L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL | |||
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Il suffit de regarder la carte IGN de Picquigny (2208 E) et de viser la large vallée tourbeuse de la Somme au niveau de L'Etoile pour découvrir les trois lieux-dits Marais de L'Etoile, Marais de Condé et Marais de Folie. Celui de Condé est situé à l’ouest de la route départementale D 216 (l’ancienne Cauchie) tandis que les deux autres sont situés à l’est.
Aujourd’hui ces trois marais appartiennent au territoire de la commune de Condé-Folie et les étangs qui les bordent ne sont plus qu’un agréable refuge pour pêcheurs à la ligne. On ne réalise plus, maintenant, ni que ces étangs furent jadis creusés à main d’homme pour en extraire la tourbe, ni que ces tourbières furent une bien intéressante source de revenus pour ceux qui les possédaient. Les autres gens se contentaient de faire paître leurs vaches dans les parties qui n’étaient pas encore tourbées, si ils y étaient autorisés ! Et de fait, dans les Marais de L'Etoile, appellation unique sous l’Ancien Régime pour les trois marais actuels, seuls les habitants de L'Etoile et de Condé-Folie-bas (la partie de Condé-Folie proche de la rivière), avaient un droit d’usage pour ces pâturages, à l’exclusion de ceux de Condé-Folie-haut. Ces marais étaient leurs communes, un bien commun délaissé par les seigneurs aux habitants concernés. Mais la réalité n’était pas aussi simple ; la vérité d’un jour n’est pas toujours celle de plus de six siècles d’usage et l’on imagine aisément les convoitises des exclus... L’histoire qui suit fera revivre les péripéties de ces marais à travers les incessants procès qui furent le faits des frères ennemis qu’étaient les habitants de L'Etoile et ceux de Condé-Folie, voire du seigneur de L'Etoile, et parfois par même du vidame d'Amiens, seigneur de Picquigny !
Des siècles d’usage et d’innombrables procès entre L'Etoile et Condé-Folie laissent des traces. Il n’y a pas si longtemps, le Courrier Picard publiait un article sur Condé-Folie « Pas de querelle de clocher à Condé-Folie. Juste une rivalité légendaire. Un conflit entre les Condates et les Stelliens. En 1788 [sic] un procès opposait les habitants de L'Etoile à ceux de Condé-Folie... Chacun prétendait que le marais qui sépare les deux villages lui appartenait. L'affaire réglée, l'ancienne querelle semble pourtant restée gravée dans les mémoires, et aujourd'hui encore, les deux communes apparaissent comme des rivales latentes » (25 juin 1991 !). Mais dans l’histoire récente il y eut aussi des périodes de calme, pour tout dire, ordinaires. « D'après les anciens de la commune [de L'Etoile] il existait avant-guerre un berger communal qui, le matin, emmenait les vaches des fermiers pour paître aux Marais de L'Etoile. En fin d'après midi, vers 17 heures, il revenait à L'Etoile avec son troupeau et ses chiens, et les bêtes quittaient d'elles-mêmes l'ensemble du troupeau pour regagner leur étable, tout le long de son chemin » [J. Hérouart, août 1995].
Pour l’historien picard ces marais ont surtout leur intérêt en tant que fief, le fief des Marais de L'Etoile (qui regroupait alors les trois dénominations vues ci-dessus). Il est vraisemblable qu’à l’origine ce fief se composait tout simplement de la totalité de la zone tourbeuse et marécageuse entourant un treillis de bras de la Somme, en face à L'Etoile (si toutefois cette seigneurie est plus ancienne que le fief des marais...). Puis des aménagements locaux (vers le xiie siècle ?), comme la création ou l’aménagement de la Cauchie (D 216), la mise en place ou l’élargissement d’un ancien ou nouveau pont sur la Somme et la canalisation rectiligne de cette rivière (lit actuel), au sud de « l’ancienne Somme », perturbèrent certainement ces marais qui se retrouvèrent, ou furent toujours, situés de part et d’autre de la Cauchie, et relevèrent pour un temps, pour partie d’Amiens et pour l’autre du Ponthieu !
Il est un fait certain : ces marais n’ont jamais relevé de l’abbaye de St-Riquier alors que la seigneurie de L'Etoile en a, elle, toujours été une appartenance. Dans les plus anciens textes, le fief des marais, du moins la partie située à l’est de la Cauchie, relevait du sire de Picquigny, vidame d'Amiens, et faisait partie d’un même lot de ses possessions que les châteaux de Flixecourt et de Picquigny. Au sortir de la guerre de Cent ans, le fief des marais ne sera plus associé à ces châteaux, ayant acquis une autonomie du fait présumé que par un heureux hasard ses possesseurs héritiers étaient aussi liés aux seigneurs de L'Etoile (Isabeau d’Ailly). Par la suite la notion de fief se perd progressivement, sauf dans les procès, avec un dernier aveu connu en 1734. Parallèlement ces Marais de L'Etoile deviennent un droit d’usage inaliénable pour les habitants de ce village ; ces marais représentent presque la totalité de leurs communes et ils en défendront leur droit d’usage par moult procès. La communauté des habitants de L'Etoile y est attestée dès 1510 et il est même présumé que ces habitants obtinrent leur droit d’usage, ou qu’il leur fut confirmé, par la charte de 1306.
L’existence de Condé-Folie-bas dans les appartenances de la seigneurie de L'Etoile commence à une date confuse. Il est toutefois attesté que la ville neuve de Folie était dite mouvante de L'Etoile en 1311... Je pense qu’il n’est pas exclu que celle nouvelle ville ait été créée pour loger des ouvriers lors du creusement du canal de la Somme à L'Etoile et des aménagements de la Cauchie et du pont sur la Somme, ce qui justifierait l'existence cette petite dépendance de L'Etoile, située de l’autre côté de la Somme ! Puis cette ville se serait agrandie jusqu’à rejoindre Condé, mais cette fois, par une population sans lien avec L'Etoile. L’existence de Condé-Folie-bas n’est (presque) explicite que depuis 1605 : « la moitié des villages de Condé et Follie ». En tous cas les habitants de Condé-Folie-bas auront le droit d’usage des marais de L'Etoile au moins dès le début du xviie siècle, tandis que ceux de Condé-Folie-haut en seront toujours exclus, sous l’Ancien régime. Ces derniers, après bien des tentatives de s’accaparer les marais et moult péripéties obtiendront néanmoins satisfaction partielle, mais bien après la Révolution, en 1808, lors du partage des marais !
Les publications concernant ce fief des marais sont rares et très incomplètes [DHAP, p. 292-3]. Elles mettent en priorité l’origine du fief : celui-ci ne pourrait-il pas être associé à ce fief unique en franc-alleu que l’on signale pour les marais de Picquigny ? Puis, aurait il relevé de Corbie, dont le baron de Picquigny fut l'avoué ? [Darsy, Picquigny..., p. 13-4]. Ch. Bréard ajoute que Vignacourt, Flixecourt [et le fief des Marais] pourraient être d'anciens dénombrements du comté de Corbie qui auraient été réunis à la seigneurie de Picquigny [MSAP, t. 33, p. 9-10].
Avant la Révolution, on l’a vu, le Fief des Marais recouvrait globalement les trois marais actuels, plusieurs chartes rédigées au XIIIe siècle et au tout début du siècle suivant le confirment. La première, datée de 1248, décrit ce fief tenu du vidame d'Amiens, sire de Picquigny, et situé en amont et en aval de la Cauchie, entre le cours de la Somme, là où les bateaux courent (le canal qui est l'actuel lit de la Somme, et non la Vieille-Somme), et les terres labourables. Ce fief semble ensuite constituer, sous ce nom unique, deux marais relevant de hauts seigneurs différents et de circonscriptions fiscales distinctes. Ainsi, en 1267, un délaissement de droits par la comtesse de Ponthieu ne concerne de ce marais que la partie située en aval de la Cauchie, cette chaussée étant d’ailleurs ainsi définie comme la délimitation est du Ponthieu.
Le dénombrement forcé, que produit en 1302 à l’évêché d'Amiens le sire de Picquigny, vidame d'Amiens, associe « les Marais de L'Etoile » à ses deux châteaux de Vignacourt et de Flixecourt, ces marais étant de lui tenus par deux petits seigneurs (Raoul de Rivières et Jehans le Mesaiger). Le vidame avait refusé le dénombrement, estimant que ces terres étaient jadis en franc-alleu...
La Chartre de 1306 a disparue, mais elle
existait encore après la Révolution et on sait qu’elle
avait alors été amputée de plusieurs folios présumés
concerner les droits de la communauté de L'Etoile dans ces Marais...
Par contre on sait qu’en 1311, Folie était une ville nouvelle,
existante et mouvante du fief de L'Etoile. Au sortir la Guerre de cent
ans l’on ne relève plus aucunes distinctions seigneuriales
ou autres pour ce fief (par rapport à la Cauchie) : le fief des
marais relève du vidame d’Amiens, seigneur de Picquigny,
c’est tout ce que l’on sait, tandis que la seigneurie de L'Etoile
relève naturellement de l’abbaye de St-Riquier.
En 1510, on observe pour la première
fois la mention que les habitants de L'Etoile (mais pas de Condé-Folie-bas)
sont concernés par ce fief ; pour ces marais ils paient une taille
de communauté et ils la paye à Isabeau d’Ailly (qui
semble avoir gardé ce fief et délaissé la seigneurie
de L'Etoile), laquelle leur baisse la taxe de moitié, à
9 livres 10 sols au lieu de 19 livres.
En 1516, Antoine I Leblond achète la seigneurie de L'Etoile aux Mailly, et aussi, selon une mention dans le procès de 1793, le fief des Marais de L'Etoile à Charles de Picquigny, fils de Jean. Si ce second achat était confirmé, mais les taxes qu’il perçoit ensuite et son usage en sont de sérieux justificatifs, un même petit seigneur disposait alors pour la première fois d’une entité géographique, L'Etoile et ses marais. En tous cas, pour les habitants, rien n’avait changé pour le montant des taxes de la communauté en 1517 et en 1518, et les conditions accordées par Ysabeau d’Ailly étaient dites reprises par le nouveau seigneur.
Le 23 mai 1529, les habitants de L'Etoile, ayant des arrérages envers le sieur Leblond, celui-ci leurs propose de lui céder 32 journaux sur le bord de la Somme au midi en offrant de leur remettre ces arrérages et de réduire le cens de 19 livres à six deniers par an, ce qui fut fait par une transaction notariée suivie d’exécution. Cette transaction avait « accordé aux habitans dudit village la propriété et jouissance desdits droits de commune, usage et pâturage desdits marais, étant [réduits] au nombre de deux cents journaux, en trois pièces, moyennant 6 deniers de cens qu’ils payent audit seigneur de l'Etoile par chacun an... ». On apprend encore que ces 32 journaux sont situés au nord des marais. [Cette partie du marais semble avoir été revendue assez rapidement à des particuliers de Condé-Folie en parcelles de 111 verges et 4/5 de verge (Voir les parcelles 347-380 des plans de 1783) ; on dit que les Leblond s’enrichirent avec la tourbe : ces parcelles, aujourd’hui étangs, pourraient donc effectivement avoir été tourbées par les Leblond avant d’avoir été revendues à des particuliers].
Le 3 octobre 1605, on relève le dénombrement fait à l’abbaye de St-Riquier par Antoine III Leblond. Il y est précisé, que dans les appartenances de la seigneurie, est « la moitié des villages de Condé et Follie » (dont les habitants sont « banaux » du moulin à blé de L'Etoile) et aussi, de manière confuse et inattendue (relativement à St-Riquier), «es marests dudit lieu de Lestoille, avec les habitans dudit village» ! [G 2235/2].
C’est vers 1640, dit-on, que l’église de Folie fut brûlée, par fait de guerre. Jusqu’en 1700, les habitants de Folie se rendront donc aux offices à L'Etoile, tandis que ceux de Condé, dont l’église semblait alors aussi détruite, mais de longue date, se rendent à Longpré. Cette situation de dépendance accrue par les habitants de Condé-Folie-bas et la possession du fief des marais par le même seigneur, semblent avoir contribué à accorder aux habitants de Condé-Folie-bas les mêmes droits, s’ils ne les avaient pas déjà, que ceux de L'Etoile ; mais à quelle date ?
Vers 1691 commencent les mentions explicites de présence d’habitants de Condé-Folie (haut, bas, ou réunis) dans les marais. Ceux-ci avaient envoyé leurs bestiaux paître dans les marais et ces bestiaux avaient été saisis. Dans les longues procédures apparaît que « ledit seigneur de l'Etoile est seigneur de Condé et Folie-bas », et par conséquent ce fait justifie que les deux communautés ont un droit d’usage de ces marais. Le procès s’achève en 1696, confirme et voit les Marais de L'Etoile maintenus aux seuls habitants de L'Etoile et Condé-Folie-bas, à l’exclusion de ceux de Condé-Folie-haut. A signaler aux pièces du dossier que, durant cette période de provocations, les habitants de Condé-Folie (réunis) semblent avoir œuvré pour payer volontairement de fortes taxes afin de justifier de leur propriété !
Peu avant 1700 commence un autre épisode de récupération des Marais. Cette fois c’est le sieur Gouffier, seigneur de L'Etoile, qui, en vertu de l’ordonnance de 1669 autorisant les triages (droit pour les seigneurs de récupérer un tiers des communes, si les habitants s’en contentent) essaye de s’approprier, non un tiers mais un huitième (25 journaux) des marais. Pour cela il accorde un terrain aux habitants de Condé-Folie-bas pour la reconstruction de leur église, espérant ainsi avoir leur reconnaissance, et fait agir le marquis de Vauchelles, son fondé de pouvoir. Le projet consistait à faire le partage des marais, en deux moitiés, l’une pour Condé-Folie-bas et l’autre pour L'Etoile, et à prendre 25 journaux sur le lot de L'Etoile, en faisant comprendre à ces derniers qu’ainsi ils ne seraient plus troublés par les habitants de Condé-Folie ! Une transaction est dressée le 31 janvier 1700 ; elle avait été suivie de violences et voies de fait de sa part ; mais l’opposition tenace de quelques habitants rendit cet acte sans effet.
Peu après 1700, les habitants de Condé-Folie-haut envisagent une procédure extrême : ils essayent, une première fois, de s’accaparer entièrement et exclusivement des Marais de L'Etoile, avec l’objectif à tenir que ces marais sont les leurs et que ceux des habitants de L'Etoile sont en réalité situés de l’autre côté de la Somme, au nord ! Ils obtiennent d’abord de l’Intendance d'Amiens de ne plus faire qu’une seule communauté d’imposition avec les habitants de Condé-Folie-bas, puis passent à l’action. « Ce procès suivi avec acharnement, après une instruction immense, enquêtes, descente du juge sur les lieux, arpentage général, plan & figure, procès-verbal volumineux contenant les dires, réponses, répliques et dupliques qui de la part des habitans de l'Etoile démontroient la vérité la plus frappante fut terminé par une sentence sur épices rendue sur le plus mûr examen le 4 août 1704, par laquelle les habitans de l'Etoile furent maintenus & gardés dans le droit & possession des 200 journaux des Marais de l'Etoile, désignés au plan, pour en jouir conjointement avec Condé-Folie-bas, seul, avec défenses aux habitans de Condé-Folie-haut de les troubler par eux ou leur pâtre, et ils furent condamnés en tous les dépens. »
Le dernier relief de ce fief est servi
le 16 octobre 1734. Le 26 avril de la même année, la communauté
de L'Etoile avait fait sa déclaration au papier terrier de L'Etoile,
pour 200 journaux de marais.
En 1748, on assiste à une fugace
deuxième tentative par les habitants de Condé-Folie-bas
de se faire adjuger exclusivement le Marais entier de l'Etoile. Mais le
commissaire « éconduisit ces tentateurs téméraires
avec l’indignation qu’ils excitoient. »
L’année 1758 est celle du début d’un trouble d’une nouvelle espèce. Le sieur de Calonne, seigneur de L'Etoile, à l’appétit d’une commune remplie de tourbes qu’il convoitait, forme lui aussi une demande en triage au siège de la Table de Marbre. Il y succombe, lui aussi, avec dépens, par un jugement au Souverain du 28 octobre 1758. Mais en représailles, il imagine de ne pas recevoir le payement de la taxe afin d’acquérir le marais entier. Pour arriver à ces fins, on assiste à un réquisitoire de son procureur fiscal de seigneurie à son bailli, lequel fait « défenses aux habitans de continuer à faire pâturer leurs bestiaux, à peine de 75 sous d’amende... Aussi, les bestiaux continuant d’aller à la pâture, le seigneur & ses officiers de justice s’enflamment, & les exploits volent de toutes parts : vingt-trois assignations pardevant le bailli, à la requête du procureur fiscal ; vingt-trois sentences par défaut le 24 octobre 1759, signifiées sur-le-champ, avec condamnations en 75 sols d’amende & aux dommages & intérêts, au dire d’experts ; vingt-trois procès-verbaux de nominations d’experts avec toutes les procédures & les exploits accessoires ; appel des habitans en nom collectif au bailliage d'Amiens ; ordonnance sur requête, qui reçoit l’appel, permet d’intimer le seigneur & cependant défenses d’exécuter l’ordonnance du bailli de l'Etoile. Le 9 décembre suivant, sentence par défaut qui infirme & maintient les habitans dans leurs communes. » Ouf !
Après un court répit, début
1763, le sieur de Calonne aux abois, menacé de saisie de sa seigneurie
pour dettes, reprend ses initiatives. « N’osant suivre
son entreprise mal ourdie, il prend le parti d’user d’un stratagème
fort singulier et sans exemple. Ni lui, ni son prédécesseur,
n’avaient fait leur relief du fief des Marais à Picquigny.
Il va trouver les officiers de justice & il les engage à saisir
féodalement, comptant vexer par là plus efficacement les
habitans. Le 20 mai 1763, une saisie féodale complaisante est ordonnée
par le bailli de Picquigny, avec établissement de commissaire,
& sous prétexte de trouble à ce commissaire fourni par
le sieur de Calonne, ordonnance du bailli de Picquigny portant défenses
de faire pâturer les bestiaux, & permission au commissaire de
prendre huissiers, recors et cavaliers de ma[ré]chaussée
pour saisir les bestiaux & les enlever. » Ainsi le seigneur
et le vidame espéraient se partager les tourbes. Mais les habitants
de L'Etoile trouvèrent la parade et sommèrent « le
sieur de Calonne de servir son relief, sinon qu’ils le serviroient
par un syndic, ce qui fut fait après un délai de trois jours,
aux offres de payer le cens au commissaire. » Le 9 juin 1763,
défense est faite par le Siège d’Amiens d’exécuter
l’ordonnance du bailli de Picquigny. Six mois plus tard, le vidame
d'Amiens faisait appel et exhibait la Charte de commune de l'Etoile de
l’an 1306 ! Ce vénérable document, avait semble-t-il
été soustrait aux habitants et remis au vidame par le seigneur
; elle est présentée dégradée, raturée,
avec des pages manquantes, naturellement celles supposées contenir
les privilèges des habitants dans les Marais. Mais encore une fois
la communauté de L'Etoile est confirmée dans ses marais,
et le Vidame de Picquigny condamné en tous les dépens (arrêt
du 7 août 1767). Quant au sieur de Calonne, il n’avait
pu honorer ses remboursements d’emprunts, mainmise du roi avait
été mise sur sa seigneurie de L'Etoile depuis le 11 août
1763 puis celle-ci vendue au sieur Jourdain le 17 septembre 1766. Mais
le sieur de Calonne avait porté un dernier coup aux habitants de
L'Etoile : « il avoit fait porter dans la saisie réelle
de ses terres, les Marais & communes de l'Etoile, pour 189 journaux
5 verges ». Les habitants durent donc se pourvoir aux Requêtes
du Palais, où l'adjudication s'était poursuivie. «
Il y demandèrent la distraction qui leur fut accordée
par sentence du 12 août 1768 » et le sieur Jourdain,
adjudicataire de la seigneurie, se désista pour ces marais et les
communes des habitants.
Il semble qu’en 1778 le sieur
Jourdain obtienne la saisine de ces marais.
On dispose de grands plans parcellaires archivés, dessinés vers 1783, et des cahiers correspondants jouant le rôle de matrice cadastrales. Ces plans nous représentent enfin ces marais, toutefois en deux parcelles seulement, Commune vers Folie, et Commune vers Condé, positionnées de part et d’autre de la Chaussée. Ces deux parcelles, n° 501 et 717, ont respectivement pour contenances 12319 verges ½ et 7093 verges, soit au total, 194 journaux 12 verges ½ (soit un peu plus de 83 hectares).
En mai 1790 commence la troisième et dernière tentative de préemption exclusive des Marais de L'Etoile par Condé-Folie-haut. Tout commence par des bestiaux mis en pâture dans les marais, et des arbres coupés. S’ensuivent toute une série de délibération, permis d’assigner (22 mai), mépris des défenses, sentence contradictoire (12 juillet), nouveau mépris des défenses, emprisonnement du pâtre, appel puis arrêt qui relâche le pâtre... Deux ans plus tard, les habitants de Condé-Folie-haut et bas vont se regrouper (10 juin 1792), la nouvelle assemblée de Condé-Folie ayant décidé et contre attaquer et d’obtenir le « droit exclusif d’envoyer ses troupeaux paître dans les marais qui se trouvent dans l’étendue de son territoire » ! L’affaire prend de l’ampleur, le conseil général de la commune de Condé-Folie décide de mettre en cause l’ancien seigneur de L'Etoile et Condé-Folie-bas ! Les procédures continuent jusqu’à la rédaction de deux mémoires imprimés bourrés d’extraits de documents de toutes époques (une aubaine pour les historiens). Le premier mémoire, rédigé par les habitants de L'Etoile (26 pages) est publié en 1793 (entre le 10 juin et le 13 novembre), tandis que le second mémoire imprimé pour le compte des habitants de Condé-Folie (54 pages !) est supposé lui répondre. Le premier mémoire se contente de confirmer la plainte sur les pâturages et la coupe des arbres, tandis que le second, signé du maire de Condé-Folie, essaye de justifier, en six propositions, mais avec des arguments souvent décalés et la plus mauvaise foi digne de jeux inter-villages, que ces Marais de L'Etoile étaient originairement les leurs et que c’est à la suite de la période où les habitants de Condé-Folie eurent leurs églises détruites et furent alors obligés de se rendre pour partie à L'Etoile que le seigneur de L'Etoile amena ses habitants à s’accaparer de ces marais ! L’objectif de Condé-Folie, avoué dès les premières lignes, est en fait de pouvoir bénéficier de l’article 8 de la loi du 28 août 1792 « Les communes qui justifieroient avoir anciennement possédé des biens ou droits d'usage quelconques, dont elles auront été dépouillées en totalité ou en partie, par des ci-devant seigneurs, pourront se faire réintégrer dans la propriété ou possession desdits biens ou droits d'usage... »
Qui a gagné ? La Révolution passée, il faut attendre 1805 pour que les nouvelles administrations prennent leurs décisions et les appliquent, dans le cadre de nouvelles circonscriptions. Le 21 août le préfet donne un arrêt pour la nomination d’experts en vue du partage définitif du marais indivis entre L'Etoile et Condé-Folie-Bas. Puis, est rédigé un procès-verbal de sondage et d’estimation des prix de la tourbe et du pâturage pour les marais indivis de L'Etoile et Condé-Folie (9 juin 1807).
Le grand jour est arrivé. Le 18 avril 1808 le partage du marais est réalisé. Le document est heureusement conservé avec un plan couleur annexé, d’échelle environ 1/2000e (Voir ci-contre, présenté inversé pour que le nord soit approximativement vers le haut). C’est à Jourdain de Prouville (le tout nouveau maire de L'Etoile) que revient l’honneur de réaliser enfin le partage des marais. La superficie calculée est de 82 ha 11 a 48 ca, soit 191 journaux 45 verges, et non 200 journaux comme la tradition l’estimait (mais l’on ferme les yeux sur des propriétaires particuliers qui semblent avoir bien empiété sur ces marais...). La répartition entre les deux villages ne s’effectue pas sur la superficie mais sur la valeur du tourbage, estimée par les experts à 160 666,39 francs, et proportionnellement au nombre de ménages, 181 pour Condé-Folie (tout entier et non Condé-Folie-Bas seulement, c’est leur petite victoire...) et 167 pour L'Etoile. Les parts sont donc respectivement les 181/348e et 167/348e de la valeur. L’acte détaille minutieusement la part revenant à Condé-Folie. Quant à la quote-part revenant à L'Etoile elle est résumée en deux seules petites lignes à la fin de l’article 3 : c’est la parcelle située à l’est du chemin de L'Etoile à Condé-Folie jusqu’à une ligne GH créée pour ce partage et repérée d’après des angles à mesurer par rapport aux clochers des villages voisins !
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