L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL

Un incendie, du temps de la pompe à bras
Maison de Marthe Levé, vers 1938

Actuellement (en 2008), en ce qui concerne les incendies et situations diverses nécessitant des secours, L’Etoile relève du Centre de Secours de Flixecourt. Superbement alignés, les différents véhicules sont prêts au départ : V.S.A.B. (Véhicules de secours aux asphyxiés et blessés, ultra modernes, équipés de défibrillateur), le F.P.T. (fourgon pompe tonne, d’une contenance de 3000 litres d’eau, entièrement équipé de tout le matériel de lutte contre l’incendie, tuyaux, dévidoirs, échelles, haches, raccords divers, claie de portage, matériel de désincarcération, matelas coquille, etc.), la M.P.R. (moto pompe remorquable, équipée d’un moteur de Laguna Renault), le C.D.H.R. (camion dévidoir hors route, pouvant délivrer 2000 mètres de tuyaux), le camion de lutte contre l’incendie tout terrain, le canot d’assistance et de secours aux noyés, l’E.P.A. (échelle pivotante automatique, d’une longueur de 30 mètres avec pilotage pouvant actionner les trois fonctions simultanées ; levage, inclinaison et orientation, ainsi que la stabilisation automatique) sans oublier l’imposante structure de décontamination et une multitude de matériels divers.

L'incendie de la maison de Marthe Levé


Même pompe qu'à L'Etoile,
même chaîne humaine avec des seaux
même pompier qui abat un mur avec une hache
même échelle à crochets qui existait aussi à L'Etoile

Mais que faisaient nos ancêtres lorsqu’un incendie se déclarait il y a 70 ans ? Nos pompiers volontaires ne disposaient que de peu de matériel, à savoir une pompe à bras (semblable à celle représentée ci-contre, qui n'est malheureusement pas celle de L'Etoile), des seaux en toile, des haches, quelques tuyaux et lances, de longues perches en bois à crochets pour faire tomber les murs menaçants, et c’est à peu près tout… Leur dévouement sans limite, et la participation de toute la population, était souvent efficace, mais les pires situations leur échappaient néanmoins...

Vers 1938/1939, Mme Marthe Levé, 56 ans, habitait en face de La ruche, au sud-ouest du carrefour principal du village (Maison de gauche sur les cartes postales CP 6 ou CP 88). Marthe est visible sur la photo faite en face du café Cossard (n° 27).

Alors que Marthe venait à peine de découvrir un début d’incendie dans sa cuisine, se posait déjà le premier problème, celui d’avertir les pompiers : pas encore de téléphone dans chacune des maisons, guère plus de voitures, et de jour, les hommes presque tous au travail, à l’autre bout du village, chez Saint Frères. C’est un adolescent du quartier qui mit ses jambes à son cou et couru ainsi jusqu’à arriver, hors d’haleine, au bureau de poste, rue des Juifs. Là, le préposé au téléphone ainsi averti, téléphona à l’usine des Moulins Bleus et, quelques instants plus tard, la sirène de l’usine se déclenchait enfin. Encore heureux que c’était un jour de semaine et que l’incendie s’était déclaré durant les heures d’ouvertures du bureau de poste, sinon l’adolescent aurait du poursuivre sa course effrénée jusque chez le concierge de l’usine afin que ce dernier actionne la sirène. Il y avait près de 2 km entre l’habitation de Marthe et l’usine…

Immédiatement les pompiers volontaires de l’usine délaissaient leur métier à tisser, leur cardeuse ou autre encolleuse. La direction de l’usine était bienveillante à l’égard de ces bénévoles, elle complétait même les effectifs avec ses propres pompiers, sans toutefois se démunir totalement, de crainte d’un sinistre interne au même moment ! Dans la cour de l’usine un camion les attendait déjà. Mais ce camion n’étant pas prévu pour cet usage, les volontaires se tenaient aux ridelles afin d’éviter la chute. De temps en temps le camion devait encore s’arrêter pour faire monter d’autres pompiers.

Dans toute la commune on avait entendu la sirène. Immédiatement les hommes inactifs ce jour là quittaient leur jardin ou leur bricolage, les femmes remettaient à plus tard la préparation du repas, le biberon du bébé attendrait de même que les travaux ménagers. Tous se retrouvaient dans la rue, la tête en l’air à chercher l’emplacement du sinistre. Certains montaient dans les étages avec l’espoir de localiser plus rapidement les fumées. Le bouche à oreille diffusait aussi très vite l’information à travers tout le village. Quand enfin on savait, chacun se ruait chez lui, et comme à cette époque il y avait toujours au moins deux seaux dans la maison pour aller quérir l’eau à la pompe ou à la fontaine, tout le monde ressortait en courant, les seaux à la main. Dans un même élan collectif tous prenaient la direction du sinistre.

Le camion Saint Frères arrivait enfin, non sur le lieu du sinistre, mais au bâtiment aux pompes, au milieu de la rue d’Amiens. La porte monumentale était déjà grande ouverte, des pompiers s’affairaient à revêtir leur tenue de lutte. On sortait la pompe à bras. Le cheval venait seulement d’arriver, en retard. Aussi le pompier responsable de ce cheval, qui pourtant était un voisin, se fera sermonner. Mais en tout état de cause, comme le sinistre ne se trouvait qu’a environ 250 mètres, on convient qu’il est inutile d’atteler le cheval. Et c’est au pas de course que quatre vigoureux pompiers emmèneront la pompe à proximité du sinistre. Et bientôt la remorque contenant tous les accessoires suivra.

Entre temps Marthe avait vu arriver la foule des gens du village tenant leur seau à la main et s’apprêtant à former deux chaînes humaines. Dans la rue du Pont voisine (rue du Docteur Richard) se trouvaient deux pompes à eau (probablement prenant leur alimentation dans la nappe phréatique) qui servaient ordinairement à fournir l'eau d'usage domestique. On actionnait un bras et, lorsque la pompe était amorcée et que suffisamment d'eau était remontée, celle-ci coulait dans le récipient disposé en dessous du bec. Pas de risque de laisser couler l'eau..., si l'on ne pompait plus, l'eau ne coulait plus ! La pompe la plus proche de l'incendie se trouvait sur le trottoir au milieu de la petite cité Saint-Frères de cette rue (Cité "Blanchette", côté est), à environ 35 mètres du sinistre. La seconde pompe était située en face, au fond de la cour du boucher-charcutier voisin de Marthe (côté ouest de la rue) et donc quinze à vingt mètres plus loin. Ces deux pompes furent les deux seules sources d'eau qui purent alimenter la pompe à bras des pompiers !

Un incendie mobilisait un grand nombre d’hommes, et de femmes. Pour la pompe à bras des pompiers il fallait 4 hommes, et 4 autres dans l’attente de la relève. Pour chaque pompe locale il fallait 2 personnes supplémentaires se relayant. De la pompe locale à la pompe à bras, la première chaîne se composait d’environ 35 hommes et femmes placés côte à côte et se passant interminablement des seaux pleins d’eau, reçus de la main droite et transmis de la main gauche. La seconde chaîne, plus longue, comportait environ 50 à 55 personnes. D’autres volontaires, aussi nombreux sinon plus, se tenaient prêts à intervenir aux premiers signes de relâchements : il fallait sans cesse alimenter en eau la bâche (la cuve) de la pompe à bras afin qu'en pompant la machine puisse faire jaillir l'eau de ses tuyaux !

La pompe à bras arrivée sur place sur sa charrette, il était évidemment impossible de s'en servir tout de suite et d'actionner le grand levier à bascule dont la partie haute se trouvait pendant le transport à 2,50 mètres du sol, sans compter que la cuve était aussi bien trop haute pour pouvoir être facilement remplie d'eau ! Sans perdre de temps quatre solides gaillards avaient donc saisi énergiquement quatre poignées pour extraire du plateau de la charrette, cette lourde cuve et tout son équipement, et poser  l'ensemble par terre. Puis, compte tenu de la déclivité de la route en cet endroit, il avait encore fallu caler la cuve avec grand soin, et enfin l'on avait raccordé le tuyau de sortie à la cuve. Le sergent n’avait même pas eu le temps de crier « C’est parti » que déjà – ou plutôt enfin se disait Marthe –, les premiers seaux d’eau se vidaient dans la bâche, les quatre premiers pompiers s'activaient sur le levier à bascule et que l'eau jaillissait des lances pour se déverser sur le brasier.

Même les adolescents étaient de service, mais ces derniers avaient un travail bien spécifique. Lorsque le dernier homme de la chaîne avait vidé son seau d'eau dans la bâche, il ne prenait évidemment pas le temps de le poser au sol, il le jetait. Il était de la responsabilité des adolescents de ramasser ces seaux vides et de les ramener en courant jusqu’aux pompes locales. Ils ne devaient jamais se croiser afin qu’il y ait toujours le même nombre de seaux dans chacune des chaînes... Mais tout avait été mis au point avant même l’arrivée des pompiers !

Pendant près de deux heures les uns avaient pompé, les autres avaient transmis les seaux. Les doigts s’étaient s’engourdis, les épaules étaient devenues très lourdes et douloureuses malgré les remplacements successifs.

Les pompiers n’avaient jamais manqué d’eau et s’étaient démené de leur mieux pour circonscrire l’incendie. Mais avec seulement deux lances de service ils ne furent pas en mesure de sauvegarder l’habitation. Ce souvenir de deux lances laisse donc penser qu'une seconde pompe à bras, peut-être une vieille qui se trouvait au fond du bâtiment aux pompes, était venue s'ajouter à la première, chacune ayant eu sa chaîne (l'hypothèse de deux sorties sur une seule pompe étant peu probable pour l'époque).

La toiture s’effondra, des pans de murs en torchis éclatèrent sous l’effet de la chaleur et tombèrent sur la route. Le sergent donna l’ordre de tout cesser. Non seulement la maison de Marthe était entièrement dévastée mais il devenait même nécessaire de raser tous les murs pour éviter qu’ils ne s’écroulent sur la route.

Harassés, hommes et femmes, n'ayant pu éviter les éclaboussures lors de la transmission des seaux, étaient trempés jusqu’aux os, de la ceinture jusqu’aux pieds. Chacun, chacune essayait de récupérer son seau respectif. On s’inquiétait de savoir ce que Marthe allait devenir. La solidarité n’était pas un vain mot à L'Etoile, on proposait déjà de l’héberger chez des amis, quelques mètres plus loin.



Aujourd’hui, à l’emplacement de la maison de Marthe, il ne reste plus qu'une pelouse...

 

 

D'après une idée et un texte de Jacky Hérouart. Maurice Desplains n’était pas pompier mais il participa activement à combattre l’incendie chez Marthe. Il habitait rue d’Amiens, à une centaine de mètres de l’incendie. Il fut marqué par ce terrible épisode et s’en souvenait parfaitement dans ses moindres détails. C’est lui qui a transmis l’histoire à Jacky Hérouart, lequel nous la transmet à son tour, comme on se faisait passer les seaux. Les remerciements s'adressent aussi à Guy Bardoux qui, à l’époque habitait, dans la cité Saint-Frères exactement là où se trouvait la pompe.

Gravure extraite du Cours de Physique de A. Ganot, 1859, page 162, ouvrage numérisé, sur le web (On pourra consulter l'ensemble des pages concernant les pompes, pp. 155-163, en particulier les schémas de fonctionnement et les explications). Photo de la pelouse : J. Hérouart.

Dernière mise à jour de cette page, le 4 février 2008.

 

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