L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL

Analyse des actes 1850-1902

Le dépouillement des actes des 50 dernières années du xixe siècle de L'Etoile est un travail harassant ; en effet, cette période contient à elle seule le tiers de tous les actes disponibles à L'Etoile depuis les premiers registres ! La raison en est bien connue : les Moulins-Bleus ! Durant cette période les usines du désormais célèbre lieux-dit les Moulins-Bleus abandonnèrent le triturage des bois pour la filature du jute ; et l'acquisition en 1883 par le célèbre groupement Saint-frères ne fut qu'une étape, associée à la réalisation des rue et Cité des Moulins-Bleus. Si la population de L'Etoile passe de 797 habitants en 1851 à 1752 habitants en 1906, c'est que la différence – de près d'un millier d'individus – se trouve dans les travailleurs venus s'installer à L'Etoile ! Pour preuve, on comptera même jusqu'à 1300 ouvriers à l'usine des Moulins-Bleus en 1899 !

L'énorme masse des documents à relever pour cette période est encore accrue (mais c'est une aubaine pour les généalogistes) par les applications des loi du 17 août 1897 et ordonnance du 29 mars 1945. Celles-ci stipulent respectivement que les actes de naissance doivent porter en mentions marginales, l'une les date et lieu du mariage, l'autre les date et lieu de décès. Pour l'anecdote, s'il existait un Livre des records des mentions marginales de L'Etoile..., la palme reviendrait à Thérèse BERTOUX (née le 21 octobre 1901 à L'Etoile), avec six mentions marginales : décédée à Compiègne (Oise) âgée de 99 ans, mariée 4 fois (dont un mariage à Casablanca et trois à Paris) et divorcée une fois ! Pour compléter la liste des relevés nouveaux, l'on doit enfin signaler les actes de reconnaissance d'enfants nés hors mariage, en nombre croissant comme celui des mères fileuses ou ouvrières d'usine...

Parfois, un papier inséré apporte encore son lot d'informations, comme celui du registre des naissances qui signale que Robert Raymond BELLART est Mort pour la France le 4 février 1944 au siège de Wiedenau (Allemagne) (acte du 1er mars 1900).

Concernant l'analyse, on observe que, comme aux siècles précédents et bien que l’état civil soit maintenant d’une exactitude bien administrative, des variantes orthographiques de certains noms de familles sont encore facilement admises. Ainsi, entre les divers actes et tables des registres, on pourra trouver Bilhaud et Billaud, Boura et Bourra, Calmon et Calmont, Deguine et Deguisne, Miannay et Mianné, Roussel et Rousselle, etc. Pourtant le secrétaire de mairie fait des efforts : ainsi en juin 1898 il rature fortement le DE du patronyme DELACROIX pour le corriger en LACROIX ! Les surnoms et sobriquets sont toujours en vigueur, comme on le voit parfois explicitement mentionné dans certains actes, par exemple Jacques FLANDRE, dit Tintin (et non Jean-Jacques). Par ailleurs les recensements de 1836 à 1872 prouvent que le prénom usuel était bien souvent un diminutif ou une variante de l'un des prénoms officiels, et qu'il pouvait lui-même varier ! Signalons enfin que les prénoms inscrits en marge des registres ne sont pas eux-mêmes exempts d'erreurs, ainsi Marthe et non Marcelle CARPENTIER, née le 31 mars 1902. En conclusion, seule une étude globale permet de savoir Qui est qui !

Les enfants nés hors mariage, sont très nombreux ; on en compte pas moins de 218 entre les années 1861 et 1902. Les mères sont souvent jeunes ou très jeunes (20 à 22 ans, parfois 17 et même 16 ans). Elles travaillent presque toutes pour l'usine des Moulins-Bleus : 93 sont fileuses, 67 sont ouvrières de fabrique, de filature ou d'usine, et 15 sont pelotonneuses, trameuses ou tisseuses. On compte donc un total de 175 mères célibataires dont l'activité tient à la filature, alors que l'on ne relève que 6 mères domestiques (...) et 13 sans profession ! Si 38 de ces enfants sont dits " de père inconnu ", par contre 81 sont nés " de père non dénommé ". Dans ce dernier cas il n'est pas rare que le déclarant soit le père, et qu'une reconnaissance et légitimation suive plus ou mois rapidement – si toutefois l'enfant survit plus de quelques semaines –, soit par un acte officiel (inscrit dans le registres des naissance) soit lors du mariage des parents. Les enfants légitimés sont alors inscrits sous leur nouveau nom (mais on relève des exceptions ; en mars 1900 Eugène Trancart est demeuré inscrit au nom de Prévost).

Le thème des enfants mis en nourrice à la fin du xixe siècle est l'un des plus connus de nos récents livres d'Histoire de France. Le dépouillement des registres de décès confirme l'existence de cette pratique à L'Etoile. Sans en connaître l'ampleur, elle se révèle à travers des patronymes inconnus localement ou plus précisément par ces dépositions faites par le " père nourricier ". Hormis un cas isolé en 1761, cette pratique est attestée à partir de 1844 et l'on relève ensuite au moins une vingtaine d'enfants décédés en nourrice . Quelques-uns de ces enfants ont des parents vivant à Paris ou dans une ville moyenne, ou bien encore ont de la famille à L'Etoile, mais beaucoup sont des enfants " élève de l'Hospice dépositaire d'Amiens " ou " élève de l'Hospice des enfants assistés de la Seine ". Certains ont même un numéro, comme Alphonse Adolphe BELLET, n° 4196, catégorie A ! A noter que les pères nourriciers ne sont pas d'une classe sociale particulière : ils sont bergers ou tisseurs, âgés de 28 ou 48 ans. Ils ne font que soulager les parents moyennant un petit complément de revenus. A savoir aussi que si ces enfants meurent souvent en bas âge, ce n'est pas pire que pour les autres enfants du village, et pour l'époque, certains meurent même à un âge respectable, ainsi Louise MILLON, enfant de l'Hospice des enfants trouvés de Paris, demeurant à L'Etoile et y décédée (11 octobre 1894) âgée de 75 ans !

Les professions des femmes, vues à travers les actes de naissance, semblent dénoter un profond changement par rapport à leurs activités ancestrales : jadis les femmes s'occupaient des enfants et de la maison, aidaient aux champs le jour et filaient le soir à la maison, le tout sans avoir la moindre mention de profession ; maintenant elle ont une profession, une reconnaissance, une plus grande autonomie et de la liberté, mais elles travaillent à l'usine... En 50 ans (de 1853 à 1902), parmi les 1834 actes de naissance, on relève 518  actes où la mère est fileuse et 240 où elle est ouvrière (de fabrique, d'usine ou de filature. Si l'on ajoute 48 couturières, 7 bobineuses, 7 couseuses de sacs, 4 blanchisseuses, 3 tailleuses, 1 cordière, 1 plisseuse et 1 repasseuse, on obtient 830 actes avec des métiers en rapport direct avec la filature des Moulins-Bleus. On relève aussi 368 actes de mère ménagère et 236 actes où la femme est sans profession. Les terminologies anciennes disparaissent et de nouvelles professions, parfois inattendues, apparaissent :  manouvrière (33), journalière (18), domestique (13), épicière (13), cultivatrice (12), débitantes (3), marchande de fruits (3), aubergiste ou cabaretière (2), cuisinière (2), institutrice (2), batelière (2), négociante (1), vachère (1) et modiste (1) ! On se gardera toutefois de réaliser des statistiques, en effet ces données sont faussées par le fait que la même femme est comptabilisée plusieurs fois, une par naissance, et que ces professions ne concernent que les femmes en âge de procréer, essentiellement celles des Moulins-Bleus où l'on accueille à bras ouverts ces jeunes travailleuses.  L'Etude des recensements apporte d'ailleurs des corrections sévères : il n'y a encore que 6 femmes fileuses en 1851 et il faut attendre 1872 pour que leur nombre passe à 34. Ce n'est seulement dans les toutes dernières décennies du siècle que la nouvelle répartition professionnelle devient la plus évidente.

Pour les professions des hommes, et pour la même période, en dehors de 686 actes indiquant un père tisseur et de 90 mentions de tisserands, on relève une assez grande diversité de professions, dont beaucoup sont néanmoins liées aux Moulins-Bleus, soit directement avec la filature, soit indirectement par des corps de métiers du bâtiment ou de bouche. Voici la liste des professions indiquées, en nombre de mentions (et non d'individus) et par ordre alphabétique : aide chauffeur (1), ajusteur (1), aubergiste (3), batelier (2), berger (4), blanchisseur (2), boucher (4), boulanger ou garçon boulanger (9), bourrelier (1), brigadier (2 : 1 de gendarmerie, 1 des douanes), bûcheron (1), cabaretier ou cafetier (7), caissier (1), cantonnier (8), charcutier (4), charpentier (10), charretier (1), charron (7), chauffeur ou aide chauffeur (6), chiffonnier (2), clerc de notaire (1), cloutier (6), cocher (2, dont un à Paris), comptable (2), concierge (3), conducteur de train (1), contremaître (19), coquetier (1), cordonnier (10), courtier en chevaux (1), couvreur (5), cultivateur (59), débitant (1), docteur en médecine (2), domestique (16), ébéniste (1), électricien (2), employé (45 : 19 indéterminés, 3 aux MB, 2 au Chemin de fer, 6 de bureau, 4 de commerce, 8 de fabrique, 3 d'usine), épicier (18), ferblantier (3), filateur (1), graisseur (6), graveur sur marbre (2), homme de peine (2), horloger (3), instituteur (14), jardinier (3), journalier (58), maçon (15), manouvrier (87), manufacturier (3), maréchal (8), marchand (14 : 1 ambulant, 2 de fils, 3 de moutons, 3 de nouveautés, 1 de porcs, 2 de toiles, 2 épiciers), mécanicien (51), ménager (32), menuisier (29), métreur (1) , meunier (3), négociant (1), officier de santé (1),  ouvrier (84 : 1 charpentier, 43 de fabrique, 6 de filature, 28 d'usine, 1 ébéniste, 2 en peignes, 1 maçon, 2 mécanicien), pareur (17), pâtre (1), peigneron? (1), peigneur (62 : 33 sans précision, 29 de lin), peintre (5), plieur de toile (1), propriétaire (8), régleur (1), sculpteur (3), soldat (8), sans profession (2), surveillant de filature (2), tailleur (19 : 16 sans précision, 3  d'habits), terrassier (6), tisserand (90), tisseur (686), tonnelier (1), tourbier (2), vacher (2) et valet de chambre (1).

Malgré le développement rapide de la Cité des Moulins-Bleus, le logement n'est pas nécessairement aisé, surtout pour les nouveaux venus, seuls au pays, et les jeunes ménages. Ainsi, en 1900, un acte de naissance révèle qu'Henri Vincheneux, le père (19 ans), est domicilié à l’abbaye de Moreaucourt (!) tandis que la mère de leur enfant (18 ans) demeure aux Moulins-Bleus.

Les lieux d'origine des nouveaux habitants de L'Etoile sont parfois très éloignés ; on vient de la France entière pour travailler aux Moulins-Bleus, et même de l'étranger (voir la page des Immigrés). En contre partie, on note aussi que plusieurs couples vivent à la ville, avec souvent au moins l'un des époux parti de L'Etoile et le nourrisson élevé en ce village, dans la famille ou en pension. Ainsi, Paul Eugène CAUX est né à L'Etoile (3 décembre 1901) de parents domicilié à Paris, mais de mère native de L'Etoile.

Quelques actes de naissance n'hésitent pas à stipuler des mentions qui seront lourdes à porter par l'enfant, s'il ne meurt pas prématurément... Citons l'attristant ou suspect " Père de domicile inconnu " (Gérard Léon D..., le 19 décembre 1891) et le père " actuellement interné à l'asile d'aliénés de Dury depuis le 29 octobre 1896 " (Adélina L..., 25 janvier 1897). Quelquefois le père décède quelques jours avant que l'enfant ne soit né. Ne citons que deux enfants posthumes : Félicia DULIN (13 juillet 1846) de père décédé 15 jours auparavant, et Florent Jules PETIT (14 août 1898), de père trépassé 2 jours avant la naissance. Beaucoup plus réjouissantes, et inattendues, sont les naissances de Blanche Marie DURIEUX, née à L'Etoile, sur un bateau (14 avril 1872, parents bateliers !), et celle d'Alfred Joseph SPEL qui naîtra dans les mêmes circonstances en 1882.

L'étude des registres est aussi l'occasion de découvrir que l'excès de travail, l'âge ou la lassitude, peuvent user les maires après quelques années de fonction. Plusieurs maires démissionnent, et c'est alors l'adjoint qui tient les registres durant la transition, bien souvent pour devenir maire à son tour ! Eugène MAGNIER démissionne en 1871 (« Lancel Achille, adjoint, remplissant pour le maire démissionnaire les fonctions d’officier d’état civil de la commune de L’Etoile »). Adonis FRICOT démissionne en 1884.(« Ducrotoy Clément, adjoint, remplissant pour le maire démissionnaire les fonctions d’officier d’état civil »). Et le dit Clément DUCROTOY démissionne à son tour en 1889 (« Fricot Jules, adjoint, ... en remplacement de Monsieur le Maire, démissionnaire et non remplacé »).

Quelques stelliens sont morts bien loin de nos frontières, ainsi que nous l'apprennent la transcription du décès de Hyacinthe Roland DURAND (né le 2 janvier 1832 à L'Etoile), 2soldat au 5Escadron du train des Equipages militaires, décédé le 13 février 1855, à Constantinople (Péra), Armée d'Orient, et celle du décès d'Auguste Hyacinthe HUYER (né à Sarton, Pas-de-Calais, mais ayant demeuré à L'Etoile), mort le 8 février 1855, d'un coup de feu à la cuisse au siège de Sébastopol (Crimée), Armée d'Orient. Quant à Abel Romain Théodule DACHEZ, lui aussi est décédé loin de L'Etoile, à Lambèse, âgé de 22 ans. Mais la transcription se garde bien de préciser où se trouve Lambèse et ce que l'on y faisait : Lambèse, Algérie, bagne ! Inversement, il arrive que l'on vienne de loin pour s'éteindre à L'Etoile : James FAIRWENTHER, natif de Arbrouth (Ecosse), est venu mourir en France, aux Moulins-Bleus (11 septembre 1854). Aussi discrètes que pour Lambèse, signalons enfin le cas transcriptions de décès à Dury : Aimée DULIN (29 juillet 1894), Parfait Augustin FLANDRE (13 janvier 1899), Louis LERAILLE (8 février 1899) et Juliette DALLON (13 avril 1902) sont tous décédés à Dury, tout simplement " route de Paris ". Et bien sûr que nul n'ignore que l'asile de Dury est situé Route de Paris !

Terminons avec quelques actes de décès inattendus à L'Etoile. Citons par exemple, celui de Clarisse DELAVENNE (4 fevrier 1860), institutrice âgée de 17 ans, native de Hébuterne (62), et celui de Valery BOUJONNIER (23 octobre 1879), 27 ans, employé des contributions indirectes, né à St-Valery (80) ; que venait-il faire à L'Etoile ! Les décès d'inconnus (une petite dizaine), morts dans l'anonymat le plus complet, donnent souvent lieu à un descriptif assez complet. Avis de recherche ! Qui est cet homme "âgé d'environ quarante-cinq ans, cheveux bruns grisonnants, légèrement chauve, de petite taille et bien conformé, portant un pantalon drap noir, gilet drap noir, paletot quadrillé noir, cravate foulard points noirs et blancs, chemise en cotonnade rayée bleu, sans bas, un seul soulier en bon état à huit rangées de clous et ayant dans ses poches une pièce de un sou, une de deux centimes et un clou" décédé le 9 juillet 1880 à L'Etoile ? Jean Jacques Pascal CARON, lui, a failli mieux faire en ne mourrant jamais... C'est ce que révèle une note rédigée sur un papier collé en fin de l'année 1865, avec mention "La déclaration du décès n'a pas été faite, et l'acte a été omis" (20 mai 1865) !

 

Dernière mise à jour de cette page, le 28 décembre 2006.

 

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