L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL |
Marie Eugénie Célina Magnier, dite Céline, née à L’Etoile le 29 septembre 1856, est décédée propriétaire à L’Etoile le 6 novembre 1933, âgée de 77 ans, célibataire, sans postérité. Elle est la fille de Pierre Antoine Eugène Magnier (1826-1880), propriétaire du château, et de Céleste Desmarest (1831-1897). Aînée de trois enfants, ses frère et sœur sont Edgard et Suzanne.
Le partage en trois tiers de la succession Magnier-Démarest estimée à 52 841,60 francs fut réalisé le 31 mars 1898, quelques mois après le décès de Céleste. La part revenant à Céline comporte le château. Elle en assumera la charge jusqu’à sa mort, durant 35 ans.
Céline fut visiblement une très bonne élève qui bénéficia d'une solide formation dans une école religieuse d'Amiens . L'un de ses carnets de devoirs, rédigé d'une écriture très soignée sans presque aucune rature est éloquent, dès la première page : « Jésus, Marie, Joseph Amiens 1er juillet 1871 -- Cahiers de devoirs divers à Céline Magnier de l’Etoile ». Les thèmes abordés tout au long de 56 pages (pour un côté de ce carnet) se veulent de solides références : Ministres de la Frances (9 pages), Europe, Commerce des principales villes (4 pages), Femmes célèbres de la France (depuis Sainte Geneviève en 422 - 23 pages), pour ne citer que quelques exemples. Céline n'avait alors pas encore 15 ans...
A l'autre bout de ce carnet, utilisé à l'envers sur 15 pages, on relève des « Dictées en vers ». Aux premières pages, on relève : Le poème de la Religion (Louis Racine, 7 pages), Peste de Marseille (Millevoye), La violette (Camille)...
Céline possédait aussi un autre carnet, certainement plus précieux encore à ses yeux, celui à couverture rouge, daté en première page de l'année suivante à Amiens « Amiens, le 1er avril 1872, Céline Magnier, de L’Etoile ». Ce carnet rouge est un ravissement consacré aux fleurs et aux poésies, la très belle calligraphie y apportant une touche personnelle bien agréable...
Voici une très jolie poésie, parmi tant d’autres, celle-ci que l'on pourrait trouver osée, dite par une enfant de 16 ans dans une école religieuse...
Devenue propriétaire du château et d'une bonne partie des terres avoisinantes dès mars 1898, Céline semble avoir rapidement et fermement mené ses affaires. Elle signe d'abord un nouveau contrat d'assurance du château auprès de la même Compagnie du Soleil, la compagnie qui avait été choisie par sa mère. L'assurance inclut alors peut-être d'autres habitations car elle est un peu plus élevée à 20,30 francs au lieu de 16,10 francs (Contrat n° 36294 en date du 5 juillet 1898). Céline reprend aussi l'emprunt de 16 000 francs dont il reste encore quelques années de remboursements, et encore deux autres emprunts, mais cette fois au nom de la communauté des trois héritiers de ses parents.
C'est une certitude, du moins depuis le recensement de 1906, les deux ailes du château sont alors occupées en logements meublés. Et il est vraisemblable que les divers bâtiments des anciennes ferme et dépendances du château hébergeaient eux aussi plusieurs familles. Ainsi le bâtiment perpendiculaire au château et séparant les deux cours, les anciennes Cour d'Honneur et Basse-cour, est encore connu sous le nom de Maison Lheureux, du nom de la famille qui en occupa longtemps le premier étage. Quant à la date du début de cette reconversion pour l'usage du château en meublés, elle pourrait être de 1886, après des travaux commencés en 1883 du temps de Céleste, sa mère, mais ceci est sans certitude. Des locataires, il y en aura des centaines, souvent des hommes ou femmes seuls attirés à L'Etoile par un emploi chez Saint-Frères, ou de petites familles en attente d'un logement plus traditionnel dans le village ou aux Moulins-Bleus, parfois aussi des locataires permanents, payant même à l'avance... Ces meublés seront occupés jusqu'au décès de Céline, en 1933 (et même jusqu'en janvier 1949 pour le dernier locataire...)
Avant que de n'être propriétaire du château à titre personnel, au nom de ses parents, Céline pouvait déjà en gérer une partie. En particulier elle semble s'être occupée activement des jardins et plants dont on sait qu'ils représentaient de grandes étendues derrière et à proximité du château (à quelque distance du début de la rue Saint-Martin). Elle semble en particulier avoir eu la passion des arbres, surtout des fruitiers.
Après avoir déjà obtenu la médaille d’or au concours local d’Abbeville, elle souhaitait tenter sa chance au niveau supérieur et recevait à ce sujet des lettres encourageantes de la Société d’Horticulture d’Amiens (3 et 4 juin 1894), en vue de l’exposition nationale des producteurs prévue pour octobre 1894 et qui devait dépasser les 4000 assiettes de fruits : « ...votre superbe lot de fruits me paraît devoir conserver la tête ... »
Sa passion pour les arbres ne faiblira pas avec le temps. Le 17 avril 1900 elle se fait expédier par les Serres et Pépinières Rivière Père à Amiens, 6 abricotiers tige, 1 mûrier nain, 1 marronnier de Lyon, 1 araucaria, 2 fougères, 6 B(re) Cergeau tige (???) et 25 poiriers. Et à une date voisine, c'était aussi 1 araucaria , 2 fougères et 25 poiriers tige qu'elle avait commandés au même pépiniériste. Si vous n'avez pas sa culture des arbres, sachez qu'un araucaria est un grand conifère d’Amérique du Sud et d’Océanie aux feuilles en écailles triangulaires entourant les rameaux, souvent cultivé dans les parcs européens et de hauteur maximum 5 mètres... [Larousse 2007].
Elisabeth Pecquet, arrière-petite-nièce de Céline, témoigne "Maman [Colette Magnier] m'avait dit que Tante Céline cultivait surtout des groseilles. Si j'ai bien compris, elle en expédiait en Angleterre. Pour l'époque, c'était formidable ! Quand nous étions enfants, il y avait plein de groseilliers à maquereau le long du mur qui descend vers l'étang. Et puis dans ce que nous appelions le potager, c'est à dire la parcelle qui jouxte l'étang, il y avait encore des groseilles rouges et blanches, et des cassis. Elle vendait également beaucoup de cerises. Tu imagines ce que nous pouvions nous régaler !" [Correspondance Charline Chamu-Pecquet (2006)].
Les photos prouvent que Céline appréciait les tenues élégantes de l'époque. Il n'est donc pas surprenant de relever diverses factures de mercerie, comme celle-ci : Facture du 27 mars 1899, de Leroy-Oudas, châles, soieries, confection pour dames à Abbeville, pour achats de divers métrages de tissus pour une valeur de 78,15 francs. Quelques revues de mode avaient aussi ses faveurs, en numéros isolés : Le Louvre Paris (1917), Au Bon Marché (1917), etc.
D'autres facturations sont plus matérielles : « 1899. Doit, Melle Céline Magniez, pour peinture et vitrage, à Alfred Oger... », pour fournitures et pose de 4 carreaux : 4,60 francs.
Céline aimait la lecture et se tenait informée, notamment durant les moments critiques de la première guerre. Les calendriers, hebdomadaires et revues conservés en témoignent : Calendrier de la Poste (1899 et 1900), Almanach-Mémento de 1905, 29 numéros du Miroir (1914-15), 10 numéros du Pèlerin (entre 1909 et 1915), etc.
Le Première guerre mondiale, apporta ses désastres, du moins son lot de soucis. Peut-être par inquiétude concernant l'avenir ou simplement pour le plaisir d'envoyer des photos à ses proches qui n'étaient plus sur place (comme son neveu René), Céline décida en 1916 de faire photographier le château et les divers bâtiments voisins. Ces locaux étaient d'ailleurs occupés par diverses familles, souvent des personnes âgées pour lesquelles elle semblait avoir beaucoup de considération. Ces photos furent éditées en cartes postales avec un soin particulier inédit, une étiquette portant la mention manuscrite L'Etoile imprimée avec la carte ! Ces cartes sont maintenant précieuses pour montrer des bâtiments aujourd'hui disparus et les familles qui y habitaient. Voir la Collection Céline Magnier.
Céline expédia aussi durant la guerre 1914/18 quelques cartes ordinaires dont la corrrespondance témoigne de la réquisition du château, ainsi à André, son neveu se trouvant alors à l'hôpital auxiliaire n° 20 de Bram (Aude), elle mentionne : "... nous avons 36 chevaux d'un régiment de Dragons. Nous parlons de toi avec eux" [CP 269 (date cachet non imprimée)]. Et cette autre, à René, un autre de ses trois neveux : "... Rien de nouveau à t'apprendre, si ce n'est que nous avons encore un mess d'officiers, capitaine, commandant, docteur, etc. Mais ce ne doit pas être pour longtemps probablement. Nous avons aussi un gentil sergent à coucher, il est très bien élevé et très reconnaissant d'être reçu aimablement" [CP 322 (L'Etoile, 25 fev. 1916 - carte sous enveloppe, non conservée)].
Remerciements : Marius Pecquet [Archives privées Magnier/Pecquet 1 à 171], Paul et Elisabeth Pecquet, Charline Chamu-Pecquet et Régine Pecquet.
Dernière mise à jour de cette page, le 12 janvier 2007.