L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL

Les directives Saint-Frères (1937/1945)

Après la fin de la Première Guerre mondiale et à la demande du bureau de recrutement militaire d’Amiens, la Direction Générale des Usines Saint-Frères avait sollicité toutes les usines du groupe pour qu'elles établissent un état annuel de l’ensemble de son personnel. Cet état avait un but, la mobilisation industrielle. Mais dans la décennie qui précéda la Deuxième Guerre mondiale les contremaîtres et cadres des Moulins-Bleus avaient constaté une certaine léthargie concernant l’établissement de ces documents. Aussi, à partir de l’année 1937 et après concertation des cadres des diverses usines, ces états sont repris avec sérieux. Davantage, une note de service inter-usines, datant de fin 1937, stipulera qu’en cas de mobilisation il y avait lieu de faire parvenir le jour même un état, au Commandant Général la 2ème région d’Amiens...

Cette fois les cadres s’inquiètent. Les consignes sont strictes, ordre est donné de ne rien divulguer ! Mais le personnel ressent le malaise et l’anxiété émanant de leur supérieur... L’ambiance n’est plus la même. On interprète, on réagit et bientôt le bruit court que dans l’usine il y a du chômage en prévision ! Mais courant mars 1938, les ouvriers abandonnent l’éventualité d’une période de chômage et le mot « guerre » fait son apparition dans les discussions...

« Depuis quelques jours on ne voyait pratiquement plus nos chefs ni nos cadres. Ceux-ci planchaient sur la question de savoir, au cas par cas, selon les individus, combien untel pouvait fabriquer de mètres de toile ordinaire sur différents métiers, en 84, en 115 ou en 135 cm de large, sur une base de 200 heures de travail par mois... »

Et en effet, suite à une indiscrétion, un ouvrier avait découvert en feuilletant les dossiers d’un cadre de fabrication momentanément absent, que le questionnaire concernait également le métrage tissé dans les mêmes conditions, pour ... de la toile légère de camouflage, mais également pour de la toile forte à sacs de farine... Les plus anciens avaient réagi immédiatement. Nul ne pouvait avoir oublié qu'en 1914/1918 on avait fabriqué des milliers de mètres de toile de sacs « à farine », sacs qui, en guise de farine, avaient été remplis de sable ou de terre pour édifier des murs pare-balles ! Des milliers de sacs avaient ainsi été confectionnés par la sacherie de Flixecourt, avec la toile en provenance des Moulins Bleus. Ces sacs de curieuse farine avaient ensuite été soigneusement empilés pour protéger nos poilus dans les tranchées... Ils avaient aussi été utilisés pour protéger certains édifices de Picardie comme la cathédrale d’Amiens, tant extérieurement qu’intérieurement.

 
En 1915, des sacs de terre en nombre impressionnant avaient protégé la cathédrale d'Amiens !
La toile de ces sacs "à farine" provenait certainement de l'usine des Moulins-Bleus...

Vers la mi-septembre 1939, il n’y a plus de doute possible. Une note de service en provenance de la Direction Générale des usines informe qu’une commission s’apprête à passer dans l’usine des Moulins-Bleus afin de vérifier que la main d’œuvre mobilisable est maintenue sur place ! Les absents qui auront obtenu un certificat de maladie de complaisance, seront convoqués devant la médecine du travail qui tranchera ! Celui qui n’a pas l’intention de se présenter est informé que c’est la gendarmerie qui ira le prendre à son domicile pour l’amener devant la médecine du travail !

La vérité semble toutefois bien plus souple. Au vu des évènements assez graves qui se préparaient, il semblerait que cette commission ne soit jamais intervenue à l’usine des Moulins Bleus ! En effet les dates de son passage étant connues par l’ensemble du personnel, une surveillance fut effectuée par pratiquement tous les habitants de la rue des Moulins Bleus et il semble bien que ce soit la présence des femmes (intimidantes face à de jeunes gradés ?) qui ait réussit à déjouer les plans des inquisiteurs.

Après la libération on apprendra qu’en cas de mobilisation générale le personnel serait divisé en trois groupes, ce qui fut réellement effectif :
1) Les hommes réservés pour être affectés à la défense de l’usine.
2) Une main d’œuvre d’urgence.
3) Les autres mis à disposition de l’état major.

Mais durant toute la période de guerre, on n’eut jamais plus connaissance de note de service en provenance de la Direction Générale...

 

D'après une idée et un texte de Jacky Hérouart. Remerciements à Oscar Boileau, Jean Mathieu et Albert Crimet. Autres sources : archives en provenance de l’usine des Moulins-Bleus.  Crédit photo : Jacky Hérouart (cartes postales de la cathédrale d'Amiens).

Dernière mise à jour de cette page, le 12 mai 2007.

 

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