L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL
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Le recensement de 1851

Le milieu du xixe siècle n’est guère réjouissant à L’Etoile. Une épidémie de choléra et de nouvelles désillusions aboutissant à l’inactivité des trois usines des Moulins-Bleus ont fait chuter la population de plus d’une centaine d’habitants. Après l’échec de la filature, L’Etoile est redevenu un village à dominante agricole.

Composition

Le recensement pré-imprimé de 1851 est intitulé DENOMBREMENT DE LA POPULATION, ETAT NOMINATIF DES HABITANTS DE LA COMMUNE DE l'Etoile. Ce un cahier (29 cm x 45 cm) porte en première page les consignes qui étaient à respecter pour le remplir (professions, maladies, individus à ne pas inscrire, etc.). Par rapport au recensement de 1836 (faute d’avoir retrouvé celui de 1846), on observe que ce dénombrement était beaucoup plus ambitieux, devant porter cette fois les noms des rues, mais aussi bien d’autres compléments comme le culte, les maladies et infirmités apparentes, etc. L’enregistrement de ces données était donc prévu sur des doubles pages divisées en pas moins de 35 colonnes (les 18 premières sur les pages de gauche), chaque page comptant 30 lignes (soit 30 individus).

On observe que 794 lignes furent remplies (et 3 lignes laissées en blanc rue du Presbytère), ce qui correspond donc à une population de 797 personnes en 1851.

Les premières colonnes concernent les désignations du village (toujours L'Etoile) et des rues, et les numéros des maisons, des ménages et des individus. On relève immédiatement quelques erreurs ou anomalies. Il faut lire « Suite de la rue Jacques-Antoine » (et non du Rue du Pont) pour les individus 241 à 257 (reconstitués). La rue d'Amiens est coupée en trois (maisons 1 à 21, puis 22 à 37, et 35 à 64, avec doublon évident de 35 à 37) ; et dans cette même rue, le groupement « Maison 4 et Famille 4 » est repris deux fois (et bas de page et en haut de page suivante). Enfin la numérotation individuelle est fausse après le n° 83, le recenseur ayant repris la numérotation des individus au numéro 1 à chaque nouvelle rue ! (la numérotation correcte a été si reconstitué dans le fichier).

Viennent ensuite les colonnes des nom de famille, prénoms, professions et état civil (deux colonnes sexe subdivisées en 3 colonnes à cocher suivant que l’individu est célibataire, marié, veuf ou veuve), puis les colonnes âge, et nationalité (aussi subdivisée en 3 colonnes, Français d’origine, naturalisé ou étranger), et enfin les colonnes de la page opposée. Pour L'Etoile, tous les individus sont cochés comme Français (colonne 16) et tous sont de culte Catholique Romain (col. 19). Les autres colonnes des secondes pages sont toujours laissées vide. En exception, la colonne 24 (aveugle) est cochée pour Fleure Fricot (n° 351 reconstitué), et dans la colonne 34 (Autres maladies ou infirmités apparentes) on relève quatre boiteux : Jean-Baptiste Machy (n° 106 reconstitué), Frédéric Godin (n° 426), Fulgence Ranson (n° 525), et Jean Louis Froidure (n° 790).

Récapitulatifs

Les trois dernières pages fournissent chacune un récapitulatif différent sur le nombre de garçons, d’hommes mariés, etc., par rue pour le premier (15 rues), par âge pour le deuxième (d’année en année) et plus détaillé (professions) pour le troisième. Ce fastidieux travail de synthèse fut pourtant réalisé avec soin. Une vérification faite sur les individus des cinq dernières rues montre une parfaite exactitude des chiffres portés. Curieusement, on relève parfois des résultats moins précis en regroupant les données des pages centrales. Ainsi, pour la Rue du Presbytère, le récapitulatif du nombre de veuf est exact alors que d’après les données individuelles de ce cahier il serait faux (un veuf étant coché comme veuve) ! On peut donc penser que la synthèse fut réalisée à partir d’un brouillon de ce recensement et que le document dont on dispose n’est qu’une copie mise au propre (mais avec des erreurs) ! On constate également que Rue du Presbytère, les 3 lignes blanches y sont comptées dans le récapitulatif comme un couple marié avec une fille ! Le récapitulatifs par âge est lui aussi sérieux même si l’on y détecte quelques minimes différences. Ainsi les vérifications, effectuées pour les seuls récapitulatifs des individus âgés de moins de 20 ans, ne donnent pour uniques différences que 7 filles et 7 garçons (au lieu de 8 et 6 dans le récapitulatif) pour les recensés de moins de un an portés dans ce cahier; 8 filles et 5 garçons (au lieu de 7 et 7) âgés de 1 an ; 6 filles et 9 garçons (au lieu de 7 et 8) âgés de 8 ans, et 9 garçons (au lieu de 10) âgés de 20 ans.

La dernière synthèse, celle de la Récapitulation générale, mentionne : 15 rues, 231 maisons et 238 ménages. On ne peux contester le nombre de rues, mais on relève quelques maisons et ménages supplémentaires, soit après correction, 235 ou 236 maisons, et 242 ou 243 ménages.

La récapitulation des professions de la dernière page est très intéressante. En voici les chiffres. Dans le domaine de l’Agriculture, on compte 34 propriétaires cultivateurs [qui cultivent leur exploitation] (22 hommes et 12 femmes) et 30 fermiers propriétaires [qui vivent du produit de leur ferme] (18 + 12), 252 journaliers tels les jardiniers, laboureurs, etc. (151 + 101), 57 journaliers propriétaires (32 + 25), 30 journalières faisant aussi un autre état (0 +30) et 23 domestiques tels les valets de ferme, bergers, etc. (12 + 11). Ces nombres sont très voisins de ceux calculés à partir des pages centrales, avec des nuances et des compléments, comme les mentions des 2 pureurs de grains, 3 pâtres de la commune, comme Pierre-Antoine Magnier qui est « Propriétaire-Fermier-Cultivateur », comme Thimoléon Ducrotoy qui est « Propriétaire-Cultivateur-Boulanger », ou encore comme Numa Ducrotoy qui est « Journalier-propriétaire, greffier de la mairie ». Ce total partiel est de 426 individus travaillant dans l’agriculture (soit 53 % des habitants, ou encore 74 % des actifs) : L'Etoile est encore un bourg agricole — ou l’est redevenu !

Pour l’Industrie et le Commerce, en commençant par la Grande industrie ou les Manufactures, on relève, dans l’industrie extractive, 10 extracteurs de tourbe (6 + 4), 3 fabricants n’utilisant pas le fer (3 + 0) et 8 divers (présumés meuniers à eau et à vent (3 maîtres et 5 ouvriers). La petite industrie et les marchands sont représentés par 14 maîtres dans le bâtiment (dont 4 charpentiers, 1 couvreur en ardoises), 20 (11 maîtres et 9 femmes) dans l’habillement, comme les brideuses, couturières, etc. (dont 6 marchands de rouennerie), 35 (20 + 15) dans l’alimentation, tels les cafetiers, marchands d’animaux, etc., 3 (2 maîtres et 1 ouvrier) dans les transports, comme bourrelier, paveurs, etc. (dont 1 fournisseur de cailloux), 1 Lettres-Sciences-Art... (Gustave Fricot, étudiant à l'Ecole Normale), et 7 divers (5 + 2 femmes).

Dans la rubrique des Professions libérales, on compte 27 (6 + 21) propriétaires vivant de leurs biens, 1 pensionné de l’Etat, 1 magistrat, 1 employé de commerce, 1 instituteur, 1 ecclésiastique, et 17 autres (14 + 3). Il n’y a aucun domestique attaché à une personne, ni mendiant, ni détenu, ni fille publique... La liste se termine par 46 femmes vivant des biens de leur mari et 176 enfants en bas âge (75 + 101). Précisons qu’aucun enfant de 12 ans ou moins ne travaille (si l’on excepte deux enfants de 10 et 12 ans, élèves de l’instituteur ), mais qu’on en relève déjà 63 % (17 sur 27) enfants âgés de seulement 13 ou 14 ans, qui sont au travail, domestiques, journalier, marchande épicière ou extracteur de tourbe !

Personne n’est oublié, le total est bien de 797 individus (et même 798 !). Il faut donc en conclure que ce n’est pas par oubli que la ligne « « Fabrication des tissus de coton, de soie, de laine, de lin, de chanvre, de poils et de crin » est vide ! Le site des Moulins-Bleus est donc dans une période critique, sans scierie, sans moulins, mais aussi sans filature !

Le document se termine par une observation générale « La population a diminué de 102 habitants depuis le dénombrement de 1846. Cette diminution doit être attribuée au choléra et autres épidémies ». Compte tenu des constatations concernant les Moulins-Bleus, on peut douter que les épidémies soient les seules causes de la diminution de l’effectif... Un dernier chiffre est éloquent : la population de 797 habitants se répartit en 185 agglomérés et 12 éparses (dont 6 à Moreaucourt et seulement 4 aux Moulins-Bleus, Auguste Landrejean, ouvrier mécanicien, et sa famille !)

La signature du maire, (Florent) Lejeune, parachève le recensement, sans le dater. Mais le plus jeune enfant recensé étant Hippolyte Carpentier, dit âgé de 15 jours, on en conclura que le dénombrement fut réalisé vers le 21 mars 1851.

Age moyen

L’âge moyen, qui est de 33,36 ans, a augmenté de 3 ans en 15 ans (29,89 en 1836), tandis que l’écart type de 20,87 ans nous informe d’une très grande diversité dans les âges des habitants.

Provenances géographiques

En 1851, il n'y a plus aucune activité professionnelle aux Moulins-Bleus, c'est dire que presque toutes les familles étrangères venues chercher du travail à L'Etoile et recensées en 1836 sont reparties. Il n'y a plus trace des Tristram, des Jubault, des Tricot, des Barbier, des Saguet, des Obry, des Ménial, des Lecointe, ... la liste des absents partis sans laisser d'adresse est longue. Les patronymes sont presque tous redevenus exclusivement locaux et les villages d’origine des habitants peu nombreux, et surtout peu éloignés de L'Etoile. Voici ceux qui ont été déterminés, en commençant par la Somme : Ailly-HC ; Airaines ; Amiens ; Authie ; Beauquesne ; Berneuil ; Berteaucourt-les-Dames ; Bettencourt-Rivière ; Bettencourt-Saint-Ouen ; Bouchon ; Bourdon ; Bussus ; Chaussée-Tirancourt (La) ; Chaussoy-Epagny ; Cocquerel/Longuet ; Condé-Folie ; Crouy ; Domart ; Ergnies ; Famechon ; Flixecourt ; Fontaine-sur-Somme ; Francières ; Gorenflos ; Hangest-sur-Somme ; Longré-les-Corps-Saints ; Lihons ; Long ; Mesnil-Domqueur ; Neuilly-le-Dien ; Picquigny ; Pont-Rémy ; Prouville ; Sorel ; Seux ? ; Soues? ; St-Ouen ; St-Sauveur ; Surcamps ; Vauchelles-les-Domart ; Villers-sous-Ailly ; Ville-St-Ouen ; Wanel ; Yaucourt-Bussus ; Yzeux ; etc. ; (62) Auxi-le-Château ; (62) Barly? ; (62) Beauvoir-Wavans ; (62) Bryas ; (62) Pont-de-Briques ?? ; (62) Sarton ; (75) Paris ; etc.

Les Moulins-Bleus

La disparition du recensement de 1846 est une perte fort dommageable pour la compréhension des transformations complexes qui affectèrent les Moulins-Bleus durant la période 1836-1851. Rappelons qu'en 1836, les Moulins-Bleus étaient un site comportant deux usines distinctes, une filature et une usine de triturage des bois (et scierie). Voyons ce que nous savons sur les transformations du site des Moulins-Bleus :

1838 : Décès de M. Jubault, maître filateur de la filature des Moulins-Bleus [Registres de L'Etoile].
1844 : Spectaculaire incendie de la scierie de M. Amédé Sorel et des moulins à blé de M. Ledieu [Le Glaneur, samedi 20 juin 1844 (n°1278), rubrique Long-Pré-les-Corps-Saints ; Id, samedi 13 juillet 1844 (n°1280), LEtoile].
1846 (10 et 11 juin) : Acquisition de la partie de l’usine des Moulins-Bleus appartenant à Mme Veuve Ledieu par Monsieur Berly.
1850 (15 septembre) : Vente par adjudication de la scierie Sorel (rive gauche de la Nièvre). Les annonces publiées dans les journaux nous décrivent les logements et l’usine « Jolie maison d’habitation, logement du contre-maître, logement du mécanicien, écuries, remises, bâtimens nécessaires, le tout construit en briques en 18 5 [sic (1845), au cahier des charges], cour et jardin. -- La scierie est montée de deux chariots à madriers, un chariot à gros arbres, et de deux scies circulaires. -- ... -- Par jour, il est scié 200 madriers de 4 mètres, donnant un bénéfice brut de 120 fr. -- Par 24 heures, ou par un jour et une nuit, il est trituré 700 kilogrammes de bois préparé, bénéfice brut 63 fr. » [Courrier de la Somme, n° 769 à 773]. Il n'y eut qu'un seul candidat à la reprise de l'usine, Mr Poulain, banquier à Amiens. Celui-ci se révéla command de 3 personnes, lui-même et ses deux associés.
1851 : Décès à L'Etoile d’Amédé Sorel, célibataire âgé de 40 ans...

On le voit, au moment du recensement, les Moulins-Bleus sont au plus bas, avec deux reventes récentes, dont l'une par adjudication... Il n’y a plus aucun indice de fonctionnement d’une filature. Seules 19 femmes sont fileuses, encore sont-elles 15 veuves qui travaillent vraisemblablement à domicile. On est très loin des 278 femmes (ou filles) fileuses recensées en 1836 ! Un chiffre résume cette désaffection générale du site : il n’y a plus que 4 habitants aux Moulins-Bleus (au lieu de 30 en 1836) !

Par contre le moulin à eau de Moreaucourt, lui, est toujours en action, et les ailes de deux moulins à vent profitent maintenant de l’énergie éolienne sur deux hauteurs de L'Etoile. Au moins, on ne manque donc pas de farine !

Notes sur le fichier

Rappelons que les numéros d’individus ont été reconstitués suivant l’ordre d’inscription dans le cahier (et qu’ils ne sont donc identiques à ceux du cahier que jusqu’au n° 83, marquant la fin de la rue d'Abbeville). Les mentions de la forme « même profession » ont été remplacées par celle de la profession précédente (maintenue au genre masculin) et celles du genre « vivant du travail de son mari » « ... de ses parents» par l’abréviation « vivant… ». La mention « Chef » qui ne figure pas sur l’état a été systématiquement ajoutée à la ligne du premier cité des ménages. Les colonnes "CI (Code d'Identité attribué à chaque individu né à L'Etoile) ou lieu naissance" et "Observations GL (Remarques par l'auteur)" ont été ajoutées à ce fichier pour une meilleure utilisation comparative. Enfin rappelons que le symbole = est utilisé pour placer à sa gauche une information remplaçant ou complétant les données originales mises à sa droite (Dernière mise à jour de cette page, 23 février 2005).

 

 
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