L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL
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Le recensement de 1836

En 1836, près de 50 ans après la Révolution et après le vide laissé par l’inactivité des moulins à farine de l’ancien seigneur, L'Etoile se voit proposer une tentative de mécanisation, avec une scierie et une filature, et des espoirs souvent déçus. En 1821 l’usine inactive des Moulins-Bleus avait été vendue par les héritiers du seigneur. En 1824 l'anglais Parott, tentait d'y introduire une filature de laine, mais une faillite suivait et l’usine était revendue en 1832. Dès lors l’usine était dissociée entre sa partie scierie et triturage (Sorel) et sa partie filature et moulins à blé. L’espoir renaissait, on arrivait même de loin, pour trouver du travail à L'Etoile...

Présentation du relevé

Le premier ETAT NOMINATIF DES HABITANS de L'Etoile est celui de 1836. Il se présente sous forme d’un cahier pré-imprimé (27 cm x 40 cm) dont les pages portent les états des individus (30 personnes par page). En couverture (première page) se trouve la récapitulation signée du maire, Jourdain de Prouville, en date du 16 juin 1836 .

Les pages intérieures du cahier comportent chacune treize colonnes dont les premières sont dénommées : Numéro d’ordre général (n° 1), des ménages (en réalité numéro d’ordre des maisons) (n° 2), Noms de famille (n° 3), Prénoms (n° 4), Titres, qualifications, état ou profession et fonctions (n° 5). Les deux triples colonnes suivantes sont un Etat civil des habitans, en colonnes des Sexe masculin et Sexe féminin subdivisées respectivement en Garçons, Hommes mariés et Veufs d’une part, et Filles, Femmes mariées et Veuves d’autre part. Les dernières colonnes sont celles des Age (n° 12) et Observations (n° 13).

Le cahier est rédigé proprement et régulièrement, ce qui laisse penser qu’il est la mise au propre d’un brouillon utilisé pour se rendre de maison en maison. Ainsi s’expliquerait d’ailleurs quelques absurdes erreurs de recopie comme Bernard au n° 347 (alors qu’il faudrait lire Bonnard), et comme 3 épouses cochées comme étant des filles, 2 veufs pris pour 2 veuves, une inversion en sens inverse, et encore deux inversions qui cette fois se compensent numériquement entre 1 fille et 1 garçon... Le récapitulatif corrigé du nombre d’individus est donc :
Sexe masculin : 455 (et non 454) répartis en 228 garçons, 206 hommes mariés et 21 (et non 20) veufs ;
Sexe féminin : 439 (et non 440) répartis en 200 (et non 203) filles, 202 (et non 199) femmes mariées et 37 (et non 38) veuves ;
Total : 894 habitants et 229 maisons.

Ménages et maisons

Les numéros de ménages sont en réalité ceux des maisons, mais cette confusion est peu gênante puisque, à L'Etoile, il y avait souvent identité entre famille et maison. Les écarts du village, que sont Moreaucourt et les Moulins-Bleus, sont recensés en fin de liste. La dernière maison est celle occupée par M. Sorel, propriétaire de la scierie.

L’observation des relevés montre que l’ordre standard d’inscription des individus d’une maisonnée est rigoureux : en premier le chef de famille, puis son épouse et leurs enfants, ceux-ci classés par ordre décroissant d’âge, puis les autres membres éventuels de la famille (aïeuls ou autres, quelquefois spécifié) et enfin les domestiques.

La moyenne du nombre d’habitants par maison est de 3,9 ce qui est très raisonnable. L’avant dernière maison (n°228) fait exception, étant habitée par 27 (ou 28) personnes, mais on comprend sans peine qu’il s’agit du logement de contremaîtres et d’employés des Moulins-Bleus (groupement rassemblant une filature, des moulins à blé et une scierie). Parmi les 228 chef de maisonnées, l’on compte 23 femmes (soit 10 % des chefs) dont 19 veuves (âgées d’un peu plus de 60 ans en moyenne), 3 célibataires âgées de 34, 45 et 60 ans, et une femme qui vivait séparément de son mari.

Les rues reconstituées

On regrettera évidemment que les noms des rues ne soient pas indiqués dans ce premier dénombrement. Leur reconstitution et la place de chacune des maisons en bordure de ces rues est toutefois possible puisque l’on dispose de deux autres sources de documents. Ce sont d’une part les feuilles des plans dits napoléoniens (conservés à la mairie et au cadastre), lesquels sont à trois ans près de la même date (1833 au lieu de 1836), plans très précis qui présentent l’intérêt évident de mettre en évidence, coloriés en rouge, les emplacements des maisons et bâtiments. La seconde source est le registre de l’Etat de section des propriétés bâties et non bâties (reconnu dater de 1835) lequel mentionne les nature et nom du propriétaire de chacune des parcelles du plan [3 P 296/3].

Cette reconstitution des rues a été globalement réalisée. Les premières observations faites entre les noms des propriétaires des parcelles construites et ceux des habitants, ont montré que de manière évidente le recenseur était allé de maison en maison, non pas en restant d’un même côté de la rue ce qui aurait simplifié la reconstitution, mais en passant en permanence d’un côté à l’autre de la rue. On sait aussi que le recenseur avait commencé ses relevés en interrogeant d’abord les occupants de la maison située la plus à l’est de l’agglomération, rue Saint-Martin (à la limite des prés et des champs, champs qui à cette date arrivaient presque jusqu’à l’emplacement de l’ancienne mairie, actuelle cantine). Le recenseur s’était ensuite dirigé vers le château, puis il avait fait demi-tour pour recenser la partie est de la rue d'Amiens jusqu’à l’Ecce-homo, était remonté vers la rue Gaillarde, avait poursuivi vers l’église avant de revenir vers le château en passant par la rue des Juifs. Puis il s’était rendu à nouveau rue d'Amiens, pour en terminer son recensement vers l’ouest, interrompu toutefois par un détour dans les petites rues perpendiculaires, avait poursuivi son travail par la rue de Domart, la rue d’Abbeville, la rue du Pont (mais seulement pour le tronçon faisant la jonction avec la rue suivante), la rue Jacques-Antoine et à nouveau la rue du Pont (suite et fin). Pour compléter son recensement il s’était enfin rendu au hameau de Moreaucourt et aux Moulins-Bleus. Si l’on s’imagine zigzaguant sans cesse d’un côté à l’autre des rues, comme l’avait fait le recenseur, et si l’on se reporte aux feuilles des plans on arrive donc aussi, en général assez facilement, à associer l’emplacement des maisons et la famille qui l’habitait. Par ailleurs l’association avec les données de l’Etat de Section des Propriétés Bâties nous permet d’en conclure que de très nombreux chefs de famille étaient propriétaires de leur maison (et non locataires).

En reprenant les noms des rues comme ils figurent sur les plans choisis en référence, la reconstitution (approximative) est donc la suivante :

N° 1 à 15 (numéros des maisons). Rue Saint-Martin, depuis la limite des champs (juste après l’ancienne mairie) jusqu’à la Place du Luxembourg, cette rue n’ayant guère d’habitations que du côté nord ;
n° 16 à 45 (environ). Rue d’Amiens (en partie), vers l’est depuis la Place du Luxembourg jusqu’à l’Ecce-homo (où se trouvaient alors les dernières maisons du village, côté est) ;
n° 50 (environ) à 84. Rue Gaillarde en allant de l’Ecce-homo vers l’église ;
n° 85 à 102. Rue du Presbytère (vers l'église, côté nord, jusqu’au n° 97) puis retour par le côté sud (n° 98 à 102) ;
n° 103 à n° 108. Rue des Juifs (en descendant, du nord au sud) jusqu’à la rue d’Amiens ;
n° 109 à 116. Rue d'Amiens (suite), retour vers l’est depuis le carrefour de la rue des Juifs jusqu’à la Place du Luxembourg ;
n° 117 à 122 (environ). Rue d'Amiens (suite), vers l’ouest depuis le château jusqu’à la rue au Sac ;
n° 128 (environ) à 135 (environ). Rue au Sac ;
n° 137 (environ) à 154 (environ). Rue d'Amiens (suite et fin), depuis la rue au Sac jusqu’au carrefour de la rue de Domart ;
n° 155 (environ) à 164. Rue de Domart ;
n° 165 (inclus ?) à 189. Rue d'Abbeville, depuis les champs à l’ouest jusqu’au carrefour ;
n° 190 à 197. Rue du Pont (début), entre la rue d'Abbeville et la rue Jacques-Antoine ;
n° 198 à 202. Rue Jacques-Antoine, depuis les champs à l’ouest jusqu’au carrefour ;
n° 203 à 223 (environ). Rue du Pont (suite et fin), en allant vers la Somme ;
n° 227. Moreaucourt (la ferme de l'Habit) ;
n° 228 et 229. Les Moulins-Bleus (dans l'usine).

Provenances géographiques

Dans la recherche de l’immigration à L'Etoile et des lieux de naissances de ces personnes nées hors de L'Etoile, la consultation des récents fichiers informatiques des registres d’état civil (XIXe siècle) et des recensements ultérieurs (en particulier celui de 1872) est d’un grand secours. Ces fichiers ont permis de prouver de manière certaine que, parmi ces 894 individus recensés à L'Etoile en 1836, près du quart (199) de ces personnes n’étaient pas nées dans ce village. C’est une certitude pour 124 personnes dont le village natal a été identifié, presque toujours une localité du même département, et souvent peu éloigné de L'Etoile. Mais on relève encore 75 autres personnes dont le village de naissance n’a pas été déterminé. Ce sont des domestiques, des fileurs et autres personnels de la filature, la famille Rozelle des meuniers de Moreaucourt, des épouses (presque toujours fileuses) et des enfants. En définitive, pour l'année 1836 et alors que le développement industriel n'en était qu'à ses débuts, on comptait déjà 22 % des habitants qui étaient venus de l’extérieur pour s’installer à L'Etoile !

Les villages d’origine (attestés ou non, et de manière non exhaustive), par ordre alphabétique, sont : Abbeville (1), Airaines (1), Amiens (6 ou 8 personnes dont Jourdain de Prouville, le maire du village, fils du dernier seigneur), Beauquesne, Beauvoir-Rivière, Bernaville, Berneuil, Bettencourt-Rivière, Bouchon, Bourdon, Bussus, Chaussoy-Epagny, Cocquerel, Condé-Folie (10), Crouy, Domart, Doudelainville, Doullens, Estréboeuf (?), Famechon (?), Flixecourt (9), Francières, Gorenflos, Gorges, Hangest, La Chaussée, Lamotte-Brebière (?), Longpré-les-Corps-Saints (LCS), Long, Longuet, Neuilly-le-Dien, Picquigny, Pont-Remy, Prouville, Sorel, Soues (?), St-Ouen, Surcamps, Vauchelles, Villers-sous-Ailly ( ?), Villers-sur-Authie, Ville-St-Ouen, Wanel et Yzeux (ou Seux ?).

Venant de plus loin on signalera par exemple Vincent Rambures (journalier né à Rémy, Oise), Abel Dachez, ménétrier natif de Barly (Pas-de-Calais) et Jean-Baptiste Jubault, filateur aux Moulins-Bleus né à Paris, ces deux derniers s’étant installés à L'Etoile avec femme et enfants.

Sauf cas particuliers il semble que l’on puisse classer ces arrivants en deux groupes, celui d’épouses ayant quitté leur famille pour rejoindre leur mari natif de L'Etoile et celui de familles constituées venues chercher du travail dans ce village. Inversement, si l’on cherche ce que sont devenus les enfants nés à L'Etoile dans les 36 années précédentes (depuis 1800) on constate que 92 personnes manquent au recensement. A moins que leur décès ne soit passé inaperçu c’est donc dire aussi que, devenus jeunes adultes, ces stelliens étaient partis vivre ailleurs (et vraisemblablement pour une quinzaine d’entre eux à la suite de leur mariage, là encore surtout pour les femmes).

En résumé L'Etoile apparaît en 1836 comme un village attractif, dont la population est formée d’une base de familles anciennes d’environ 700 individus et de 200 nouveaux arrivants, venus en grande partie des villages voisins, et en particulier par mariages, et pour quelques dizaines de personnes, souvent natives de localités plus éloignées et même de Paris, par l’attrait des emplois nouveaux aux usines des Moulins-Bleus et dans le bâtiment, ces immigrés arrivant assez souvent avec femme et enfants. L’Etoile fut d’ailleurs toujours un village d’accueil, même pour les garde-sel en poste tout au long de la Somme, sous l’Ancien Régime. Par ailleurs en 1636, un mouvement inverse se produisait et le village n’aurait atteint les 1 000 habitants que si une centaine d’entre eux n’étaient pas partis vivre ailleurs.

Courbes d’âge

La répartition quantitative entre hommes et femmes est assez équilibrée. On a vu en effet dans les récapitulatifs qu’il y avait globalement à L'Etoile un peu plus d’individus du sexe masculin que de sexe féminin, mais davantage de veuves que de veufs ! Une première analyse des âges montre que l’individu le plus vieux n’avait que 89 ans (et que son cadet ne dépassait pas 86 ans !). L’informatique permet d’obtenir avec facilité de nombreux compléments statistiques : on observe ainsi que l’âge moyen était étonnamment jeune puisqu’il n’était que de 29,87 ans (29 ans 10 mois) tandis que l’écart-type est particulièrement important avec 20,15 ans (20 ans 2 mois), ce qui exprime une très grande diversité dans les âges, sans dominante. De fait une analyse plus fine montre que de 0 à 50 ans les cinq tranches d’âges que l’on peu constituer de 10 ans en 10 ans ont des effectifs assez semblables, toutefois celle qui est la plus importante est celle des enfants de moins de 10 ans ! Par contre les individus de plus de 50 ans sont beaucoup moins nombreux, sans même évoquer les plus de 80 ans qui ne sont que six ! On verra que ces observations pourront être reprises pour le recensements de 1851 et encore pour celui de 1872. Les enfants - quand ils n’étaient pas encore en âge de travailler – ne devaient pas manquer de compagnons de jeux ! De fait les premières cartes postales montre souvent de nombreux enfants dans les rues.

Métiers (hommes, femmes et enfants)

La mention des métiers dans ce premier recensement est très riche en informations sur l’époque. Concernant d’abord les enfants, il est clair qu’avoir 12 ans en 1836, surtout si l’on était une fille, voulait dire que l’on se mettait immédiatement au travail ! On relève même les cas de trois enfants encore plus jeunes et déjà productifs, ceux d’Ester Cagé, fileuse âgée de 11 ans, d’Ernestine Hulot, aussi fileuse, 10 ans, et même celui d’Hortense Obry, « rattacheuse », 9 ans ! Pour Hortense, finie l’école, de même que pour sa sœur, 12 ans, aussi rattacheuse ! Ces deux enfants vivaient toutes deux dans la maison collective des Moulins-Bleus avec leur mère, fileuse, veuve, âgée de 41 ans. Dès 12 ans les filles étaient donc presque toutes fileuses (sinon soigneuses ou rattacheuses) tandis que les garçons étaient journaliers, mais à 13 ou 14 ans seulement, la force physique exigée par les travaux manuels (sinon une scolarité prolongée) semblant justifier ce retard dans la vie active !

Le mariage, ni plus que le veuvage, ne changeait rien à l’activité des femmes. Elles continuaient à travailler, presque toujours comme fileuses, le gagne pain de leur enfance. Les chiffres sont parlants : 201 des 239 femmes mariées ou veuves demeurant à L'Etoile en 1836 étaient fileuses (soit 84 %) ! Inversement, seules 8 femmes adultes n’avaient pas de profession désignée ! On trouvait quand même un peu d’originalité avec sept domestiques, une meunière et une marchande mercière (avec sa mère), mais aussi une propriétaire (épouse du maire, fils de l’ancien seigneur) et deux indigentes... Pour les autres femmes le métier reprenait celui de leur époux, sans que l’on sache quelle était exactement leur fonction, ainsi neuf femmes dites cultivateur et une pour chacune des professions de fileur, de marchand de toile, d’aubergiste, de brasseur, de cabaretier, de menuisier et de marchand de mouton.

L’éventail des professions était bien plus varié chez les hommes. Parmi les 227 hommes mariés ou veufs, on pouvait distinguer trois secteurs d’activités dominants, celui traditionnel de la terre, celui très récent du textile industriel et enfin celui des petits métiers indépendants, professions artisanales et commerce. Le secteur agricole, représenté par 25 cultivateurs et 3 propriétaires, 2 bergers, 1 vacher, 1 porcher, 1 pureur de grains et 1 extracteur de tourbe comptait peu d’individus. Mais si l’on y inclus les 6 manouvriers, et aussi les 59 journaliers et les 59 ménagers (les ménagers seront à nouveau intégrés aux journaliers dans le dénombrement de 1851), soit 124 personnes d’activités non spécifiques et traditionnellement employés aux travaux agricoles (mais certains d’entre eux devaient alors être employés dans les deux usines des Moulins-Bleus), l’on totalise alors 154 adultes (67 %) liés à la terre.

Quelques artisans travaillaient traditionnellement pour les exploitants agricoles, 4 maréchaux (dont un ancien maréchal et un garçon maréchal) et 2 charrons. D’autres œuvraient pour tous et réparaient les chaussures ou fabriquaient des chaudrons : 6 cordonniers (dont 2 ouvriers cordonniers) ; 1 chaudronnier. De nombreux individus travaillaient pour le bâtiment (d’ailleurs, depuis 1785, l’augmentation du nombre d’habitants était régulière au rythme moyen de 7 personnes par an). Ils sont donc 6 maçons (dont un ancien maçon), 5 charpentiers (dont 3 ouvriers charpentiers), 5 menuisiers (dont l’un affecté aux Moulins-Bleus et 2 ouvriers menuisiers), 2 couvreurs en chaume, 1 vitrier et 1 serrurier mécanicien. Les 6 meuniers se répartissaient en deux catégories, les 3 Rozel (qui exerçaient à Moreaucourt) et les 3 autres (2 Lancel et 1 Fourny), dont on sait qu’ils avaient fait construire leur moulin à vent après la fin des privilèges accordés par la Révolution.

Les activités textiles sont prépondérantes, du moins chez les femmes et les filles : elles sont 278 à être fileuses ! Des hommes, beaucoup moins nombreux, occupent des postes techniques dans la filature avec 3 contremaîtres dont l’un dit âgé de seulement 19 ans (mais l’un au moins pourrait avoir été contremaître de la scierie), 1 filateur, 8 fileurs (dont 6 sans précision, 1 fileur de laine et 1 fileur de coton), tous ces professionnels nouveaux étant étrangers au village. Pour les activités plus traditionnelles, on compte 4 peigneurs de laine (dont l’un aussi journalier), 3 tailleurs (dont l’un n’exerçait plus), 3 marchands de fils, 2 marchands de toile (père et fils) et 1 marchand mercier.

Les commerces se développaient avec un brasseur (dont on sait que l’activité s’étendait jusqu’à Amiens), 2 marchands de moutons et un autre marchand (sans précision), mais les gens du village trouvaient aussi alors de quoi se restaurer hors de chez eux – et surtout boire – avec 2 aubergistes et 2 cabaretiers, pour un seul épicier et un marchand de légumes. On l’a vu, le commerce du textile n’était pas absent du commerce.

Parmi les diverses autres professions, citons 1 instituteur, 2 ménétriers, 11 domestiques, 1 batelier, 3 cantonniers, 1 garde champêtre, 1 garde (garde bois ou garde moulin ?), 2 jardiniers, 1 rentier, 2 indigents et enfin deux seuls grands-pères se contentant de vivre !

La variété des professions se retrouvait aussi chez les jeunes hommes célibataires, comme par exemple ce contremaître âgé de 19 ans. Probablement trouvait-on plus facilement une épouse en ayant un bon métier... Quelques spécificités relatives à l’âge ou à l’état sont aussi observées comme trois soldats ou fourrier âgés de 24 à 26 ans, le curé desservant et quatre apprentis, ouvriers charpentier, menuisiers et cordonnier (alors que seuls deux hommes mariés étaient ouvriers).

On remarquera que certains secteurs professionnels ne sont aucunement représentés. Par rapport aux professions mentionnées dans le registre des Contributions foncières de l'an XI (1802), disparaissent les métiers de blatier, boulanger, cendrier, chasse-marée, savetier, valet de charrue (et la mention de pauvre) [3P 296/1]. Par ailleurs la justice est absente, aucun notaire ni avocat ni huissier ; le corps médical n’est pas représenté (ni chirurgien, ni médecins, ni sage-femme, ni non plus de vétérinaire) ; il n’y a pas même un facteur !

Les prénoms

Dans cet état de 1836 les individus recensés ne sont généralement désignés que par un seul et unique prénom, leur prénom usuel. On peut remarquer que celui-ci est bien souvent le dernier des deux ou trois prénoms qui sont consignés dans l’acte de baptême (ou de naissance). Mais il arrive aussi que ce soit le premier, et il n’est pas rare que ce ne soit aucun de ceux mentionnés dans l’acte ! Le plus souvent il s’agit de donner une variante à un prénom déclaré (comme par exemple Adeline au lieu de Pascaline ), ou de former un nouveau prénom à partir de ceux indiqués dans les actes, ainsi Eugénie Bazillisse qui devient Angélisse ! On relève aussi de vrais surnoms comme François dit Nabot (dans ce cas un surnom quasi héréditaire pour une branche CAGE, dont plusieurs autres coexistent dans le village). Enfin certains prénoms sont variables dans le temps, ainsi qu’on peut le constater en comparant des déclarations de dénombrements successifs, comme Sabine, qui s’enrichit d’abord en Sabine Prudence et qui se réduit ensuite à Prudence !

Les Moulins-Bleus

La Révolution avait réduit à l'inactivité l'important site des Moulins-Bleus où l'ancien seigneur avait fait construire ses renommés moulins à farine (et au malaxage des bois). Une période mal connue s'en était suivie, et en 1821 Jean Baptiste Nicolas Judas Dusouich avait racheté l'usine aux neuf enfants héritiers, espérant faire prospérer le triturage des bois. Mais la concurrence en décida autrement. Deux des six roues retournèrent à la production de farine, et pour une troisième, l'espoir se reporta sur un nouveau brevet de filature... Le machinisme textile tentait pour la première fois de s’implanter à L'Etoile. Espoir vite déçu, la déconvenue fut considérable : « En 1824 le Sr Parott, anglais d'origine, vint à Amiens. Il avait obtenu du gouvernement un brevet pour l'exploitation exclusive d'une filature de laine d'après des procédés particuliers. Il sut que Mr. Dusouich était propriétaire des Moulins-Bleus et qu'il ne pourait rencontrer un plus bel emplacement pour sa filature. Il présenta des avantages qui paraiss(ai)ent si baux, si brillants, si certains qu'on se laissa persuader, on monta la filature. Elle marcha, ou plutôt elle végéta, pendant 15 mois sous la direction du Sr Parott. Et au bout de ce temps sa retraite laissa une perte de plus de 36 000 f(ranc)s !! » [3 E 24203].

Le 4 septembre 1832 l’usine des Moulins-Bleus était vendue à l’audience des criées, en deux parties : les associés Sorel, industriels amiénois du triturage des bois qui utilisèrent leur espace acquis (rive gauche de la Nièvre) pour tenter de développer leur activité tandis que les Ledieu, banquiers d'Amiens, s’orientèrent vers la filature (rive droite), sous la responsabilité d’un maître filateur parisien, M. Jubault.

Arrivant quatre années après cette vente, le recensement de 1836 devrait donc permettre d’observer la place prise par la filature industrielle, parallèlement au travail à la maison. Malheureusement le recensement n’est pas assez précis dans le détail des professions : rien dans les termes employés ne distingue une fileuse à la maison d’une fileuse de filature. Et parmi les hommes rien ne permet de reconnaître un manouvrier agricole d’un employé non qualifié de la filature... Et l’on ne sait pas à quelle activité correspondait le terme nouveau de ménager !

Bien que les Moulins-Bleus ne soient pas désignés dans le recensement de 1836, il ne fait aucun doute que les 30 dernières personnes du recensement, toutes nées hors de L'Etoile et réparties en deux "maisonnées" de 28 et 2 personnes, demeuraient dans l'enceinte de l'usine (n° 865 à 894, ménages 228 et 229). Le plan publicitaire de la vente Dusouich en 1832 met d'ailleurs en valeur deux bâtiments d'habitation (dont l'un comportant 8 chambres) visiblement réservés au personnel de direction (donnant sur un jardin anglais) et un autre bâtiment situé au fond de l'usine "Maison pour loger 60 ouvriers" et maison du concierge. Il restait donc 30 places... Amédé Sorel, 26 ans, propriétaire de la scierie, vivait seul avec une domestique. Il aurait occupé l'une des maison de directions. Les 28 autres personnes regroupées - selon le recensement -, étaient Jean-Baptiste-Ferdinand Jubault, le filateur, 39 ans, y demeurant avec son épouse, leurs trois enfants et deux domestiques, trois contremaîtres et les enfants de l’un d’entre eux, un menuisier, cinq fileurs, une fileuse veuve et ses deux filles déjà rattacheuses (12 ans et 9 ans !), et quatre soigneuses. Logeaient-ils tous dans la maison d'ouvriers ?

Rappelons que les inventions anglaises virent leurs premières applications en France au tout début du XVIIIe siècle, et qu’ainsi le filateur dirigeait l’entreprise, les fileurs conduisaient les métiers à filer, lesquels transformaient la mèche en fil, et que les rattacheuses étaient chargées de faire des nœuds de tisserands lorsque les fils cassaient ; quant aux soigneuses il semble qu’elles plaçaient et attachaient les bobines de fil dans les navettes. Par contre l’on ne sait pas combien les trois contremaîtres avaient d’employés sous leurs ordres (ni d’ailleurs quels hommes travaillaient à la scierie Sorel). Leurs quelques colocataires semblent en nombre bien insuffisant. Alors, qui étaient leurs employés, dont la profession n’apparaît jamais dans le recensement ? Etaient-ils ces 59 hommes nouvellement désignés par le terme de ménager, ou seulement tout ou partie de ces 278 femmes et enfants dites fileuses, sans aucune distinction ? Les hommes semblent exclus, comme employés, puisqu’on les retrouvera comme généralement dits journaliers en 1851. Quant aux femmes elles seraient bien trop nombreuses, et l’on sait que cette appellation de fileuse se trouvait déjà en 1802 (et même bien avant) alors que la mécanisation n’était pas encore introduite en France. On supposera donc que les fileuses travaillaient encore en grand nombre à domicile, au rouet (au rythme de 10 ou 20 grammes de laine filée à l’heure), sans savoir dans quelle proportion ni non plus si elles étaient indépendantes ou si elles travaillaient pour une filature, celle de L'Etoile ou d’autres, à Abbeville ou à Amiens ! Par contre l’on n’a pas de doute sur trois mentions nouvelles intéressantes, celle de « fileuse, au mois » (Virginie Miannay, n°139), et celle qui apparaît à deux reprises, « fileuse de coton » (n° 209 et n° 666), preuve d’une volonté d’innovation et d’ouverture vers des textiles autres que la laine traditionnelle. (Mise à jour de la page, 23 février 2005)

 

 
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