaient perpétrés une à deux fois par semaine, et pour « tromper l’ennemi » ils changeaient de jour, déplantant au hasard de la semaine, y compris les samedis et dimanches.

Le lendemain matin, empruntant le même chemin pour se rendre « à leur travail »…, ils pouvaient se rendre compte de l’étendue des dégâts occasionnés. Après l’appel, toute l’équipe, y compris les 3 saboteurs, jouait la comédie, témoignant ostensiblement de leur mécontentement aux responsables allemands présents sur place, menaçant même de retourner chez eux devant toute une journée de travail gâchée ! Il fallait tout recommencer !

Crédules, les allemands remettaient un peu d’ordre parmi les énervés. Et malgré la difficulté de la langue, chacun reprenait son travail, sourire narquois, tout en sachant que… la nuit prochaine..., il y aurait sûrement encore du sabotage dans un autre secteur !

Parfois il arrivait qu’une alerte se déclenche. C’est que les aviateurs anglais arrivaient pour bombarder le site. Alors, exceptionnellement, les français étaient autorisés à se mettre à l’abri dans les blockhaus. Aussi, après l’alerte et regagnant leur lieu de travail il n’était pas rare de constater que nombre d’entre eux avaient les poches pleines. Ils en avaient profité pour voler tout ce qui traînait ça et là, du petit outillage, des pièces détachées pour moteur comme une tête de delco, des balais de démarreur ou de dynamo, voire un énorme compte tour ! Et si une fouille était effectuée, le butin était enterré en même temps que les pieux !

Les risques à contrevenir étaient grands. Si du côté sud de Domart, pour les villages de L’Etoile, Flixecourt ou Saint-Léger, il n’y eut pas de victimes à déplorer, par contre à Lanches et à Vacquerie, suite à des dénonciations, des personnes furent fusillées. On cite même un agriculteur qui, n’étant pas informé de la présence et de l’utilité de ces asperges, désirant un matin labourer son champ, en enleva un grand nombre... il fut fusillé.

Jacky Hérouart a bien voulu nous transmettre ce témoignage, tel que lui avait raconté son père, témoignage confirmé dans les mêmes termes par les deux autres personnes citées dans ce récit. Il ajoute pour finir, une anecdote familiale : Je suis bien placé pour savoir qu'un jour une épouse - ma mère - trouva que son mari s’absentait trop souvent, et surtout la nuit... Inquiète, surtout en cette période d’occupation, elle lui en fit part. Georges la rassura, ses craintes n’étaient pas fondées : s’il sortait la nuit, c’était pour braconner en évitant ainsi que le garde champêtre du village, et celui de Monsieur Saint, ne le prennent la main dans le sac ! Et effectivement, une nuit il rentra fièrement tenant à la main un énorme lièvre qu’il avait attrapé on ne sait comment... Cette méfiance avait eu du bon. Les lièvres se firent nombreux, tant et si bien que mon père ravitailla tout le quartier ! Ma mère se contenta de cuisiner…

 

 

D'après une idée, un texte et les recherches de Jacky Hérouart. Remerciements à Régine Delaporte, née Cailly (cliché et noms n° 14, 20,24,25 et 27).

Dernière mise à jour de cette page, le 25 août 2008.

 

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