L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL | |||
Période ancienne | Période récente | Divers (Auteur, liens, etc.) | Accueil |
Quel lien y a-t-il entre deux célèbres cantatrices de Paris, "Monsieur Cornard" et la première bannière de la fanfare municipale de L'Etoile ? Vous le saurez à la lecture de ce surprenant récit !
A la fin du siècle dernier l’une des plus belles demeures de l’Etoile, située rue du Pont, était habitée par deux sœurs, Célestine et Paola MARIÉ de L'ISLE.
Célestine Marié de L'Isle (novembre 1840 à Paris – 22 septembre 1905 à Vence) était une célèbre mezzo-soprano française, fille de Mécène De L'Isle et de Harttsuss, "sans autre renseignement". Elle avait épousé un sculpteur nommé Galli. En 1875 elle avait créé Carmen de Georges Bizet à l’Opéra-Comique. Les portraits et affiches de Célestine sont très nombreux sur le web (ci-contre, à droite, par H. Doucet, en 1884). On connaît aussi une photographie par Nadar (BNF, Bibliothèque-musée de l'Opéra, EST / PORTR)].
Mademoiselle Paola Marié de L'Isle (ci-contre, à gauche), plus jeune, née le 28 mars 1851, était aussi une célèbre artiste dramatique et cantatrice ; elle interprétait entre autres à Paris le principal rôle, celui de Clairette, dans le célèbre opéra comique La fille de Mme Angot, opéra créé en 1872, livret de Clairville, Siraudin et Koning sur une musique de Charles Lecoq.
Si ces deux sœurs Marié n’apparaissent jamais dans les recensements comme habitantes de L'Etoile, ce qui est logique étant donné qu'elles n'y avaient pas leur habitation principale et qu'elles voyageaient beaucoup, il est néanmoins certain que Paola résidait fréquemment à L'Etoile puisque le recensement de 1906 mentionne, rue du Pont, que Prosper Pécheur (N° 363) est concierge de "Paola Marié de L'Ile" et que celui de 1911 stipule qu'Eugène Fallet (N° 368), toujours rue du Pont, est à son tour concierge de "Marié de l'Isle".
La résidence de Paola, que l'on appelait couramment "Maison Paola" au siècle dernier, est toujours existante. Elle domine, toujours aussi élégante, au milieu d’une propriété située actuellement au 45 rue du Dr Richard (sur la gauche dans la ligne droite après le dernier virage en direction du pont).
Non loin de cette élégante demeure existait, dans les marais, un modeste cabanon fait de briques, recouvert de branchages et de tourbe, et ne contenant que le mobilier nécessaire à la vie de tous les jours. Ce cabanon servait d’habitation à un solide gaillard, type armoire à glace, barbu toujours coiffé de son éternelle casquette, « Monsieur CORNARD ». Ce n’était que son surnom, mais ce pseudonyme était le seul sous lequel on le connaissait, tant et si bien que depuis des décennies on ne se souvenait plus de sa véritable identité ! L’état civil nous apprend toutefois que son vrai nom était Edouard Théodore FLANDRE. Mais concernant cet historique et pour rester dans le contexte de l’époque c’est volontairement que l’on continuera à l’appeler Monsieur Cornard. Il était né le 21 novembre 1844 à Flixecourt, fils de Théophile, ouvrier peigneur de laine, et de Julie Lognon, et s’était marié à L'Etoile le 18 février 1869 avec Félicie Basilia Woignier (née à L'Etoile en 1850). Le couple habita rue Jacques-Antoine en 1872 et y serait certainement resté si Félicie n’était décédée à l’âge de 29 ans, le 10 février 1879 à l’Etoile, après seulement 10 années de mariage. C’est environ à partir de ce décès que les souvenirs relatent l’histoire de Monsieur Cornard et de la bannière de la fanfare municipale du village.
La brutale disparition de son épouse avait profondément traumatisé M. Cornard. Il s’exila donc dans le cabanon des marais, lieu-dit rue des Prés, ne voulant plus avoir de contact ni de conversation avec personne, et notamment pas avec les femmes qu’il pouvait éventuellement rencontrer et qu’il menaçait d’une harangue : « Passe ton chemin, femme, sinon j'te barzille (1) ». Avec le temps la douleur s’était estompée ; en 1906, il avait une servante pour s’occuper de son ménage, Mme Cézarine Danten. Ce cabanon, il l’eut jusqu’à la fin de sa vie, même si le recensement de 1926 le donne comme habitant du château, avec de très nombreux autres locataires. Son cabanon se trouvait du côté des Moulins Bleus à l’extrémité de l’étang appelé officiellement « L'Etang Carré » (ancienne tourbière). Mais cet étang porte également le nom de d'Etang Cornard et il est encore connu aujourd’hui sous ce nom...
Vu sa carrure, Monsieur Cornard ne passait pas inaperçu dans la commune, notamment lorsqu’il venait se ravitailler ; mais il retournait bien vite dans son cabanon, avec ses maigres victuailles pour la semaine. Il ne se nourrissait que de pain et de fromage ; néanmoins, il complétait son alimentation de poissons, lesquels se trouvaient en quantité à proximité de chez lui. Il en avait d’ailleurs fait un commerce assez important dans la commune. Il avait aussi travaillé chez Saint-Frères aux Moulins Bleus où il avait pour mission d’effectuer de menus travaux ou réparations dans les maisons louées par la société.
Peu avant les années 1890, Paola Marié de Lisle avait pris pour habitude de répéter en semaine dans sa propriété en plein air à l’Etoile avant de retourner à Paris... De son cabanon, Monsieur Cornard ne fut pas sans entendre cette cantatrice. Un jour il s’enhardit et, traversant les marécages, il vint à proximité de la propriété et fit la connaissance de Paola. Assis dans l’herbe il l’écouta inlassablement tant et si bien qu’il fut bientôt capable de lui donner la réplique. Doté d’une solide voix de stentor, M. Cornard montait au sommet du Camp de César, en un endroit bien visible de Paola, qui se trouvait dans sa propriété à plus de 200 mètres, et le couple entonnait une opérette pour la plus grande joie des habitants, même ceux situés très loin ! Après de nombreux essais, plus ou moins fructueux, leur duo fut très remarqué dans la commune et aujourd’hui encore de nombreuses personnes âgées se souviennent des récits des répétitions de Paola Marié et M. Cornard...
Cette forte voix chaude et retentissante fut remarquée par Madame Galli-Marié, la sœur de Paola, elle aussi cantatrice de renom. Etonnée de la facilité avec laquelle M. Cornard était parvenu en si peu de temps à donner la réplique à sa sœur, elle le supplia à plusieurs reprises de l’accompagner à Paris afin, dans un premier temps, de réaliser quelques auditions directement à l’Opéra ! Mais celui-ci refusa chaque invitation. Finalement, à bout d’argument, mais tenant à obtenir gain de cause, elle lui avait offert ... sa robe de scène en velours, celle qu’elle revêtait lorsqu’elle interprétait Carmen ! Persuadée que ce magnifique cadeau déciderait enfin notre stentor à venir à Paris, ce ne fut que peine perdue : il resta sur sa décision au grand désespoir de la cantatrice !
M. Cornard emporta toutefois la robe, couleur rouge bordeaux, mais malheureusement il en fut bien embarrassé après quelques mois... Cette robe qu’il soignait pourtant amoureusement risquait de moisir dans son cabanon très humide... Et que pouvait faire un homme d’une robe d'une telle importance ?
Un jour de 1890 une idée lumineuse lui traversa l’esprit : il allait en faire cadeau à la fanfare municipale ! Depuis 1875 existait à l’Etoile « Un orphéon avec musique orphéonique doté d’orphéonistes choraux (2) ». Mais en mai (ou juin) 1890, à l’initiative de M. Maisnel, cet orphéon avait été dissout et remplacé par l’association dite Fanfare Municipale, avec pour premier président E. Magnier (né en 1857 et marié à Adrienne Cauet). Une fanfare sans bannière c’était impensable ! Monsieur Cornard offrit donc la robe de Mme Galli-Marié à la fanfare nouvellement créée et proposa de faire tailler une bannière dans cette robe ! On se doute que la proposition fut sûrement adoptée à l’unanimité des membres. De fait, en 1891 la bannière de la fanfare, objet tant souhaité et qui devait certainement faire défaut notamment lors des défilés dans les communes extérieures, revenait taillée dans un magnifique velours rouge bordeaux ! Durant bien plus d’un demi-siècle la bannière défilera un peu partout dans le département, et même bien au-delà ; mais bien rares étaient les admirateurs qui se doutaient que sous cette bannière de la fanfare de L'Etoile se cachait la vraie robe de scène de Carmen à l’Opéra de Paris !
En 1962 il devint cependant urgent de remplacer la bannière. Le temps, le vent, la pluie et le soleil, ne l'avait pas épargnée. Le conseil municipal décida son remplacement. Le 7 juillet 1962 au cours d’une cérémonie de remise de médailles, le Docteur Richard, maire du village, remit une nouvelle bannière à M. Minard, président de la fanfare, qui la remit lui-même à M. Charles Debris, le porte-drapeau alors en fonction.
![]() |
![]() |
Notons que si la fanfare municipale de l’Etoile à bien été créée en 1890, il est étonnant de trouver la date de 1891 sur la bannière. La logique voudrait que ce soit 1890, date de la création, comme cela se fait dans toutes les fanfares et autres harmonies. Mais à l’Etoile ce choix de la date de mise en service de la bannière semble un hommage à son passé exceptionnel.
En dehors de sa résidence secondaire à l’Etoile, Paola Marié habitait au 93 de la rue Monceau, dans le 8ème arrondissement de Paris. Elle avait cependant pris la décision d'être inhumée à l’Etoile et avait fait l’acquisition à la mairie, le 13 avril 1902, d’une concession à perpétuité afin d’y établir sa sépulture. Elle décéda le 2 décembre 1920 à Paris mais ne fut pas inhumée à l’Etoile. Son légataire universel, M. Tézenas, abandonna tous ses droits sur la concession à M. Arcole Flandre, afin que « ce dernier y établisse sa sépulture particulière et également celle de sa famille ».
Quant à M. Cornard il est bêtement décédé noyé près de chez lui dans « son » étang le 8 avril 1931 à l’âge de 85 ans. C’est une amie venue lui apporter du courrier et de la nourriture qui fit la terrible découverte. Prévenu, Arthémis Dulin, le garde champêtre eut toutes les peines du monde à accéder au cabanon. En effet entre temps Saint Frères venait pour la deuxième fois de la journée de noyer les marais en ouvrant un vanne située sur le cours de la Nièvre, ceci afin d’améliorer la production de fourrage pour l’automne. Monsieur Cornard avait sans doute confondu la terre ferme inondée et l’étang...
On ignore si notre donateur fut aussi membre de la fanfare municipale mais on le trouve sur une photo prise en 1926 face au Café Marie Peureux, rue de l’église en présence d’une quarantaine de personnes déguisées et de neuf membres de la fanfare.
Aujourd’hui la robe de la cantatrice transformée en bannière est soigneusement roulée et rangée dans la salle de répétition de la fanfare.
Réalisé d’après une idée, un texte et des photographies de Jacky Hérouart. Une première rédaction sommaire de cet historique avait été effectuée en 1990 pour le centenaire de la fanfare [Le Courrier Picard, 18/05/1990). Remerciements à Mme Thérèse Debruicker, Pierre Flandre, Josette Cailly, Yvette Sévaux, Francis Valois, Marceau Lagache et Ghislain Lancel, ainsi qu'à Mme Eloy pour leur aimable autorisation à photographier l'ancienne demeure de Paola. Portrait de Célestine, 46 x 61 cm, dans son rôle de Carmen, 1884, provenant du web.
Compléments : La prometteuse carrière de Paola Marié en 1874, par Félix Jahyer
Dernière mise à jour de cette page, le 11 novembre 2007.
Période ancienne | Période récente | Divers (Auteur, liens, etc.) | Accueil |