L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL
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Moulins-Bleus - Plan de 1832

Présentation

Un magnifique plan aquarellé de l’usine des Moulins-Bleus figurait dans le dossier Dusouich des Archives Départementales [plan reclassé en 3E CP 24203]. Bien que sans date, la composition et les annotations de ce plan le range dans la catégorie des affiches publicitaires de vente, donc entre la cessation de paiement et les assemblées de 1829, et la vente qui n’eut lieu qu’en 1832.

L'affiche fut présentée par les Archives Départementales de la Somme, lors de l'exposition De Somme et d'eau (Amiens, ADS, du 28 septembre au 15 décembre 1996, et à Paris (premier semestre 1997) et est reproduite avec quelques commentaires dans la brochure de l'exposition (p. 42-43). On ne retiendra pas la date proposée de 1807.

L’usine des Moulins-Bleus avait été rachetée le 3 octobre 1821 par des amiénois, les époux Dusouich, aux neufs enfants héritiers de M. Jourdain de l'Eloge, le dernier seigneur de L'Etoile dont la Révolution avait eu raison de ses moulins à farine. M. Judas Dusouich, avait pensé faire une bonne affaire en disposant de ces moulins pour le triturage des bois (à usage de pâte à papier ou de panneaux ?) Mais la concurrence montante l’avait obligé à se reconvertir, en réaffectant deux des 6 roues hydrauliques à la mouture de la farine, et une autre à une filature, suivant un brevet innovant de l’anglais Parrott. Mais loin de sauver l’entreprise, le procédé inventé par l’anglais précipita la faillite de l’usine, ajoutant 36 000 francs de pertes aux impayés (66 créanciers...) L’usine sera donc vendue, mais en deux parties distinctes (rives droite et gauche de la Nièvre) lors de la licitation du 4 septembre 1832 [3U2/ 709]. Bien des avatars se succèderont ensuite et l’usine ne retrouvera son unité, et un redressement durable, qu’à partir de 1855 après le rachat de la dernière partie de l’usine par M. Bruhier.

Description du plan et annotations

Plan aquarellé, 46 cm X 61 cm, s.d. [1829/1832]. Au dos on lit «  Mad. Dusouich & ses enfans  ».
Ce plan aquarellé a presque l’aspect d’un tableau de peintre. Cette usine, qui fonctionne uniquement par énergie hydraulique, est parcourue par de nombreuses voies d’eau qui finissent toutes par se jeter dans la Somme. Ces eaux y sont représentées en bleu-vert, tandis que les bâtiments sont délimités en rose, sauf toutefois trois grands édifices couverts élégamment en ardoises et dont le contour est alors en bleu. Ces formes architecturales anguleuses sont adoucies par la présence de 7 roues et par la représentation d’un jardin anglais.

Ce plan est orienté, par une flèche pointée approximativement vers le nord. La partie sud de l’usine est délimitée par la Somme et son chemin de halage. La rivière y est désignée par la mention «  Canal navigable (jusqu’à Paris) communiquant avec le Nord, l’Est et le Midi (à l’ouest avec la mer), dans tous les temps de l’été et de l’hiver ; il y a de la Mer jusqu’à l’usine 8 lieues  ». Le chemin est dénommé comme celui du «  Hallage (appartenant au propriétaire) du Canal  ». L’usine est séparée en deux parties, rives droite et gauche de la Nièvre. La Nièvre n'apparaît pas sous son nom mais par son qualificatif, bien plus vendeur «  Rivière qui fait tourner les moulins et qui se jette dans le canal navigable  » ! La partie sud (rive gauche de la Nièvre) est de forme triangulaire, tandis que la partie nord de l’usine (rive droite), présente l’aspect d’un rectangle allongé, décalé vers l’ouest, aussi délimité sur ses trois côtés nord, est et ouest, par une voie d’eau, spécifiée à trois reprises «  Rivière de décharge  » (de la Nièvre) qui revient se jeter dans la Nièvre, à proximité immédiate de la Somme. On compte 5 ponts, un au tout début de la rivière de décharge, juste après sa prise d’eau sur la Nièvre, et un autre à l'autre extrémité, avant son retour dans la Nièvre ; deux autres ponts dans l’usine, permettant de traverser la Nièvre, le plus important marqué «  Pont des moulins  » ; le dernier pont étant sur la Nièvre à sa jonction avec la Somme, pont beaucoup plus important que les autres puisque faisant partie du chemin de halage. La dernière voie d’eau représentée (mais de couleur bistre) relie perpendiculairement la Nièvre et la Somme, sous l’appellation de «  Bras détourné pour faire tourner la roue du grand bâtiment  ». Effectivement, après avoir traversé ce bâtiment le bras passe au-dessus du chemin de halage et se jette dans la Somme, ainsi qu'il l'est mentionné : «  Voûte de la chute du moulin du bâtiment ».

Le rectangle allongé de la partie rive droite de la Nièvre est lui-même séparé en deux rectangles. La parcelle située à l’ouest ne semble constituée que de pelouses et est entourée d’arbres. Elle comporte une allée centrale (ouest-est), elle aussi bordée d’arbres, appelée «  Chemin des Voitures  ». Par une porte à double battants (rouge), ce chemin donne accès à une vaste cour entourée de bâtiments (le second rectangle). Au sud se trouvent trois batiments industriels adossés à la Nièvre, chacun ayant une roue hydraulique. En remontant le cours de la rivière, rive droite, on trouve d’abord un grand bâtiment « Moulin à Farine ; avec magazin et Farinière ; 1 rez-de-chaussée ; 2 planchers  », puis un deuxième, touchant au précédent et portant à peu près les mêmes indications, mais plus petit et plus bas « Moulin à farine, 1 rez-de-chaussée ; 1 plancher  ». Le troisième bâtiment n’a pas d’usage spécifié [c’est donc le triturage du bois] « Moulin ; 1 rez-de-chaussée ; 1 plancher  ». Les autres bâtiments entourant la cour sont un «  Magasin  » (situé à droite de l’arrivée des voitures, près du premier moulin à farine, et un autre, plus imposant à gauche de l’entrée « Tonnelerie, Scierie, Charpenterie, Menuiserie, 60 p(ieds) de long, 25 p. de large, 1 grand rez-de-chaussée, 3 planchers  ». Au nord de la cour figurent un bâtiment double « Ecurie ; Etable  », puis une aire marquée « Basse-cour  » semblant comporter 6 petites mares et deux petits abris (en bleu). Le côté est de cette cour est aussi constitué de bâtiments, l’un marqué « Ecurie ; Vacherie ; Remise ; Magasin ; Grenier à fourage  », l’autre marqué « Maison pour loger 60 ouvriers ; 60 p(ieds) de long ; 30 p. de large ; 1 rez-de-chaussée ; 2 planchers ; Maison du concierge  ».

La partie triangulaire comprise entre la Nièvre et la Somme, comporte, aussi d’ouest en est, un bâtiment bleu, ayant la curieuse mention « Bâtiment de l’Etoile (couvert en ardoise) ; 92 p(ieds) de long ; 24 p. de large ; 1 rez-de-chaussée, 3 planchers  ». Perpendiculairement fut construit le « Bâtiment Neuf (couvert en ardoise) ; 50 p. de long ; 30 p. de large ; 1 rez-de-chaussée, 4 planchers  ». Celui-ci constitue aussi le côté ouest de la « Cour Blanche  », petite cour disposant d’une sortie avec porte vers le chemin de halage. Au nord de cette petite cour, figure un quatrième bâtiment industriel, lequel se trouve aussi situé rive gauche de la Nièvre et exploite l’impressionnante énergie de la rivière qui permet de faire tourner là deux roues supplémentaires « Moulins ; 60 p(ieds) de long ; 25 p. de large ; 1 rez-de-chaussée, 3 planchers  ». Du côté est de la cour Blanche est un autre très important bâtiment, allant jusqu’à la Nièvre et exploitant lui aussi l’énergie hydraulique avec une roue. Il s’agit du « Bâtiment de la Filature ; 60 p. de long ; 25 p. de large ; 1 rez-de-chaussée, 3 planchers  ». Côté sud de la cour, longeant le chemin de halage, est enfin un « Bâtiment ; 60 p. de long ; 25 p. de large ; 1 rez-de-chaussée, 2 planchers (le 2e couvert) ». Le long du chemin de halage, on rencontre ensuite un dernier bâtiment (bleu), lequel comporte en son centre la septième et dernière roue, roue plus grande que les autres et alimentée par le bras de décharge « Grand Bâtiment (couvert en ardoise) ; 92 pieds de longueur ; 32 pieds de largeur ; 1 rez-de-chaussée, 5 planchers ; Il y a dans l’intérieur une roue à eau de la force de 50 chevaux, en supprimant les 3 roues de la [rive] droite (chute 12 pieds)  ». Ce bâtiment est relié au précédent par un «  Couloir d’un bâtiment à l’autre  ».

L’extrémité Est de ce dernier bâtiment touche aux habitations du personnel de direction de l’usine dont la vue s’étend à l’est sur un vaste jardin anglais. A l’ouest de ce jardin est la première « Maison d’habitation ; 1 rez-de-chaussée, 2 planchers ; 8 chambres ». Elle est attenante à la «  Forge  », faisant le coin nord-ouest avec la seconde «  Maison d’habitation  » (sans annotations), cette dernière étant prolongée par la «  Remise du jardinier, magasins...  ». Au sud, est le chemin de halage, tandis qu’à l’est se prolonge la partie tronquée sur le plan de la suite de ce jardin anglais « L’Islier où 6 journaux d’arbres plantés sur la rive et de diverses espèces pour la réparation des Moulins, le tout à tourber ; Jardin à l’anglaise et potager  »

Enfin, un important encart (en haut à droite) essaie de convaincre un hypothétique acheteur avec de solides arguments qui s’ajoutent aux annotations élogieuses du dessin : «  L’usine a plus de 65 000 pieds-carrés de planchers. Elle est bâtie sur pilotis, d’une construction de 23 ans de date [sic], dans un état parfait de conservation. Tous les bâtiments sont en briques. Presque tous sont à l’intérieur entrelacés de charpente pour plus de solidité et pour empêcher l’écartement ; aussi les étages supérieurs peuvent supporter les charges les plus considérables. Elle a coûté plus de 500 000 francs à bâtir ; et la solive de bois coûtait alors 40 sols [2 francs], aujourd’hui elle se vend de 12 à 14 francs, encore il seroit impossible de tout se procurer pour recommencer cette bâtisse que des architectes-constructeurs n’entreprendraient pas - ont-ils dit - pour 1 500 000 francs (c’est sans contredit une des plus importantes de France). Le combustible est à très bon compte et la vie de même. On récolte beaucoup de lins et de chanvres ; la main d’œuvre est à bas prix, à payer 20 sols par jour un homme dans la force de l’âge. Il n’y a dans les environs aucune concurrence à craindre. On auroit dans le pays des débouchés immenses de ses farines car ils ont été bâtis pour ce genre et les moulins ne pouvaient suffire aux demandes. Une route de première classe passe à une demi lieue de l’établissement, une autre à 2 lieues, un chemin d’un département à l’autre y conduit.  »

On pourra remarquer que dès cette époque existait déjà un logement pour 60 ouvriers (dans l’usine, au fond), que les conditions de vie du personnel de direction étaient fort convenables (8 chambres, vaste jardin anglais) et que l’avenir de l’usine semblait avoir été assuré pour longtemps (en grande partie du fait de l’ancien seigneur) avec des constructions solides en brique, sept roues hydrauliques, et même des arbres plantés en prévision des réparations à effectuer à l’usine ! Et pourtant...

Dernière mise à jour de cette page, le 13 mars 2007.

 
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