L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL

Les ponts et bacs anciens à L'Etoile (1200-1835)

Durant six siècles, ponts et bacs vont se succéder à L'Etoile, en alternance avec les périodes de paix ou de guerres.

Le pont de L'Etoile en 1217

C'est en 1217 que l'on relève a première mention de pont à L'Etoile, un pont présumé se trouver déjà sur le cours actuel de la Somme. Après des demandes réitérées, les échevins d’Amiens obtenaient de leur ami, Aléaume d'Amiens, seigneur de L'Etoile, l’autorisation d’élargir le pont de ce village, « ad mensura(m) viginti pedum elargabu(n)t » (à une largeur de 20 pieds, 6,50 m environ !), à charge pour ce seigneur d’en assurer l’entretien. L’échevinage d'Amiens, pour le plus grand profit du commerce de sa ville, avait donc disposé de la puissance financière et des influences nécessaires à l’aménagement à ses frais d’un pont distant d'Amiens de plus de 20 km pour le motif qu’il entravait la progression de leurs embarcations sur le trajet par voie d’eau entre leur ville d’Amiens et Abbeville. Il apparaît d’ailleurs fort probable que c’est ce même échevinage qui, pour la même raison de supprimer les entraves aux transports fluviaux, avait aussi obtenu antérieurement du seigneur de L’Etoile la canalisation rectiligne de la Somme.

Le pont démoli durant la guerre de Cent ans

Ce pont subsista jusqu'à la guerre de Cent Ans. Il fut volontairement démoli en 1346, probablement par ordre du roi. Dès lors, on peut penser qu’un bac remplaça le pont, comme à Daours, un bac étant d’un usage bien plus contrôlable en temps de guerre. En 1516, la longue guerre achevée, Antoine Leblond, premier du nom, achetait la seigneurie meurtrie de L’Etoile, sans château mais disposant encore du tas de bois du pont démoli ! L’acte d’achat est explicite, « en ce comprins le bois du pont dudict de L'Estoille, qui a été desmoly durant les guerres dernières faictes par les anglais ou Pays de Picardie ». Le pont fut certainement reconstruit rapidement. Du moins en 1585 était-il en usage puisqu’un autre Antoine Leblond (III ?) recevait à nouveau les plaintes de l’échevinage d'Amiens, exigeant derechef que le seigneur entretienne ce pont avec une largeur de 20 pieds.

Pont et bac après la guerre des espagnols

Ce pont va à nouveau disparaître, et une fois encore pour plus d’un siècle. Les exactions commises par les espagnols en l’année 1636 sont certainement la cause de sa destruction. En effet, ce pont était encore mentionné en février 1635, dans une pièce de procès où les religieuses revendiquaient un droit de pêche depuis la Nièvre jusqu’au pont de L’Etoile. Mais en février 1648, l’échevin de L’Etoile et trois laboureurs de ce village, au nom des habitants et de la communauté, empruntent 126 livres pour acheter un bateau afin de pouvoir faire passer la Somme aux habitants et bestiaux et se rendre aux prés et pâturages situés de l’autre côté.

Bac seigneurial affermé

En 1660 le bac est devenu seigneurial, il est mentionné dans une donation entre les Leblond, père et fils. En 1672, après Antoine Lejeune et Marie Berbière, partis pour le bac de Daours, c’est un Miannay qui devient fermier du bac de L’Etoile.

Un arrêt du Conseil d'Etat du Roi, en date du 22 août 1752, permet au sieur Calonne de Coquerel, seigneur de L'Etoile, de continuer à tenir un bac en ce lieu sur la rivière de Somme. Les tarifs y sont insérés, ainsi : 3 deniers tournois par personne à pied, pour passer et repasser le même jour ; 3 sols 6 deniers par carrosse attelé de 2 chevaux ; 9 deniers par bœuf ou vache, à chaque passage ; 1 sol par douzaine de porcs, de chèvres, de moutons ou brebis. Le seigneur sera tenu d'afficher les prix, d'entretenir le bac et les bateaux, de même que les chaussées d'accès.

En 1755, par contrat de mariage, Clément Beurier reçoit de son père Guillaume le matériel servant à la pêche et faisant partie du marché du bac : « Déclare encore, ledit Guillaume Beurier père, donner […] tous les ustencils qu’il a en sa maison et autres endroits audit Letoille, qui lui appartiennent, servant à la pêche, faisant partie du marchez du bac, consistant en trois batteaux dont deux grands et un petit... »

Le sieur de Cocquerel, n’avait pas été très sérieux, et mainmise avait été prononcée sur la seigneurie. C’est le sieur Jourdain de L’Eloge qui avait racheté L'Etoile en septembre 1766, mais celui-ci était bien plus intéressé par ses plantations d’arbres et la construction de ses moulins, aux Moulins-Bleus, que de la charge du bac seigneurial... En 1768, survient l’affaire du submergement du bac. Il n’est plus possible de traverser la Somme à cet endroit. Aussi, le 6 janvier 1769, les habitants de L'Etoile délibèrent et arrêtent de se pourvoir en la maîtrise des Eaux et Forêts, sur ce que "leur nouveau seigneur, après avoir occasionné le submergement de son bac par la négligence du passager [passeur], ne faisait aucune diligence pour le tirer de l'eau, en sorte que, depuis le 2 décembre dernier, eux et le public sont privés du passage ; ajoutant que leur nouveau seigneur qui, par des règlements au sujet des péages, travers, droit de bac et de pontonnage, doit tenir les chemins qui avoisinent de coté et d'autre, ainsi que les vergnes en bon état, ne fait aucune sorte de réparations audit chemin, qu'il a tenté de faire faire à corvée par les habitants de Condé et Folie et par eux-mêmes, en sorte que ces chemins sont et étaient, même avant l'hiver, absolument impraticables." Pour une fois, la communauté des habitants obtint satisfaction puisqu’il fut ordonné par les Eaux et Forêts que le nouveau bac devrait être en état pour le 31 du mois de janvier. Mais tout n’est pas gagné, un nouveau procès s’engage contre le seigneur, cette fois à propos des tarifs ! En mai 1769, nouvelle victoire, la communauté obtient un abonnement global pour un montant de 75 livres. Les procès continueront toutefois, pour l’entretien des chemins d’accès par le seigneur, sans toutefois obtenir de satisfaction en ce domaine...

Un pont vers 1783...

Pont et bac avaient toujours été associés dans les pensées des stelliens. Ainsi, vers 1665, on relevait dans une déclaration générale du dîmage aussi bien la mention de "mazure de la chaussée du pond de Lestoille" que celle de "voielle du quay et bacq de Lestoille".

Sauf « submergements », on l’a vu, ce bac resta fonctionnel au moins jusqu'en 1783. Mais on manque d’informations sur la construction d’un nouveau pont, une ou quelques décennies plus tard. Le 10 mars 1791, le directoire du département autorise les habitants de L’Etoile à faire effectuer des "réparations" au pont – mais certainement faut comprendre en ce terme, restauration du pont ancestral et donc reconstruction. Ce projet s’accompagne d’un procès dont l'issue devrait décider si les stelliens paieront seuls les frais ou avec les habitants de Condé-Folie-Bas. Mais en avril 1795, le projet n’avait pas encore été concrétisé puisqu’une pétition revendiquait une école à L’Etoile (en plus de celle de Condé-Folie), compte tenu des dangers du passage en bac pour de jeunes enfants... En 1807, le pont est enfin devenu une réalité puisque le plan géométrique barre la rivière de deux petits traits (figurant le pont) qui rejoignent la chaussée de part et d’autre ! On sait aussi que le bois de ce pont, dont on dit qu’il avait été construit aux frais des habitants de Condé-Folie, sera revendu en 1835.

 

Dernière mise à jour de cette page, le 5 décembre 2006.

 

 

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