L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL | |||
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« Comment fais-tu pour te souvenir que le coût du repassage d’un couteau allait de 15 à 25 francs anciens ? (Voir le rémouleur).
— C’est très simple, mais c’est toute une histoire », répond Jacky Hérouart !
Depuis ma plus tendre enfance, et même après mon mariage jusque vers 1972, j’ai fait de l’élevage de lapins. Enfants, nous habitions rue d'Amiens en face du chalet Lancel. L'endroit était exigu, je n’ai jamais eu plus de trois lapins ! C’est moi qui allait "faire de l’herbe" et en hiver notre voisin Maurice Desplains me donnait des betteraves. Quand mes lapins étaient devenus suffisamment gros, il était temps... de les manger... Main droite tendue, lapin suspendu par la main gauche tenant les pattes de derrière, notre père assainait un coup sec derrière les oreilles, le fameux coup du lapin, et s'en était fini. Venait ensuite la pendaison, encore par les pattes de derrière, un œil arraché au couteau pour faire couler le sang et enfin le dépiautage !
C'est là que mon couteau, toujours le même, bien aiguisé, entrait en action pour sectionner la peau autour des pattes et de la tête. Le dépiautage, proprement dit, consistait à tirer la peau vers le bas, depuis les pattes dégagée du haut jusqu'à la tête. Ainsi la peau se retournait comme une chaussette. Il fallait bien prendre soin de ne pas l'abimer, notamment de ne faire aucun trou dans la partie dorsale... Mon père bourrait alors l’intérieur avec des vieux journaux ou de la paille afin que la peau soit bien tendue et que l'on puisse l’accrocher pour la faire sècher dans un endroit sec.
Environ une fois par mois, un homme passait dans toutes les rues de L'Etoile. Il devait s’appeler Auger [Auguet] et habitait Saint-Léger-les-Domart (pas très loin du bijoutier actuel). Au début il venait à vélo, mais par la suite il s'équipa d'une motocyclette. On l’appelait le « marchand de peaux » mais il ne nous vendait rien, au contraire il achetait les peaux, toutes les peaux, chèvres, lapins, taupes, etc. Quand il passait dans les rues il criait à tue tête, PEAUX D'LAPINS, PEAUX ! On lui apportait alors les peaux de lapins mises de côté. Il les examinait avec soin et, selon la qualité, l’état et la grandeur, nous en offrait entre 15 et 25 francs (anciens ). Son deux roues avait été adapté pour la nécessité. Il était bien vite recouvert de peaux et on ne voyait bientôt plus ni les roues ni le guidon.
Sitôt rentré à la maison j’entreposais l’argent dans ma tirelire – je l'ai toujours, elle à au moins 55 ans – et quand le rémouleur passait, devinez quoi, je lui portais à affuter un certain couteau qui ne servait qu’a dépiauter les lapins... Coût : de 15 et 25 francs !
Revenons à nos peaux d'lapins ! En faire le commerce devait avoir son attrait puisque notre Auget de St-Ouen avait un concurrent direct en la personne de Georges Croisé, de Flixecourt. Le premier passait le samedi, et le second le lundi. Georges, beaucoup plus jeune, une vingtaine d'années, avait la voix encore trop frêle. Aussi, seul Auguet avait le monopole de la harangue, Peaux d'lapins Peaux ! Georges était marié à Muguette Daussy. Le couple avait habité aux HLM de L'Etoile avant de partir à Flixecourt.
La famille Auguet constituait une véritable dynastie dans la pelleterie "cunicule" (père, fils et beaux-fils) écumaient toute la vallée de la Nièvre. Le prix moyen d'achat variait de 15 à 20 centimes de franc soit environ 2 à 3 centimes d'euro. La famille était installée à Saint-Ouen et Saint-Léger-lès-Domart. Leur reconversion dans la ferraille ne fut pas un succès...
D'après une idée et un texte de J. Hérouart. Compléments Auguet par Régis Guéant.
Dernière mise à jour de cette page, le 3 avril 2007.