L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL |
Trouver sous ses pieds cette photo du marais communal de L'Etoile (territoire de Condé-Folie) dans les gravats d'une ville allemande bombardée à la fin de la guerre relevait de l'impossible ! Et pourtant c'est la réalité ! A travers l'impensable découverte de cette photo, on apprendra comment le jeune Eugène Dumetz, réquisitionné en S.T.O., a vécu la Deuxième guerre mondiale... Laissons à Jacky Hérouart le soin de nous raconter son histoire, puisqu'il l'avait lui-même recueillie.
Eugène DUMETZ est né en 1923. On peut voir son portrait d'enfant sur la photo de classe de l’école des garçons de L'Etoile en 1931.
En février 1943 le gouvernement de Vichy instaure le Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) afin de fournir de la main-d’œuvre en Allemagne. Cette année là, Eugène a donc 20 ans, il est réquisitionné comme de nombreux autres Stelliens. Dans un premier temps il se retrouve sur la côte de la Mer du Nord, employé à renforcer les installations contre un éventuel débarquement ennemi, mais il n’y fera qu’un bref passage. C'est ainsi qu'un jour il est embarqué avec d’autres S.T.O. dans un camion et qu'après un très long voyage il a la surprise de débarquer dans un très grand port fluvial ! Il ignore où il se trouve et il commence à se faire du souci, mais à la sonorité de la langue du pays il comprend qu’il se trouve en Allemagne. Les paperasseries administratives terminées, le camion redémarre, laissant Eugène faire la connaissance de son futur employeur. Ce dernier est propriétaire d’une péniche, il assure le transport de matériaux, le plus souvent pour l’armée allemande, mais parfois aussi pour des responsables de très grosses entreprises. Le port d’attache de la péniche se trouve à Brême, sur la Weser, au nord-ouest de l’Allemagne, à 65 km de la Mer du Nord. A cette époque Brême est un centre industriel et commercial très important. Eugène accepte son sort avec philosophie !
« Après quelques jours, je me suis dit : ça pourrait être pire ; le patron était assez sympathique et malgré la langue nous nous comprenons assez bien. Evidemment il y avait le travail qui consistait au chargement et au déchargement de la péniche, mais la plupart du temps, avec les engins de levage, je n’avais qu’à surveiller de bien remplir les cales de façon symétriques.
Ce qui paraissait le plus long c’étaient les voyages, d'autant plus que de temps en temps, on entendait des sirènes dans le lointain puis les bombes qui tombaient sur les villes. Le patron n’était pas très rassuré mais nous continuions notre route, espérant que les avions ne nous prendraient pas pour cible.
A la mi-juin 1943, alors que nous étions à quai à Brème, des bombardiers sont arrivés à la tombée de la nuit pour lâcher des bombes au-dessus d’un abri pour sous-marins, faisant d’énormes dégâts dans le secteur... La même année, peu après mon arrivée, c’était plus de cent bombardiers anglais qui avaient eu pour mission (à ce que j’ai compris) de détruire une usine d’assemblage d’avions de guerre Focke-Wulfe à proximité de Brême... J’étais terrorisé, j’avais hâte que ça se termine mais en moi-même je me disais : allez y les gars, c’est toujours ça de moins pour bombarder la France !
Mais un jour, il fallait bien que ça arrive, nous furent pris au centre d'un bombardement. Cette fois on a tous eu peur, insiste Eugène, et on n’a pas attendu, nous autres ouvriers, que l’on nous donne l’ordre de quitter notre poste ! D’ailleurs les chefs couraient dans tous les sens et avec les autres manutentionnaires des environs nous nous sommes dirigés en courant vers la ville, sans être inquiétés par les Allemands qui avaient aussi peur que nous ! Malheureusement dans cette course à la recherche d’un abri j’ai perdu de vue mes copains de travail et je me suis retrouvé dans une rue parmi une foule énorme qui cherchait désespérément à s’abriter. J’ai suivi le mouvement de cette foule et je me suis retrouvé dans une cave. Quand enfin le cauchemar fut terminé et que les détonations assourdissantes se furent arrêtées, je me suis retrouvé à l’air libre. Je n’ai rien reconnu des environs. Toute la ville était dévastée, en ruine. De très nombreux bâtiments étaient en feu, il n’était pas possible de mettre un pied devant l’autre sans rencontrer un obstacle. Des pans de murs s’écroulaient encore, les maisons, les magasins étaient éventrés, toutes sortes de gravats jonchaient le sol. Parmi ces matériaux la vue se portait au hasard sur des meubles broyés, de la vaisselle cassée ou des vêtements déchirés lorsque soudain mon regard fut attiré par une revue grande ouverte... Qu’elle ne fut pas ma surprise d’y lire le mot "Somme". Je fus encore plus surpris quand, saisissant cette revue, j’y découvris une photo de notre marais communal de L'Etoile-Condé-Folie ! J’en ai eu les larmes aux yeux, et je me suis dit que ce présage annonçait certainement la fin de la guerre et que j’allais certainement retrouver ce cher marais très bientôt et surtout ma famille qui allait sûrement entendre parler de ce bombardement. Bien entendu j’ai rapporté à L’Etoile ce livre qui me rappelle un très mauvais souvenir, mais en me disant que malgré tout j’avais échappé à la mort. »
Eugène erra dans Brême quelques jours, il fit la connaissance de quelques français. Il retrouva aussi son patron, mais pas pour longtemps. Le 26 avril 1945 les Anglais prenaient Brême et mettaient fin aux hostilités dans ce secteur.
Eugène Dumetz rentra à L’Etoile et reprit son travail chez Saint-Frères. Il acheva sa carrière professionnelle comme responsable de fabrication au tissage Saint-Frères de l’usine d’Harondel à Berteaucourt-les-Dames.
Contremaître chef d'entretien, il arrivait alors parfois à Jacky Hérouart de "faire équipe" afin de remplacer l'un de ses employés absent. Au casse-croûte de 17 heures et surtout le soir après 20 heures, à l'occasion, il discutait alors avec Eugène, tandis qu'il venait fumer une cigarette dans son bureau. Lui aussi passionné d’histoire locale et surtout par Saint-Frères c’est donc en ce local, qu'un jour, il raconta cette histoire, une de plus ! Le lendemain il apportait à Jacky la revue dont il s'empressa de reproduire la photo du marais.
Cette revue, d’un format d’environ 15 x 21 cm, était en fait un exemplaire de la presse de propagande destinée à rassurer la population allemande et à vanter les exploits des différents corps d’armées en divers endroits du front. Pour cette revue, il s'agissait de notre secteur, le sud d’Amiens, avec quelques photos imprimées sur un papier de mauvaise qualité (ce qui explique le peu de détails sur la reproduction).
La traduction ne laisse aucun doute sur la volonté de manipulation de l'image par les commentaires : "Offensive sur la Somme. Même les inondations de la vallée de la Somme ne peuvent arrêter leur progression." Il n'y a aucune inondation dans la vallée, ce que l'on voit ne sont que les marais habituels !
Sur la photo, en bas ce sont les peupliers du chemin délimitant au nord le Marais de L'Etoile. Les arbres du milieu de la photo, derrière le marais communal, sont ceux qui cachent Condé. Et à leur droite on devine la fin de la route entre L'Etoile et Condé-Folie. Sur les hauteurs, on voit les larris de Condé, où l'on distingue vaguement des traces de fumées. Comme l’ouvrage ne comporte pas de date il semblerait que ces fumées soient celles des bombardements de Condé-Folie qui commencèrent le 5 juin 1940.
Quant à l’avion dont on distingue les structures sur la gauche de la photo, il était tristement connu dans la commune et dans toute la région. Facilement reconnaissable avec sa croix gammée peinte sous le fuselage, il était surnommé le « mouchard ». Il survolait les communes à basse altitude afin de repérer d’éventuels sabotages sur les lignes téléphoniques, les ponts Saint-Frères restés intacts, les rassemblements, etc. Lors des violents combats de Condé-Folie, d’Hangest et de Longpré, il était la hantise des officiers français qui ne pouvaient effectuer de mouvements de troupes sans qu'ils soient repérés. C'était un handicap sérieux, notamment pour la 40ème division de chasseurs formée le premier juin sous les ordres du général Durand qui, à peine arrivée dans le secteur d'Aumale, Sénarpont et Poix, à 20 km de L’Etoile, était déjà repérée le 6 juin au matin... Et malheureusement, évoluant à basse altitude, la D.C.A. ne put jamais l’avoir pour cible sans risquer d’éventuelles pertes humaines civiles innocentes.
Eugène DUMETZ est décédé à L'Etoile en décembre 2002. Voir sa photo lorsqu'il faisait partie des dirigeants du football à L'Etoile en 1973.
D'après une idée, un texte et des photographies de Jacky Hérouart. Remerciements à titre posthume à Eugène DUMETZ et à sa fille Marie Claire.
Dernière mise à jour de cette page, le 20 juin 2007.