L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL |
On doit sans conteste possible aux Leblond, seigneurs de L'Etoile durant cinq générations de 1516 à 1675, d'avoir remis en état, au sortir de la dévastatrice Guerre de cent ans, une seigneurerie mal en point que la grande famille des Mailly avait été contrainte de leur vendre. Lors de l'achat de la seigneurie, le pont sur la Somme n'était plus qu'un tas de bois, et de château il n'en était même pas mention dans l'acte de vente... On peut donc penser que l'église était aussi dans un piteux état, si toutefois elle n'était pas en cendres... Il est donc aussi vraisemblable que l'on doive à Antoine I Leblond, avocat et conseiller du Roi au bailliage d'Amiens, le premier de ces cinq seigneurs qui porteront les mêmes nom et prénom, d'avoir fortement contribué à la restauration de l'église du lieu, si ce n'est à sa complète reconstruction. Mais il n'a été trouvé aucun document d'archive pour nous en instruire et ce n'est peut-être qu'aux dernières générations des seigneurs Leblond que l'essentiel sera fait puisqu'un Groupe en pierre portant les armes des Leblond est là pour preuve de la présence active de cette famille dans l'église, mais que cette œuvre d'art n'est généralement daté que du XVIIe siècle...
Signalons qu'une pierre tombale de cette famille Leblond fut retrouvée au prieuré de Moreaucourt et qu'au moins trois des seigneurs de L'Etoile (Antoine III, IV et V), ainsi que Madeleine De Heu (épouse d'Antoine IV), furent inhumés dans l'église du village, et probablement tous réunis ensemble hors du chœur, devant le crucifix, comme on le sait pour l'épouse d'Antoine IV. Toutefois l'on s'interroge encore sur l'emplacement exact de l'église à cette époque (du moins de sa forme et de ses dimensions), et donc de l'emplacement du chœur et du crucifix...
Cette étude tendra donc aussi à s'interroger sur la datation de la partie de la muraille de l'église contenant le Groupe en pierre des Leblond qui logiquement ne devrait pas être postérieure à 1675, du moins pour cette niche faisant intégralement partie de mur, et qu'il faudrait donc en reculer la date au moins au XVIIe siècle, et non au début du XVIIIe siècle, ainsi que l'indique le rapport des fouilles de sauvegarde de septembre 2000.
Le groupe en pierre, dit du Saint-Sauveur, se trouvait dans la niche axiale de l'abside, à bonne hauteur, la même que celle des quatre petites niches voisines des autres arcades de l'abside. Sous la niche de cette sculpture s'en trouvait une autre, bien plus petite, dont l'utilité n'est pas connue (simple étagère ?), et dont la base se trouvait à environ un mètre du sol. Du fait de sa position élevée ce groupe fut toujours visible des fidèles, même en présence du tabernacle surmontant l'autel ou des portes latérales donnant accès à la sacristie.
Comme bien souvent, c'est Goze qui est le premier des historiens locaux à mentionner cet imposant groupe mesurant deux mètres de hauteur et logé dans l'arche centrale du chœur : "Derrière l'autel, est un groupe en pierre dit Saint-Sauveur, objet d'un pèlerinage assez fréquenté. Il représente le Christ descendu de la croix, placé en travers sur les genoux de Dieu le père, qui a le Saint-Esprit appliqué contre sa poitrine, sous la forme d'une colombe [sic !]; au bas, sont les armes des Leblond, anciens seigneurs de l'Étoile." [Goze, 1863].
On retrouve, avec quelques variantes, cette description dans le Dictionnaire Historique et Archéologique de la Picardie, en 1919 : "...enfin, au fond de l'abside, un groupe en pierres du commencement du XVIIe siècle, représentant le Père Eternel assis, coiffé de la tiare, ayant sur ses genoux le corps inanimé de son fils. Au dessous, se trouve un écusson, couvert de couches de peinture, où on distingue à peine trois pièces, supporté par deux lions et timbré d'un heaume cimé."
Ce groupe est le seul du département à être en pierre [M. Pierre-Marie Pontroué, ancien conservateur des Antiquités de la Somme]. Cette originalité avait certainement contribué à ce que ce groupe dit du St-Sauveur soit classé au titre d'objet aux Monuments Historique (25 mars 1917).
Classé, on peut donc en obtenir une description succincte dans la base Palissy-Mérimée (groupe sculpté : Dieu le Père tenant le corps du Christ, en pierre, mesurant environ deux mètres, XVIIe siècle). La description du blason est toutefois incorrecte et incomplète (armoiries des Leblond, comportant trois tours et non trois bourdons). De nombreuses photos (25) montrent la dépose du Groupe de son logement dans la muraille de l'église et son transport vers un local communal (photos Pierre-Yves Corbel, 2002).
Cette dépose avait fait suite à une protection rudimentaire, une bâche qui recouvrait le groupe, laquelle n'avait évidemment pas empêché les dégradations de se poursuivre. En mars 1995, la pierre portant le blason des Leblond s'était détachée, probablement effritée par le gel, et cette rare représentation de leurs armoiries était définitivement perdue.
Que ce Groupe soit classé donna lieu à quelques propos assez vifs, après l'incendie des boiseries de la sacristie en 1977. Gilbert Temmermann s'était proposé pour nettoyer la sculpture recouverte de suie et pour la repeindre ensuite. Après autorisation le Groupe avait donc été repeint, dans les tons pierre, et un genou restauré. C'est alors que fut l'opération fut contestée... mais l'on en resta là [Voir Incendie du chœur].
De par la présence des armoiries Leblond, la sculpture de Dieu le Père tenant le corps du Christ est nécessairement postérieure à l'arrivée du premier des seigneurs Leblond à L'Etoile, en 1516. Antoine V Leblond, est décédé en 1675. La datation de ce groupe en pierre est donnée pour le XVIIe siècle, époque des descendants du premier seigneur.
Or la datation de l'abside de l'église, où cette sculpture se trouvait dans la niche de l'arche centrale, est donnée par l'AFAN comme étant de 1720/24, le XVIIIe siècle ! Cette datation figure dans le rapport rédigé après les fouilles achevées le 11 septembre 2000 et s'appuie d'une part sur une observation de l'architecture générale et d'autre part sur les informations provenant de mes premières recherches personnelles dans les archives, et en particulier en référence à l'épitaphe de Noël Groulle, curé de 1720 à 1724, épitaphe qui mentionne qu'à la mort du curé en 1724 que "Le chœur fut rebatie". Ces dates sont donc en contradiction avec la datation du Groupe, si le mur de l'abside et la statue sont contemporaines...
Depuis des années, je ne cesse d'observer la photo ci-dessus, que j'avais prise le premier jour de septembre 1995. Elle m'intrigue. En effet, l'arche centrale de l'abside est la seule qui comporte une grande niche, celle qui reçoit le Groupe. Mais pourquoi la courbure de cette niche n'est-elle pas la même que celle des fausses arcades ? L'ancienne courbure est presque en demi-cercle, tandis que celle de la série des nouvelles arches est bien plus évasée.
Cette niche intérieure de l'arcade axiale de l'abside ne serait-elle pas un vestige d'une primitive église ? Le nouveau chœur (de 1720/24), avec ses nouvelles arches, n'aurait-il pas intégralement récupéré la niche et la statue seigneuriale, en agrandissant une église rectangulaire par adjonction d'une abside semi-circulaire ? (G.L.)
Crédit photos : Conservation des Antiquités et Objets d'Art (Photo NB) ; Un ami de J. Hérouart (photo couleur voisine) ; Pierre-Yves Corbel © Monuments historiques, 2002 (base Mémoire, photos de l'enlèvement) ; G. Lancel (le chœur, 01/09/1995).
Dernière mise à jour de cette page, le 26 novembre 2007.