L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL

Les curieuses communions solennelles de mai 1942

 
 

Les préparatifs des communions solennelles de mai 1942, rue d'Amiens, ancienne école des filles et Ets Flandre, en présence de Monseigneur Joseph Evrard, évêque de Meaux...
Photo de gauche, prise devant les Ets Olivier Flandre : les enfants de chœur sont ceux de Condé-Folie. La dame avec le chapeau pointu est Clémence PECQUET (épouse Aymard ; elle a trois neveux qui communient Charles, Claude et Marius). Derrière elle, c'est très certainement Jeanne PERONNE (épouse Pecquet).
Photo du milieu : deux communiantes s'engagent dans les locaux Flandre, juste en face de l'école des filles.
Photo de droite : mains dans le dos (à droite de l'enfant portant la croix), il s'agit de Marcel CAUX.

 

Entre le 20 mai 1940, jour de l’arrivée des allemands, et le 2 septembre 1944, jour de la libération, la commune de L'Etoile a été occupée à 10 reprises par une kommandantur qui logea dans un premier temps à l’Auberge du Colvert (Rue d'Amiens) puis au chalet Lancel-Bodereau (actuellement 111 rue du 8 Mai) et au domicile des époux Fiévet (Rue aux Sacs), maisons vidées de leurs occupants attitrés depuis l’évacuation. La plus longue période d’occupation fut celle du 20 mai au 10 novembre 1940, occupation annoncée officiellement par le « Feldpost  N° 38.223 ». Les occupations suivantes, du 5 au 19 mars 1941, du 2 avril au 10 mai 1941 et du 14 juin au 24 octobre 1941 figurent au « Feldpost N° 30.305E », pour ce qui est des dates qui précédent les communions de mai 1942.

Durant ces périodes d’occupation les Stelliens apeurés adoptent une attitude prudente, restant dans l’expectative. Dans les premiers mois, aucune imprudence, on respecte les ordres : pas de rassemblement. L’Amicale des anciens élèves cesse ses activités, il n’y a plus de football, ni de ballon au poing. Dès fin 1940 des syndicalistes sont obligés de quitter la vallée de la Nièvre, certains sont arrêtés pour le motif d’inculpation « propagande communiste ».

Mais ce contre-pouvoir syndicaliste rouge ne disparaît pas. En septembre 1941 les ouvriers cessent le travail à l’usine des Moulins Bleus, prétextant de « percevoir une paie ultra maigre ». Les allemands arrêtent des militants communistes pour le motif de « menace de grèves ». Et plusieurs de ces militants garderont un très mauvais souvenir du chalet Lancel... C’est en effet en ce lieu que l’on enfermait les fortes têtes pour les faire parler, sous la torture, avant de les incarcérer plusieurs mois à la prison d’Amiens.

Le 11 novembre 1940 la France apprend que les allemands, aidés par la police française, ont chargé des milliers d’étudiants venus Place de l’Etoile à Paris pour rendre hommage au soldat inconnu. Cette commémoration avait été interdite par les allemands et le gouvernement de Vichy. Il y eut de très nombreux blessés et beaucoup d’arrestations. Les français découvrent également les déportations massives concernant les juifs, les communistes et les résistants. Dans toute la France des hommes, des femmes sont arrêtés, emprisonnés, certains sont internés pour le seul fait qu’ils veulent la paix, qu’ils ne se soumettent pas ou qu’ils résistent à l’envahisseur !

A L'Etoile on s’interroge sans bien comprendre le but de toutes ces exactions de la part des allemands. Par précaution on rejette le journal « L’Etincelle », une publication communiste qui circulait habituellement dans la commune. Un malaise s’installe dans les foyers. On essaie de se faire ignorer de l’occupant, davantage, on prend de la distance avec tout ce qui peut déplaire... Simultanément, les familles se regroupent pour tenter de vivre et manger a peu près normalement : il n’y a que très peu de pommes de terre, pas de viande, pas de vin. Les tickets de rationnement sont pratiquement devenus inutiles et le marché noir se met en place peu à peu. Au fil des mois, l’année 1941 se passe toutefois sans trop de sévices, hormis pour certains délégués récalcitrants.

C’est alors que l’abbé Jean-Baptiste Pont envisage des communions solennelles, ouvertes à tous, adolescents et adultes, pour l’année 1942 !

Après les millions de morts de la guerre de 1914/1918 le clergé français avait découvert peu à peu l’étendue de la déchristianisation. Les cardinaux et les évêques de 1940 étaient d’anciens poilus de 1914 ayant partagé la vie des soldats dans les tranchées. L’abbé Pont lui-même avait participé activement à la défense de sa patrie en 1914/1918. Homme d’action, volontaire, infatigable, autoritaire quand il ne parvenait pas à ses fins, il se dévoua corps et âme pour les trois paroisses qu’il desservait : L'Etoile, Condé-Folie et Bouchon.

Cette idée de communions est accueillie très favorablement par les Stelliens, d’abord parce de très longue tradition les stelliens étaient des catholiques fervents, mais aussi parce que communier en cette année de guerre, c’était en quelque sorte se démarquer de ces communistes qui risquaient à tout moment les représailles de l’occupant…

Ainsi à L'Etoile, sous la houlette de l’abbé Pont, on assiste à une mobilisation des paroissiens. De nombreuses personnes de confession ou de tradition catholique, et qui pour différentes raisons avaient négligé la religion ou hésitaient à la pratiquer, viennent alors spontanément aux réunions de l’abbé. Au fil des mois le groupe grossit et ils sont bientôt près de 50 adolescents et adultes qui souhaitent malgré leur âge plus ou moins avancé… effectuer leur première communion solennelle. On l’a vu, si la majorité communie dans la logique des croyances familiales et à l'âge habituel, la motivation d'autres jeunes gens et jeunes filles à s’engager vers Dieu était parfois autre, ou double, mais personne n'avouerait un dessein autre que religieux... Au début de l’année 1942, à l’Etoile on donne même un nom à ce mouvement, « Un Renouveau au Catholicisme », et aussi « La population se rapprochant de Dieu ». Pour accéder à ce sacrement, une préparation est toutefois exigée afin que la communion ne soit pas reçue sans un apport spirituel. Mais cette préparation indispensable se fera assez rapidement : la participation régulière à la messe dominicale est souhaitée et une retraite collective sera organisée quelques jours avant la cérémonie pour l’ensemble des communiants qui ont déjà acquis un minimum d’expérience spirituelle.

L’abbé Pont est comblé ! Il promet une cérémonie religieuse comme on n’en a jamais vu à l’Etoile ! Il veut jumeler les communions solennelles habituelles des enfants avec celles des adultes,  et pour rehausser l’éclat de cette cérémonie il espère la présence de Monseigneur l’Evêque du diocèse d’Amiens. On ignore les propos échangés entre l’abbé Pont et les hautes sphères de l’Evéché d’Amiens mais ce ne sera que Monseigneur Joseph Evrard, évêque de Meaux, qui viendra assister notre curé, accompagné semble-t-il du doyen de Picquigny.

Et en effet ce sont quarante-huit adultes âgés de 15 à 21 ans qui effectueront leur communion solennelle, en plus d’une bonne trentaine d’enfants, garçons et filles de 11 et 12 ans. Le jour de la cérémonie, une foule énorme envahit L'Etoile. L’église est bien trop petite, et il en est de même du foyer Saint-Jacques de la rue du Pont où s’effectuent habituellement les préparatifs et le départ de la procession… Aussi, en début de matinée, avec l’accord du maire par intérim Monsieur Olivier Flandre - lequel n’apprécie pas trop la présence des allemands dans sa commune -, il est décidé que les préparatifs se feront à l’école des filles, ainsi que dans les locaux dudit Flandre situés juste en face de l’école. Les jeunes hommes porteront le costume et une paire de gants, et les jeunes filles auront toutes un voile sur la tête. Condé Folie contribuera avec ses enfants de chœur qui apporteront leur concours ainsi que par deux chantres qui viendront assister celui de L'Etoile, (Arcole ?) Flandre. On note la présence de quelques allemands, mais ils se feront le plus discret possible dans la foule. Les communiants sont accueillis à l’église par le bedeau, Gaston Deschamps, qui pour la circonstance a revêtu ses vêtements d’apparat et porte la crosse surmontée de la statue de Saint-Jacques. Durant la messe, chacun de la foule agglutinée dans l’église voudra communier et recevoir l’hostie symbolisant le corps du Christ, et c’est alors la cérémonie qui s’éternisera bien plus que prévu, pour la plus grande satisfaction des ecclésiastiques.

Et pour donner encore plus de solennité à cette journée, pour en laisser une empreinte indélébile dans le temps, avant les vêpres, une procession est organisée avec départ au calvaire du carrefour des routes d’Abbeville et de Bouchon, et arrivée à l’église. Les vêpres auront lieu à 17 heures. C’est le moment de s’attacher à Dieu pour toujours devant les Fonds Baptismaux.

Au sortir de ces vêpres tout le monde est satisfait, à commencer par l’abbé Pont qui ne sait plus où donner de la tête devant la foule venue le remercier. Mais les plus satisfaits ce sont les communiants et leurs familles qui vont vivre dorénavant sous de meilleurs auspices, en attendant la Libération du pays tenu sous le joug allemand…

Mais soixante-cinq ans après, en 2007, plusieurs personnes refusent encore de se reconnaître sur les photographies de ces très particulières communions solennelles…

Concernant la photo du groupe de communiants (voir en bas de page), ils ne sont que 38 sur les 48 ayant effectivement communié. Certaines de ces absences s'expliquent par le fait que des personnes habitaient Bouchon ou Condé Folie. Mais on connaît aussi quelques noms d’autres absentes…, l’on a respecté leur désir de rester anonyme. Pour les 38 présentes sur la photo, 7 n’ont pas été reconnues et 2 déclarent "n’avoir pas communié en 1942", leurs noms n’ont donc pas été mentionnés...



 
Sur cette photo, plus exactement une carte-photo puisque tirée en carte-postale, on reconnaît, rassemblés dans la cour de l'école des filles, Monseigneur Evrard qui se fait présenter les communiants par le doyen de Picquigny (?), ainsi que : 1) André CARPENTIER ; 2) Mr . Albert PHALEMPIN ; 3) ? ; 4) René SEGUIN ; 5) Hugues DARRAS ; 6) ? ; 7) Gaston BARDOUX ; 8) René HANQUET ; 9) Guy BARDOUX ; 10) ? [au fond] ; 11)Hubert BLANCHARD ; 12) Réjane SALOPPE ; 13) Rébecca DECAIX ; 14) ? ; 15) ? ; 16) Ginette DUPONT ; 17) Michel HENACHE. Et presque de dos, Monsieur l’abbé Jean-Baptiste PONT.

 




Du haut vers le bas et de gauche à droite. Rangée du fond (garçons) : 1) Lucien  DELARRE [devant] ; 2) André  CAYEUX [derrière] ;  3) Claude  PECQUET [devant] ;  4) Charles  PECQUET [derrière] ; 5) Marius  PECQUET [devant] ;  6) Robert  RENOUARD [derrière] ; 7) Armand  CARLES [devant] ; 8) Yves TILLIER (de Bouchon) [derrière] ; 9) René  DAUSSY ; 10 ) ??? [Condé-Folie] ;
Rangée suivante (garçons et filles) : 11) Guy  BOUCHER ; 12) René  DELARRE ; 13) Emile  DEBRUIKER ; 14) Serge  DUPONT ; 15) Melle ??? ; 16) Gaston  MENU [tête seule] ; 17) Melle Christiane  PARENT ;  18) Melle Madeleine  REMOND ;  19) Melle Eliane LERAILLE ;
Deuxième rang (filles) : 20) ??? ; 21) ??? ; 22) Réjane  SALOPE ; 23) Josiane  ROUCOUX ; 24) Mathilde ROBERT [lunettes, de Bouchon] ; 25) Céline  GUEDES ; 26) ??? ; 27) Ginette  DUPONT [petite] ; 28) Yvonne  BUTEUX ; 29) Liliane DUCOIN ; 30) ??? ;  31) Renée DUPAYS ;
Premier rang (filles assises) : 32) ??? ; 33) Odette  LETAILLEUR ; 34) Rébecca  DECAIX ; 35) ??? ; 36) Henriette  DUPONT ;  37) ??? ; 38) Renée DUPONT.

 

D'après une idée et un texte de Jacky Hérouart. Crédits photographiques : Jean Hénache (communiants posant pour la photo) et Mme Marie Bonnard (Coll. Mme Micheline Hérouart), pour les autres photos. C'est Gustave Bonnard, époux de Marie, qui de son vivant avait raconté à Jacky Hérouart, son gendre, l'histoire de ces curieuses communions. Le couple était présent à la cérémonie, pour la communion de Guy Bardoux. Le bedeau était Gaston Deschamps, grand-père de Jacky Hérouart. Remerciements à Guy Bardoux pour les noms de la photo de présentation des communiants, non communiqué pour les noms de la photo générale.

 

Dernière mise à jour de cette page, le 27 octobre 2007.

 

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