L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL
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Les inondations de la St-Jean 1748


L'ETOILE, "Pelouse interdite" !
   Route D 216, avril 2001 (Photo D. Lejeune)

L'Etoile est un village sensible aux inondations et aux coulées de boues qui surviennent après les violents orages. Les inondations de la commune peuvent avoir trois causes : la proximité de la Somme en tant que rivière, la nappe phréatique et les vallées sèches (en particulier celle de Mouflers). Concernant les remontées de la nappe phréatique, le passé récent en a été le témoin – les médias s'en sont fait l'écho. Le ministre de l'intérieur a constaté l'état de catastrophe naturelle pour la commune de L'Etoile (et bien d'autres) suite aux "Inondations par remontée de nappe phréatique du 24 mars 2001 au 25 avril 2001", par arrêté du 26 avril 2001. La route entre Condé et L'Etoile ne fut interdite que pendant plusieurs jours (Photo ci-contre). En revanche, celle entre Le Catelet et Long a été coupée pendant plus d'un mois. Il y avait plus d'un mètre d'eau. Mauvais souvenirs, sauf pour les enfants du Catelet qui se rendaient à l'école de Long dans un bateau des pompiers...


Remerciements à l'IGN

Les lignes de niveau s'observent très bien sur la carte IGN couleur de 1999. Mais sur la carte géologique (ci-contre), on verra du premier coup d'œil les vallées sèches (en jaune pâle) qui menacent L'Etoile : l'importante Vallée de Mouflers (représentée ici dans sa seule partie terminale), celle de Bouchon qui la grossit, la longue et étroite Vallée Delattre (en face des Moulins-Bleus), la Vallée Morval et la toute petite Valléette que l'on devine au-dessus de l'Abbaye de Moreaucourt.

Les habitants ont encore en mémoire la spectaculaire coulée de boue survenue vers 1985. Elle venait de la vallée sèche dite Vallée Delattre et l'on se souvient que cette boue traversait les maisons construites à flanc de colline... Cette inimaginable coulée, pensait-on, avait conduit le maire à mettre un agent en faction toute la nuit ! Jacky Hérouart se souvient que l’eau provenait des champs au dessus des Castors et avait suivi la pente en direction du Café du haut des Moulins-Bleus, lequel avait eu la chance de ne pas en souffrir puisque le torrent boueux s’était engouffré dans le passage entre ce café et la maison suivante en direction de Flixecourt... A l'époque les labours dans le sens de la pente avaient été mis en cause.

La coulée de boue de 1748 – que l'on va maintenant relater – provenait d'une vallée sèche bien plus importante, la Vallée de Mouflers, laquelle collecte à la saison des pluies les eaux déversées sur ses propres flancs sur plusieurs kilomètres depuis Mouflers – et plus encore depuis Vauchelles-les-Domart et Brucamps –, jusqu'aux Ergones de L'Etoile, en passant par Bouchon. Le violent orage survenu le jour de la St-Jean, marqua les esprits. Sur son passage, la coulée de boue avait détruit les céréales déjà en graines, comblé un puits et endommagé sérieusement des maisons de Bouchon, obstrué une source à proximité des Ergones et fait disparaître le lavoir que la source alimentait en eau, un grand lavoir aménagé pour 6 personnes ! La hauteur des boues était si importante, à proximité du Camp-César, que 14 hommes furent requis durant plusieurs jours pour retrouver la source et réaménager les lieux !

Les faits sont connus par neuf pièces archivées. Le lecteur est invité à lire, par les résumés ci-dessous, ou mieux par les originaux intégralement retranscrits [ADS, 1 C 1198].

Les inondations du 24 juin 1748

Rappelons d'abord que dans le mois précédent la St-Jean 1748, à la suite de fréquentes inondations rendant improductives les terres de Flixecourt en bordure de la Nièvre, une ordonnance du 30 mai 1748 de l'intendant Chauvelin, avait ordonné des travaux allant du pont de la chaussée de Flixecourt au Moulin-Bleu de L'Etoile, et en particulier ordonné la réalisation d'un glacis à Moreaucourt ayant pour objet d'absorber le surplus des eaux de la Nièvre en cas de débordement [AC de Flix., FF 14/2]. L'orage du mois de juin, bien que n'affectant pas Moreaucourt, sera l'occasion d'en obtenir la réalisation, mais entièrement à la charge des populations riveraines, Flixecourt, Bourdon et le fermier de Moreaucourt (pièces 3 et 4 ci-dessous).

Le dossier C 1198 comprend 9 pièces rédigées par M. Nerlande, officier des Eaux et Forêts de la Maîtrise d'Amiens. A la suite de l'orage de la St-Jean 1748 (24 juin) des coulées de vases et de limon, dévalant les vallées naturelles de Mouflers et d'autres villages, avaient causé des dommages considérables aux cultures et aux habitations situées entre Bouchon et l'extrémité du village de L'Etoile, recouvert une source et son lavoir. Dépités par des inondations déjà observées lors des années précédentes, ce sont les habitants eux-mêmes qui avaient sollicité la venue de l'officier. Le SNerlande, s'appuyant sur cette demande et justifiée par la régularité de ces inondations annuelles, ordonna des travaux très importants, et d'abord un réseau de près de 7,5 km de fossés à rénover ou à construire (incluant le site de Moreaucourt). C'est ensuite vers la source – probablement celle qui avait donné son nom au lieu-dit la Fontaine-Thuraude – et le lavoir que se portèrent les efforts. Au début, l'ensemble des populations participa aux travaux, mais découvrant que tout serait à leur charge, travaux et frais, les gens du pays commencèrent à se montrer moins coopératifs, arguant des travaux saisonniers ou du marché voisin où tout le monde se trouvait lors de la venue de l'officier, trouvant un village vide... Plusieurs des plus importants habitants de L'Etoile, le syndic, le lieutenant et d'autres refusèrent les travaux à effectuer sur les parcelles dont ils sont tenanciers (occupants). Des sanctions s'ensuivirent : amende de 10 livres, et établissement de garnison (obligation de loger, nourrir et salarier un cavalier) chez les "refusants" ! Ce n'est que fin mars 1749, après huit mois d'efforts, que l'officier put enfin rendre compte à Messire l'Intendant de Picardie de l'achèvement de tous les travaux ordonnés. Alors seulement, il put solliciter le remboursement de ses frais de voyages, 150 écus selon ses dires, à payer par les habitants des deux villages, sous la contrainte de l'établissement de garnison d'un cavalier de la maréchaussée...

Une chose est certaine, c'est la réalité de l'aménagement du fossé. Il est d'ailleurs parfaitement visible, et dénommé Ravin à trois emplacements, dans sa dernière partie sur le plan de masse de L'Etoile, achevé vers 1807 (voir plan ci-contre, surligné en bleu) [3P 940]. Mieux, il est encore connu aujourd'hui sous le nom de ruisseau de la Vauchelles et bien visible, par exemple à son passage rue du Général de Gaulle.

Par contre, l'on n'est pas bien certain que la source et le lavoir furent à nouveau fonctionnels et l'on regrettera surtout le manque de précision. En tous cas personne ne sait plus à ce jour où se trouvait exactement la source. On sait seulement que cet ensemble source et lavoir se trouvait à proximité de l'actuel ruisseau de la Vauchelles, puisque le creusement d'un fossé de déversement dans ce ruisseau y avait été ordonné. L'ensemble se trouvait aussi à proximité du Camp-César, c'est dit dans les procès-verbaux. Enfin, le lavoir étant utilisé par les femmes de L'Etoile et de Bouchon, on ne peut que penser qu'il se trouvait à proximité de l'extrémité de cette très curieuse pointe du territoire de Bouchon vers le carrefour (et que ce point d'eau aurait d'ailleurs été la raison de ce découpage très curieux du territoire de Bouchon à cet endroit, afin que ses habitants puissent disposer d'un point d'eau). Il serait pourtant bien plaisant de retrouver cette source ancestrale, nul doute en effet que l'on doive l'associer au lieu-dit Fontaire Thuraude entourant les Ergones.

A travers les procès-verbaux, c'est aussi toute une partie du film de la vie des habitants de L'Etoile au milieu du XVIIIsiècle qui s'offre à nous, par des plans successifs : la colère des habitants dont les récoltes sont régulièrement détruites par les inondations, la présence de la tourbe et du chanvre, les moissons qui mobilisent tous les bras des hommes du villages, les corvées, l'abandon progressif de la terre de Moreaucourt, les courriers et les haleurs qui doivent franchir de nombreux petits ponts réduits parfois à une simple planche, les marchés où toute la population se rend (comment ne pas rencontrer les officiers !), les plus importants habitants qui s'opposent aux ordonnances de l'intendant, le Seigneur et sa Dame au château, le syndic (représentant de la communauté) qui ose affronter l'officier, les sanctions par amende et garnison pour les contrevenants, les femmes lavant le linge à la source, le collaborateur de l'officier qui espère la récompense, plus de 7 km de fossés et autres travaux achevés, les frais de déplacement de l'officier à payer encore par les habitants... bref, on pourra lire avec intérêt l'intégralité des justificatifs dont le lien est proposé en bas de page.

Les temps présents et une catastrophe passée à dater...

Les importants travaux effectués à la suite de cet orage semblent avoir eu un effet bénéfique à long terme. Il n'est pas connu, depuis cet orage de la St-Jean 1748, qu'il y ait eu de nouvelles inondations spectaculaires de ce type en cet endoit. Signalons toutefois que cette vallée de Mouflers se trouvant sur le tracé de l'autoroute A 16, une étude particulière fut effectuée pour étudier les effets de la réalisation de cette large voie de communication.

Par contre que l'on me permette de penser qu'une catastrophe bien plus dévastatrice que celle de 1748 s'était certainement produite dans les mêmes conditions vers les XIe ou XIIe siècles. Depuis quelques décennies, lors de travaux de construction ou au cours du creusement de quelconques tranchées, l'on retrouve en effet dans les jardins des maisons de la rue des Moulins-Bleus de nombreux squelettes orientés en tous sens, ossements souvent peu enterrés, parfois superposés. Alors que le sous-sol de toute cette région est composé de calcaire du Crétacé, sinon de tourbières ou de terrains marécageux, ces corps en tous sens se retrouvent dans une terre d'argile à silex ! Ces ossements ne sont pas ceux de guerriers, il n'y a aucune arme. Cette situation évoque alors tout à fait une noyade où les corps se retrouvèrent en tous sens, noyade provoquée par une coulée de boue alimentée par les couches arables, argileuses et caillouteuses recueillies par les vallées sèches. Cette vallée pourrait être celle de la vallée Delattre, mais celle de Mouflers justifierait davantage le grand nombre de morts parmi la population qui devait se trouver alors concentrée à proximité de la source de Fontaine-Thuraude et des Ergones. Une double coulée provenant des deux vallées sèches n'est d'ailleurs pas à exclure ! Et pourquoi les XIe ou XIIe siècles ? D'abord parce qu'une date récente est peu vraisemblable ; l'histoire en aurait gardé le souvenir direct. Ensuite parce qu'il semble bien qu'entre le XIe et le XIIe siècle, le cataclysme aurait été si important, en vies humaines et en destructions d'édifices, qu'il coïnciderait avec un changement de nom pour le village, passant d'Arguvium à Stella. On pourrait évoquer aussi le cas du village de Moreaucourt, qui semble lui dispaître à tout jamais, en même temps que ses seigneurs, sans que la création du prieuré en semble la cause. Une simple datation des ossements et une rapide analyse du terrain permettraient certainement d'en savoir davantage, mais, pour une première datation au C 14, il faudrait trouver 600 €... G. L.

Analyse sommaire (ADS, 1 C 1198) :

Pièce 1 : Le syndic de L'Etoile, et les habitants de Bouchon, demandent la venue d'un officier des Eaux et Forêts, le SNerlande. L'orage de la St-Jean 1748 (24 juin) a provoqué des dommages extraordinaires, causés par les eaux provenant des vallées de Mouflers et de villages bien plus éloignés encore. La boue a recouvert la plupart des terres situées entre Bouchon et L'Etoile, détruisant une bonne partie des grains et fruits, comblé un puits et endommagé les habitations de Bouchon. L'officier désigne les travaux à effectuer, essentiellement la réfection d'un important fossé allant de Bouchon au voyeu de L'Ergonne, et le creusement de sa jonction avec la Somme. Accord de l'Intendant. On note l'existence de masure dans les Ergones, la présence de tourbières et la culture du chanvre, l'usage encore existant des corvées, ici imposées pour effectuer les travaux (25 juillet 1748).

Pièce 2 : Communication de l'ordonnance de l'intendant aux syndics des deux villages qui demandent et obtiennent d'effectuer les travaux après la moisson, vers le 15 septembre. Il est mentionné que les inondations sont annuelles (30 juillet 1748).

Pièce 3 : Ordre de construction d'un fossé de 246 toises de long (480 mètres), 14 pieds de large (4,6 m) et 5 pieds de profondeur (1,6 m) entre le Voyeu de l'Argonne et la Somme. Trois ponts sont à construire, à la charge de la communauté, du seigneur et d'un particulier, Beurier, poissonnier [Ledit Beurier sera plus d'une fois réticent aux travaux exigés. On retrouve un Guillaume Beurier, qui est certainement ce même homme, prié d'arracher une haie située à proximité du bac, au procès-verbal de visite de la Somme, en 1750, et encore en 1755. Et les mêmes reproches sont encore adressés à Clément Beurier en 1775... (Voir C 1973, pièces 3, 6 et 9]. Ils permettront aux voitures, aux courriers et aux haleurs de traverser le fossé (en direction de Bouchon et Long). A Moreaucourt, est donné l'ordre de construction du glacis (voir Flix., FF 14/2), reliant deux anciens fossés, de 40 toises (78 m) de long et 18 pieds de large (5,9 m), avec sollicitation des habitants de Flixecourt et Bourdon. Les équipes de courvoyeurs se relaieront tous les trois jours (Septembre/octobre 1748).

Pièce 4 : A Moreaucourt, et malgré les réticences du maire de Flixecourt, le glacis est finalement terminé et prolongé de fossés le reliant à la rivière. Le fermier de Moreaucourt est chargé de retirer les arbres tombés dans les fossés, ce qu'il fait. En amont de Bouchon il faut encore réparer ou construire 3,5 km de fossés, ce que les habitants se mettent en devoir d'exécuter. Par contre, à L'Etoile, les syndics et habitants semblent peu conciliants, étant presque tous aux marchés voisins quand arrive l'officier ! (24 octobre et 11 novembre 1748).

Pièce 5 : Les travaux sont terminés, entre la Somme et la sortie de Bouchon, à l'exception de ce qui est à la charge d'une dizaine de "refusants", tenanciers habitants de L'Etoile. Ceux-ci, y compris le lieutenant de L'Etoile (!), sont tous personnellement désignés dans le procès-verbal, avec les travaux à effectuer. Ils n'ont pas encore commencé ou achevé le fossé, ou n'ont pas coupé les arbres désignés. Ces tènements semblent situés au Fief du Chapitre. Une fontaine (présumée la Fontaine-Thuraude), de grande utilité puisque étant unique pour les habitants de Bouchon et de Flixecourt, n'est pas encore complètement dégagée par les habitants de Bouchon. Forte tête, le nommé Beurier refuse toujours d'établir le pont à usage des haleurs (7 janvier 1749).

Pièce 6 : L'ensemble des fossés partant de Mouflers et rejoignant celui de L'Etoile au-dessous de Bouchon, est terminé. Ordre est maintenant donné de faire retrouver et de permettre l'écoulement de la source (fontaine) qui se trouvait à proximité du Camp-César et qui était " si abondante que six à sept femmes à la fois y lavoient leur linges dans son ruisseau " ! Pas moins de quatorze hommes seront requis chaque jour, huit de L'Etoile pour creuser et six de Bouchon pour évacuer les déblais, jusqu'à ce que l'eau vive puisse couler. Mais, alors que l'officier se trouvait au château pour ordonner au seigneur de placer, conjointement avec le SPingré de Fricamps, une planche sur le fossé du Moulin-Bleu, pour le passage des haleurs, le syndic de L'Etoile, furieux, vient retrouver l'officier pour lui signifie son refus de faire travailler à la fontaine ! (24 au 26 février 1749).

Pièce 7 : Pour refus d'obéissance, il est ordonné l'établissement d'une garnison chez le syndic et trois des principaux habitants de L'Etoile, ainsi qu'une condamnation globale de 10 livres d'amende. Mais ceux-ci se montrent alors près à effectuer les travaux. Les dernières exigences (deux bancs qui barraient le fossé à proximité de la Somme, une planche à allonger, un angle saillant à couper) sont finalement exécutées. Il en serait de même pour la fontaine et son ruisseau de décharge dans le fossé principal (7 au 11 mars 1749).

Pièce 9 (lire pièce 8) : Lettre de l'officier (accompagnée des 7 procès-verbaux précédents), adressée à l'intendant, lui signifiant l'achèvement des travaux, et sollicitant le remboursement de ses frais de voyages, 150 écus, à payer par les habitants de L'Etoile et Bouchon dans les proportions 2/3 et 1/3, arguant qu'ils se sont plaints eux-mêmes des inondations. Il sollicite également une récompense pour le nommé Beaussard, de L'Etoile, qui l'avait représenté en son absence (sans date [fin mars 1749]).

Pièce 8 (lire pièce 9) : Copie de l'ordonnance de l'Intendant qui, vu les procès-verbaux qu'il a reçu concernant 3 800 toises [7,4 km] de fossés réparés ou construits, en exige l'entretien et la vérification régulière, et alloue au SNerlande la somme de 120 livres (et non 150...), à payer par les habitants de L'Etoile et Bouchon (respectivement pour 80 livres et 40 livres, en y contraignant le syndic, et quatre habitants, par l'établissement de la garnison d'un cavalier (Paris, le 2 avril 1749).

 

Inondations : Pièces justificatives intégrales

Dernière mise à jour de cette page, le 17 octobre 2006.

 
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