L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL

Eugène RICHARD (1903-1986), résistant, médecin et maire

Le docteur Richard (Vincennes 1903 - L'Etoile 1986) est enterré dans le caveau de famille au cimetière du Père Lachaise à Paris. Le docteur Richard fut arrêté le 28 janvier 1942. Il est rentré de captivité le 2 juin 1945.

Présentation

Le 11 novembre 1986 au matin, la population de l’Etoile apprenait avec tristesse le décès de son ancien maire, le docteur Eugène Richard. Durant plus de trente années le docteur Richard avait été au service des stelliens, tant comme maire que comme médecin de famille.

Le dimanche 14 décembre 1986 des manifestations se déroulèrent en trois endroits de la commune, rue du Pont, Place Rouge et à la mairie. Avant de prendre connaissance des trois discours où furent relatés les grandes lignes de la vie du docteur Richard, rappelons seulement qu'il fut un grand résistant et patriote bien connu des Picards. Président départemental de l’Union française des association d’anciens combattants (U.F.A.C – U.D.A.C.), Président de l’Association des déportés, internés, résistants et patriotes, le docteur Richard était expert auprès de l’Office des Anciens combattants de la Somme. Grand résistant, ardent défenseur de la paix, de la liberté et de la justice, sa disparition fut profondément ressentie dans tout le monde combattant où il ne comptait que des amis. Toutes les associations patriotiques présentes lors des cérémonies, les officiels, le conseil municipal et la population n’ont pas caché leur émotion et leur peine. Lors de la dernière réunion du conseil municipal avant ces manifestations, ce conseil avait pris deux arrêtés :

1°) Attribuer le nom de Rue du docteur Richard à la rue du Pont où ce dernier à toujours habité ;

2°) Attribuer le nom de Place des Déportés Internés à la Place Rouge ;

et enfin concrétiser le souvenir de 34 années de services à la commune par la mise en place d’une plaque dans la salle de réunion de la mairie.

 

Discours de M. Choquenet (Dimanche 14 décembre 1986)

Discours de Monsieur Choquenet, Président de l’Union Départementale des Anciens Combattants devant la plaque "RUE du Dr. Eugène Richard, MAIRE de L’ ETOILE, 1934-1965".


Monsieur le Préfet de région,
Monsieur le Ministre Président du Conseil Général,
Monsieur le Maire,
Messieurs les Représentants élus,
Messieurs les Représentants des autorités civiles et militaires,
Monsieur le Directeur de l’office Départemental,
Messieurs les Représentants d’Associations,
Mesdames, Messieurs,

Le monde Ancien Combattant est dans la tristesse et dans le chagrin depuis plus d’un mois, et se trouve réuni à l’Etoile aujourd’hui, pour honorer le meilleur d’entre les siens . Nous avons perdu notre guide et notre ami. Certes nous connaissions la gravité du mal qui le rongeait, mais nous refusions de croire qu’il nous quitterait aussi vite.

Le docteur Eugène RICHARD présidait depuis 1981, l’UNION DEPARTEMENTALE DES ASSOCIATIONS DE COMBATTANTS ET VICTIMES DE GUERRE DE LA SOMME, et avait été reconduit dans ses fonctions une 6ème fois le 18 octobre dernier. Déjà affaibli, il avait tenu à être présent à notre Assemblée Générale le 13 septembre, et avait dirigé les travaux toute la journée avec sa passion habituelle.

Son autorité incontestée, sa droiture, son esprit de tolérance et de fraternité, ont fait de ce rassembleur d’hommes un grand Président, et ont donné à notre U.D.A.C., avec son unité, une impulsion nouvelle. Il l’a marquée de son empreinte, en a fait une Confédération puissante et respectée, et s’est dépensé sans compter pour défendre les droits de ses camarades Anciens Combattants qu’il appelait « sa famille ». Il était la conscience des Anciens Combattants.

Doué d’une intelligence supérieure, cet homme hautement estimable qui parlait peu, apôtre de la Paix, assoiffé de justice et de liberté, était un lutteur qui n’aimait pas perdre. Il a combattu pied à pied la maladie, et enduré des souffrances atroces avec un courage et une lucidité extraordinaires.

Mais nous ne pleurons pas seulement notre Président. Eugène c’était aussi pour nous :
- le frère déporté,
- Le médecin compétent et dévoué à qui la plupart d’entre nous, doit beaucoup.
- L’homme au cœur généreux et bon, sensible à la misère humaine.
- L’ami sincère, indulgent pour les faiblesses des autres.

Il m’échoit la lourde et difficile tâche de lui succéder à la Présidence de notre U.D.A.C.

Fort de l’exemple qu’il nous a donné , de la route sans détours qu’il nous a tracée, je vais m’efforcer de continuer l’œuvre pour laquelle il a tant donné, dans la fidélité et le strict respect des idéaux dont il était animé, et qui furent sa raison de vivre et d’espérer.

Docteur André RICHARD, soyez assuré de la sympathie de toutes nos Associations, et permettez moi de vous dire que vous pouvez être fier d’avoir eu un père tel que celui là !

Quant à nous, nous avons eu de la chance de compter parmi ses amis.

Son souvenir restera à jamais gravé dans nos cœurs, et nous n’oublierons pas le rayonnement qu’il apportait dans chacune de nos réunions, aussi bien associatives que privées.

Enfin je terminerai par cette phrase que nous pourrons méditer souvent :

Le disparu, si l’on vénère sa mémoire, Est plus présent et plus puissant Que le vivant.


Monsieur Choquenet vient de dévoiler la plaque : Rue du Docteur Eugène RICHARD
A gauche du panneau, M. Minard, maire (en imperméable) et M. Collignon (de profil, en manteau)

Discours de M. Collignon (Dimanche 14 décembre 1986)

Discours de Monsieur COLLIGNON, premier vice-président de l’Association des Déportés Internés Résistants et Patriotes, devant la plaque "PLACE des DEPORTES, INTERNES et RESISTANTS".

Ce n’est pas sans crainte ni appréhension que je prends la parole au nom des Associations de Déportés, mais surtout au nom de tous nos camarades Déportés et Internés pour essayer de dire ce que fut pour nous le DOCTEUR RICHARD.

Appréhension car je ne suis pas sûr que le docteur Docteur Eugène Richard eut souhaité qu’on évoque son souvenir autrement que dans le secret de nos cœurs. Crainte car je suis sûr qu’aucun d’entre nous, ses amis ne peut atteindre la qualité d’esprit, la grandeur et en même temps la délicatesse spirituelle qui furent les siennes quand il s’exprimait en notre nom, et qu’en conséquence nos paroles ne laissent qu’une impression de platitude vaine, de vide, qu’il n’aurait jamais toléré.

Nous croyons que ce qui caractérise le mieux le Docteur Richard, ce qui apparaissait toujours lumineusement dans ses paroles et dans ses actes, malgré le cloisonnement strict de profonde pudeur qu’il s’était plu à élever entre les diverses parts de ses activités et de ses amitiés , c’est l’Amour de la Vie, amour profond, viscéral, naturel qui constituent la base même de ses pensées intimes ou publiques et de tous ses actes.

Il avait recueilli depuis sa toute petite enfance jusqu’au dernier jour de sa vie toute la connaissance, toute les connaissances qu’un homme de bien peut retenir. Et toujours, pendant toute son existence terrestre il s’est dépensé, il s’est battu pour sa vie, pour la vie. Combien profondément l’avons-nous ressenti, chacun d’entre nous ses camarades, lorsque, malade, il venait nous saigner le corps et le cœur, nous apportant l’Amour de son prochain qui émanait, qui rayonnait en lui.

C’est cette passion qui l’avait amené, dès l’avant guerre, à participer au combat pour la liberté et à se rapprocher du Comité Pleyel, ou aux côtés des Malraux, Politzer et autres intellectuels il dénonçait la menace totalitaire hitlérienne.

Dans le même esprit il fit la guerre comme Médecin-Lieutenant de l’Armée de l’air, puis rendu à la vie civile il se remettait aussitôt au service de ses concitoyens ainsi que du prisonnier évadé, de l’aviateur allié essayant de rejoindre l’Angleterre, ou de telle organisation ou d’embryon d’organisation de ce qui devait devenir la résistance et qui demandait son aide.

Arrêté au début 1942 dans les mêmes jours et par les mêmes policiers militaires de l’Abwehr que les membre du réseau d’évasion franco-belge « Pat O’bary » dont dépendaient certains de ses camarades abbevillois autour de l’Abbé Carpentier.

Il fut transféré d’abord au siège de l’Abwehr près de la gare du Midi à Bruxelles, puis à la prison St Gilles où commença sa mise au secret absolu qui ne devait s’achever qu’a la mi-mai 1945, dix jours après la fin des hostilités à la prison de Hambourg, où il fut découvert et libéré par un officier supérieur de la R.A.F., alors qu’il ne figurait sur aucun registre !

Pendant ces longs mois il ne surmonta les épreuves de l’isolement, des divers transferts de prison, des brûlures de bombes au phosphore subies pendant un bombardement de Dusseldorf et de la faim permanente, que grâce à une intense activité cérébrale. Il a revu de mémoire ses cours de médecine, révisé ses connaissances de mathématiques, de botanique, relu, toujours grâce à son exceptionnelle mémoire, tous les livres qui avaient formé sa pensée.

Attentif à tous les bruits et aux rumeurs qui couraient dans l’air des couloirs des prisons, que sa connaissance de la langue allemande lui permettait de comprendre et d’analyser, il n’apparaît pas que, même aux pires périodes, il ait jamais subi de défaillance ou douté de l’avenir de l’homme.

Rentré à l’Etoile il retrouvait sa famille dans sa maison nue, pillée par les allemands et se remettait au travail, recommençant en vélo sa carrière professionnelle, reconstruisant la vie communale tout en prenant une part immense, essentielle, mais infiniment discrète, dans la réadaptation, dans le retour à la vie de tous ses camarades anciens déportés.

Nous avons tous ressenti la chaleur de son amitié, l’efficacité de ses soins lorsque, négligeant les kilomètres et les fatigues d'éprouvantes journées de Médecin généraliste, il venait passer quelques minutes, et si nécessaire quelques heures, à notre chevet. Ce qui ne l’empêchait pas non plus de participer aux recherches pathologiques concentrationnaires et à l’élaboration du Statut du Déporté.

Deux ans après la mort de son ami Jean BOËN dont il ne manquait jamais en public ou en privé d’évoquer le souvenir, il accepta de le remplacer à la Présidence de l’A.D.I.R.P. où, sans négliger, au contraire, les autres associations de déportés ou anciens combattants, il accomplit une œuvre morale considérable, hanté qu’il était par les désastres de la guerre. Il proclamait hautement, noblement, en notre nom, son désir de Paix, parce qu’il aimait la vie. Puisse la leçon d’humanisme et de courage qu’il nous a donné à tous jusqu’au dernier jour de sa vie, continuer à inspirer nos actes et nos pensées.

C’est le dernier hommage que nous pouvons rendre à sa mémoire.


Monsieur Collignon vient de dévoiler la plaque : Place des Déportés, Internés et Résistants
A gauche M. Collignon ; à droite M. Minard

Discours de M. Minard (Dimanche 14 décembre 1986)

Discours de M. Roger Minard, maire de L'Etoile, lu à la mairie devant la plaque portant l’inscription "HOMMAGE DU CONSEIL MUNICIPAL ET DE LA POPULATION A Mr LE DOCTEUR EUGENE RICHARD, MAIRE DE L’ ETOILE DE 1934 A 1965, MAIRE HONORAIRE DE 1965 A 1986".

 

Nous honorons aujourd’hui le Souvenir du Docteur Eugène RICHARD, Maire de l’Etoile de 1934 à 1965. Le Conseil Municipal a voulu concrétiser son souvenir sous la forme d’une plaque portant son nom, qui permettra à tout ceux qui passeront dans cette mairie, d’apprécier tout ce que cette collectivité lui doit pour tant d’années passées à son service.

Je voudrais d’abord en votre nom à tous, saluer les membres de la famille qui sont ici avec nous et qui savent quel homme estimable et généreux était celui que nous regrettons ensemble.

Notre émotion est profonde en évoquant devant et pour vous l’homme à la fois simple et merveilleux qu’il savait être.

Les habitants de l’Etoile, notre village et les habitants de cette vallée de la Nièvre, qu’il a si souvent parcourue lui vouaient à la fois respect et affection, comme il se doit à un être exceptionnel.

Exceptionnel il le fut par sa fidélité et son attachement à l’Etoile et à la vallée de la Nièvre, sachant rester lui même en toutes circonstances, ayant ce mystérieux pouvoir de savoir concilier sans jamais céder sur ce qu’il considérait comme l’essentiel.

Il savait communiquer à tous ceux qui l’approchaient, son enthousiasme tranquille, les dirigeant et les conduisant avec une autorité ferme et calme à la fois, pour atteindre les buts fixés.

Le Docteur Eugène Richard dès le début de son mandat de Maire en 1934 se trouva confronté à d’énormes difficultés résultant de la pauvreté de tous ces foyers de travailleurs.

C’est grâce à une volonté tenace une grande énergie et à beaucoup de dévouement qu’il réussit à faire face à toutes les situations parfois tragiques qu’il était appelé à connaître.

Le Maire et le Médecin étaient très appréciés par notre population.

Après la période 1940-1945 qui a été évoquée par des voix plus autorisées que la mienne, le Docteur Eugène Richard reprit en mains les destinées de notre commune jusqu’en 1965.

Il favorisa et anima une très large action en faveur de l’Aide Médicale et Sociale, ce qui permit à de nombreuses familles de pouvoir bénéficier des soins nécessaires à leur maintien en bonne santé.

Il fit construire le groupe scolaire de l’Etoile et ensuite celui des Moulins Bleus pour remplacer nos écoles vétustes, et permettre aux enfants de la commune d’étudier dans de bonnes conditions.

C’est ensuite la construction du lotissement des Castors, initiative qualifiée de très risquée pour cette époque, et également l’édification de la salle des Fêtes.

Je n’ai fait qu’extraire quelques points importants de l’action du Docteur Richard à la tête de la Municipalité, mais il y en a beaucoup d’autres qui jalousèrent [sic] sa vie d’homme public et d’administrateur. Mais pour ceux qui le connaissaient bien et qui ont des responsabilités identiques à ce que furent les siennes, ils gardent son souvenir et s’inspirent toujours des exemples qu’il a donnés.

Bien qu’ayant quitté ses fonctions de Maire en avril 1965, lorsque la filature Saint Frères cessa ses activités au cours de l’été de la même année il ne résista pas aux sollicitations amicales dont il fut l’objet et créa et présida pendant de nombreuses années le « Comité de Défense de l’industrie textile de la Vallée de la Nièvre » ; comité qu’il anima avec beaucoup de dynamisme et de conviction et qui aboutit d’ailleurs à la construction d’un Syndicat intercommunal qui existe toujours (1)

Toute cette œuvre, toutes ces actions ont été réalisées avec la compréhension, la discrétion et l’appui de Madame Richard (2) qui était elle aussi une dame admirable.

Le 11 novembre au matin, l’Etoile a perdu son guide dans les moments difficiles, son grand Homme.

Le Département et la France ont perdu un grand Patriote, Pacifiste et Humaniste qui forçait l’admiration et le respect.


(1) Aujourd’hui : Communauté de Communes du Val de Nièvre et environs regroupant 16385 habitants sur 17 communes dont l’Etoile.
(2) Mme Richard, née Trouvelot Josette en 1908 à Paris, était sage femme et mit au monde de très nombreux enfants à l’Etoile.


Monsieur MINARD, maire, vient de dévoiler la plaque posée sur la table et portant l’inscription : « Hommage du conseil municipal et de la population à Mr. le Docteur EUGENE RICHARD, Maire de l’ ETOILE de 1934 à 1965, Maire honoraire de 1965 à 1986 »

Sur la photo, de gauche à droite, sont présents : Melle Catherine Richard ; Mme Jacqueline Richard ; M. Marcel Cossard (F.N.D.I.R.P. de L’Etoile) ; M. ..., délégué ; M. Gilles de Robien, Député ; M. Roger Minard [le plus grand, tête baissée], maire ; Charles Lavallard, ancien déporté résistant et membre d'une association amiénoise ; M. Cozette, président de l’U.D. des A.D.I.R.P. ; M. ..., délégué d’une association ; M. Choquenet, Président de l’U.D.A.C. ; M. Caron, sous-préfet. Monsieur André Richard doit se trouver derrière M. Minard tandis que M. Collignon est en partie caché sur la gauche.

Le Docteur Richard, médecin


Le médecin vers 1937-1938 [Photo extraite du DVD L'Etoile Autrefois]
Le docteur Richard se rend au chevet d’un malade rue des Moulins Bleus

Le Docteur Richard, après son retour de captivité

 

Après être rentré de captivité le 2 juin 1945, le dimanche 10 juin une cérémonie du Souvenir est mise en place par le conseil municipal au Monument aux Morts, avec dépôt de fleurs. Le docteur Richard, son épouse et son fils s’apprêtent à traverser la haie d’honneur faite par le conseil municipal (Photo de gauche, prise devant le domicile du docteur Richard, rue du Pont ). Le cortège arrive au monument aux morts. Très affaibli, le docteur Richard prend appui sur le bras de Monsieur Minard. Madame Richard porte la gerbe de fleurs (Photo de droite ; le grand bâtiment à droite est l'ancien presbytère).

Le Docteur Richard, maire (1934 à 1965)

 
Inauguration du groupe scolaire Jules Ferry (le 18 octobre 1953) [à gauche]
Inauguration du groupe scolaire des Moulins Bleus (le 24 mai 1964) [à droite]
(Sur le podium, Henry Larrieu, Préfet de Région)

 

D'après une idée et des photographies de Jacky Hérouart, sauf et remerciement au docteur Richard fils pour la photo de son père lisant le discours lors de l'inauguration du Groupe scolaire Jules Ferry. Les textes intégraux des trois discours ont été scrupuleusement recopiés. Régis Guéant (Ch. LAVALLARD).

Dernière mise à jour de cette page, le 3 avril 2007.

 

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