L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL |
Le 25 août 1944 une très bonne nouvelle circule dans tout le département de la Somme. Un picard de Tailly-l’Arbre-à-Mouches, village situé à 15 km de L’Etoile, le Maréchal Leclerc dit Philippe de Hautecloque au commandement de la 2ème D.B., vient de libérer Paris ! Le 29 août, les Anglais sont à 30 km d’Amiens. Les allemands repliés derrière la Somme espèrent toujours retarder l’avance des troupes alliées et tentent de résister au pont de la voie ferrée Saint-Frères à la Breilloire. Mais les évènements se précipitent. Le 30 au soir la région de Beauvais est libérée, le 31 à 2 heures du matin des voitures blindées arrivent dans la banlieue d’Amiens et à 8 heures elles font leur apparition dans Amiens. Continuant leur progression les Anglais libèrent Saint-Ouen le 1er septembre vers 10 heures, Flixecourt puis L'Etoile le lendemain.
En fin de matinée de ce samedi 2 septembre, quelques motocyclistes et une jeep anglaise se présentent au pont sur la Somme, côté Condé Folie, mais y sont stoppés puisque ce pont avait été détruit par le génie français en mai 1940. Les anglais demandent alors l’établissement d’une passerelle prenant appui sur des barques. Les travaux sont immédiatement entrepris par quelques hommes de bonne volonté en se servant des quelques barques qui étaient restées disponibles tout au long des hostilités sur chacune des berges. La nouvelle se répand très vite dans la commune et bientôt une grosse partie de la population se masse côté nord pour accueillir ses libérateurs. Grâce à des embarcations se trouvant rive droite le stellien René Flandre et quelques autres traverseront les premiers la Somme pour remercier ces Anglais.
Vers midi, route du Pont de L'Etoile, côté Condé Tendant la main à l'anglais : André CADET A l'extrême droite : Victor LAGACHE |
Vers midi, au Pont de L'Etoile, côté village La foule vient accueillir ses libérateurs... de l'autre côté du pont détruit... |
Compléments (photo de gauche) : la jeep, d’origine US, appartient à la 53ème (WELCH) Infanterie Division, plus précisément au ler Bataillon de l’East Lancashire Régiment de la 158ème Brigade d’lnfanterie. Cette brigade comportait trois régiments ; c’est le second dans son ordre de combat. Son commandant fut le Général Brigadier Sugden à dater du 8 août1944. Il sera tué le 04 janvier 1945. Son titre de manche est en lettres blanches sur fond rouge. Derrière, on aperçoit nettement le haut d’un autre véhicule. De par la forme, il doit s’agir d’un camion léger Bedford (Truck, 15-cwt, GS, 4X2). L’insigne divisionnaire est un W posé sur une barre horizontale de même largeur. Le tout peint en rouge vif sur fond carré blanc. Ici, je pense qu’il est sur fond vert, compte tenu du peu de vivacité par rapport à l’autre côté. Côté droit, insigne en chiffres blancs (62) sur fond vert pomme. Cette analyse photographique (voir aussi page suivante) permet de confirmer que L'Etoile fut libérée par les Anglais [Infos Pascal Leschaeve]. |
Mais la joie sera de courte durée. En effet des obus allemands tirés semble-t-il par la batterie se trouvant sur les hauteurs de Bouchon viennent tomber dans les abords immédiats du secteur. C’est la débandade. La foule court dans tous les sens se mettre à l’abri des projectiles et bientôt il n’y aura plus âme qui vive dans le secteur… Heureusement on ne déplora aucune victime ! Cette dernière salve d’obus ne sera toutefois qu’un contretemps et à 16 h 20, venant cette fois de Flixecourt, par la Vallée Delattre, ce sont des chars qui entrent triomphalement dans l’Etoile, lesquels s’empressent de déloger les servants de la batterie sur Bouchon. En fait, ils n’y sont déjà plus et l’on apprend que ceux-ci ont préféré prendre la fuite en abandonnant sur place trois des six canons qui étaient présents.
Après s’être assurés qu’effectivement il n’y a plus un seul allemand à Bouchon les anglais prennent congés des habitants de l’Etoile accourus de toute part pour les accueillir. Tout le long de la traversée de l’Etoile ce ne sont que des scènes d’allégresse : les libérateurs reçoivent des gerbes de fleurs, les femmes essaient de monter sur les tanks pour embrasser les soldats, d’autres manifestent leur joie en agitant des drapeaux et des mouchoirs. Mais il y a de nombreuses autres communes qui attendent la délivrance et dans un vacarme étourdissant les tanks repartent vers d’autres destinations.
Le logement des époux Fiévet (Rue au Sac) et le chalet Lancel (111 Rue du 8 Mai), sièges de la kommandantur, avaient vu leurs occupants s’enfuir ainsi que les gardiens du pont de la voie ferrée Saint-Frères. Mais avant leur fuite, ces derniers avaient toutefois miné ce pont privé sur la Somme et le pont suivant de la même ligne, celui surplombant la route, afin qu’ils sautent après leur départ et que soient ainsi ralentis leurs poursuivants après leur retraite. Les FTP n'ont pas eu le temps de désamorcer les engins explosifs du pont Saint-Frères, mais ils réussirent avec le pont routier, préservé à la dernière minute...
Cependant le plus gros de la garnison allemande, basé à la ferme de Moreaucourt, était toujours dans les lieux. Las de la guerre ces soldats n’opposèrent aucune résistance aux FTP - et aux résistants de dernière minute… -, venus les arrêter. On peut même dire qu’ils étaient satisfaits de leur sort et de la fin de guerre… Toutefois sous bonne garde ils traversèrent une bonne partie de la commune sous les regards de nombreux habitants accourus tout le long du parcours. Plusieurs séquences de ces défilés avec les prisonniers furent filmés par M. Décamps (voir le DVD). Une note sur une boite de ses films mentionne "Prisonniers allemands attrapés dans les bois", probablement ceux de Bouchon qui avaient fuis après avoir tiré leur dernière salve d'obus, ou ceux qui s'occupaient des V1 vers Mouflers. Les soldats allemands furent ensuite enfermés dans la salle dite du Bol de Lait, à proximité de l’ancienne école des filles, sous la responsabilité de Olivier Flandre, maire par intérim, suite à la déportation du Dr Eugène Richard. Les soldats furent ensuite dirigés sur Amiens.
Viendront ensuite les défilés officiels. Charles Décamps, alors directeur de l'école des Moulins-Bleus, a filmé et immortalisé ces instants. Il note : "Dimanche 3. Drapeaux. Cortège au Monument et au cimetière". Les drapeaux sont ceux qui étaient aux fenêtres, rue des Moulins-Bleus, lui-même demeurant dans cette rue avait caché un aviateur anglais et fêtait ainsi la Libération. Son film montre aussi le cortège dans les allées du cimetière (probablement en hommage aux morts de cette guerre) puis dans la montée au Monument au Morts (dont on y reconnait les murs de l'ancien presbytère) et au Monument, avec discours et tir de salves. Il note encore "Mardi 5. Un tank anglais en panne à la Folie, sur la N 35" (Voir le DVD).
C’en était fini de cette maudite guerre, et les Stelliens demeurèrent très longtemps encore dans les rues, commentant ce qu’ils venaient de vivre durant 52 longs mois, les bombardements, les privations et les rationnements, se remémorant les nombreuses victimes, énumérant avec inquiétude ceux dont on n’avait plus de nouvelles depuis des mois et les déportés. Mais bien vite ce furent les chants d’allégresse qui l’emportèrent, parfois jusqu’à l’hystérie, certains hurlant littéralement leur joie.
Dans la foule se trouvait un jeune de 17 ans, un nommé Paul, dont les parents Louis et Marie habitaient au lieu dit Place de l’Ecce-Homo. Paul, entouré de ses amis, faisait également la fête mais il trouva que malgré tout c’était assez monotone... Soudain il eut une idée géniale qui restera à jamais gravée dans la mémoire de toutes les personnes présentes ! Il retourna chez lui et sans se soucier de l’autorisation de ses parents qui se trouvaient d’ailleurs également dans les rues à faire la fête, aidé par ses amis, il transporta le gramophone familial au pavillon énorme et une pile de disques 78 tours et s’installa au beau milieu de la route. Accourant de toutes parts, en l’espace de vingt minutes les abords de l’Ecce Homo furent noirs de monde ! Et l’on dansa, dansa jusqu'à l’épuisement des disques. Et comme nombreux furent ceux qui en redemandaient, Paul ne se fit pas prier et reprit de plus belle pendant qu’un de ses amis fit un aller et retour jusqu’à Long-le-Catelet et revint avec une telle quantité de disques qu’aux premières lueurs de l’aube, nombreux étaient encore ceux qui continuaient de danser !
Mais la fatigue se faisant sentir, certains s’allongèrent dans l’herbe pour prendre un peu de repos. Cependant, pour la plupart de ceux qui ne s’étaient pas alimentés depuis la veille à midi, la faim se faisait également sentir. Et comme personne ne voulait s’en aller, on s’organisa pour un repas collectif en plein air. L’alimentation de base faisant pratiquement toujours défaut dans la commune, des bonnes volontés se proposèrent pour trouver du pain dans les environs, tandis que d’autres allèrent aux cochonnailles.
Le vin était devenu une boisson très rare ; impossible d’en trouver ! On ne pu s’en abreuver et il fallait se résigner à festoyer et à fêter la Libération sans la célèbre boisson nationale ! Cependant l’on trouva la parade... Le distillateur ambulant qui se déplaçait avant guerre de village en village, notamment sur la Place du Luxembourg à l’Etoile, n’était plus autorisé, depuis la loi du 20 juillet 1940 du régime de Vichy, à circuler sur les routes avec son alambic. Qu’à cela ne tienne, grâce au "Système D" bien français, il s’était bien compté une dizaine de discrets bouilleurs de cru parmi les habitants, et la réserve de gnole de derrière les fagots n’était pas épuisée… Nos distillateurs locaux firent preuve d’une remarquable générosité envers leurs concitoyens… D’un commun accord on les vit quitter la fête et revenir de chez eux les bras chargés. Et comme par magie on vit apparaître de nombreuses bouteilles d’eau de vie et de calva. Cette fois on arrosa dignement la Libération. Hommes et femmes, pas d’exception, tout le monde eut droit à au moins « eine goutte d’ieu d’vie »…
Les stelliens requinqués, après s’être copieusement restaurés, l’alcool aidant malgré la fatigue, la danse reprit de plus belle. Et comme c’était alors presque dimanche, nombreux furent ceux qui retournèrent chez eux et revinrent "endimanchés". Pour cette occasion, ils avaient revêtu leurs plus beaux vêtements, ceux que l’on ne met que lors des cérémonies exceptionnelles, baptême ou mariage ! Comme en 1936, L’Etoile fut donc à nouveau une commune de très grand rassemblement festif. Ayant eu connaissance de ces festivités, de très nombreuses personnes venues des communes environnantes firent leur apparition et s’incorporèrent aux stelliens.
Et jusque vers 16 heures environ, soit pendant près de 24 heures l’on dansa et l’on dansa encore. Parmi les jeunes quelques idylles se créèrent et certaines se concrétisèrent par un mariage ! Quelques musiciens locaux, dont un accordéoniste, s’étaient joints aux animateurs et accompagnaient les airs diffusés par le gramophone. Paul était ivre de fatigue, le bras endolori après avoir tourné des centaines de fois la manivelle du mémorable gramophone. Mais il était heureux et s’en félicita longtemps « nous avons fêté la libération comme nulle part ailleurs dans le secteur ».
En septembre 1978, Jacky Hérouart avait organisé une exposition à la salle des fêtes du village sur le thème « L’Etoile autrefois ». Plus de 1200 visiteurs furent présents sur 4 week-ends. Le fameux gramophone y était exposé en bonne place au stand « L’Etoile pendant les guerres ». Nombreux furent celles et ceux qui eurent les larmes aux yeux en le redécouvrant. L’émotion était encore présente, chacun tenait à toucher le gramophone comme l’on passe la main dans les cheveux d’un être cher que l’on vient de retrouver... A cette occasion, les uns et les autres, essuyant furtivement une larme, se laissaient aller à raconter ce qu’ils avaient vécu durant l’occupation mais surtout la joie de la libération, et de citer le célèbre gramophone qui était devenu le symbole de leur liberté retrouvée ! C’est à toutes ces personnes que l’on doit la connaissance du déroulement de la Libération et des festivités à L’Etoile qui viennent d’être relatées. Qu’elles en soient toutes chaleureusement remerciées ici, et en particulier Paul Dupont.
D'après une idée et un texte de Jacky Hérouart. Crédit photo, René Flandre (fils d'Olivier, alors maire par intérim), sauf le gramophone, Mme Micheline Hérouart. Analyse des véhicules et donc preuve de la libération de L'Etoile par les anglais par Pascal Leschaeve.
Lien : Compléments et autres photos
Première publication, le 10 août 2007. Dernière mise à jour de cette page, le 8 mai 2011.