L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL
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Bulle de Moreaucourt (1179)

Compléments et traduction

Notes

     Albert, le rédacteur, est probablement Albert de Morra, chancelier de l'Eglise romaine (futur pape Grégoire VIII), qui rédigea les textes des bulles de 1178 à 1187. Il s'appliqua à déterminer les règles de l'arrangement des mots afin de produire l'harmonie, ce qui se retrouve effectivement, du moins pour le rythme de la fin des phrases [Giry, p. 458].

Les copies et analyses connues

Cette lettre papale fut naturellement copiée à plusieurs reprises. On connaît l'existence d'un vidimus (une copie) fait par les échevins de Flixecourt, à la date du 2 avril 1456, document qui manque mais qui est connu par sa copie du XVIIe siècle [ADS, 78 H 22]. Citons également l'important recueil des bulles papales publié en 1942 par J. Ramackers, Papsturkunden in Frankreich (Tome 4, Picardie, bulle 203, p. 349/351), auteur qui ignorait malheureusement l'existence de cet original pour Moreaucourt et qui se réfère donc au vidimus des échevins et à une copie datée de 1648 [ADS, 78 H 1]. L'analyse du parchemin permet de découvrir quelques imperfections dans les copies, pour presque tous les noms de lieux (lire Moralcort et non Moreaucourt, etc.) et dans les interprétations des abréviations, ainsi il faut lire in censu aque de castello q(uo)d Stella vocatur (et non quae).

Datation corrigée de la bulle

Si l’on se réfère à la date de style romain portée sur le parchemin, le 3 des ides de mars 1177, cette bulle date du 13 mars 1177 vs. (vieux style, celui utilisé par Alexandre III ), soit encore du 13 mars 1178 ns. (nouveau style, datation actuelle, puisque selon les coutumes de la chancellerie pontificale l'année changeait le 25 mars). Mais la comparaison des signataires de cette bulle avec ceux des bulles connues pour être de la même année ne correspond pas . On relève d'abord dans les tomes 3 et 4 des inventaires de J. Ramackers (Artois et Picardie) qu'en 1177 vs. la rédaction des bulles était fréquemment de la main de Gratiani, à Vieste ou à Rialto, alors qu'en mars 1178 vs (soit 1179 ns.) les actes furent rédigés, comme celui concernant Moreaucourt, par Alberti, depuis Latran. De même pour l’année 1177 on relève des subscriptions de cardinaux-prêtres et cardinaux-diacres des églises paroissiales de Rome inhabituelles ou différentes (ainsi Hugo au lieu de Johannes pour la paroisse de Ste Angeli, acte 83 de l'Artois), alors qu'en mars 1178 on trouve une liste de signataires rigoureusement semblable et de même ordre ; elle permet même de compléter plusieurs lignes laissées vides dans la bulle de Moreaucourt par l'absence des cardinaux au moment de la rédaction (acte 97 de l'Artois, du 6 des nones de mars 1178, soit le 2 mars 1179 ns., acte ayant de plus toute la première partie identique à celle de la bulle de Moreaucourt, aux seules références près du destinataire). L'année 1179 est enfin confirmée par M. Rolf Grosse [Institut Historique Allemand de Paris (Papsturbunden)], qui signale que les deux cardinaux, Canthyus et Johannes n'étaient pas encore entrés en fonction le 13 mars 1178. On peut donc rajeunir cette vénérable bulle de deux années (dont l’une par actualisation du calendrier), et conclure que l'acte date du 13 mars 1179 ns (et non 1178).

Aléaume d'Amiens, que l’on dit décédé le 21 juin 1176 et qui serait inhumé à Moreaucourt, était donc mort lorsque cette bulle fut publiée. Au lieu de dater cette bulle d’un ou deux ans après la mort du fondateur, a-t-on souhaité porter une date se rapprochant sensiblement de celle de son décès pour éviter d’éventuelles contestations de la part de Dreux d’Amiens, son héritier ? Ou la mise au propre de cette bulle papale ne fut-elle exécutée qu’un ou deux ans après une première ébauche ? On l'ignore, mais l’on sait par contre qu’il arrive souvent que l'année ne soit pas correcte.

Stella (L’Etoile), château ou paroisse ?

On est un peu surpris, mais c’est assez fréquent dans ce type d’actes, qu’Aleaume d'Amiens, fondateur de ce prieuré, ne soit cité que de manière anecdotique, à propos de l’alimentation en eau d’un moulin ! De même on ne relève aucune allusion ni à son récent décès ni à son héritier, Dreux d'Amiens (qui par ailleurs n’a pas jamais confirmé, ni contesté, ces donations). Et que représentait Stella pour ces seigneurs, un château isolé de leurs possessions ou le château d’un village-paroisse ? Le don de 2000 anguilles « in censu aque de castello q(uo)d Stella vocatur » [lignes 9 et 10] semble bien ne pas déjà sous entendre une paroisse structurée mais seulement un château répondant à une stratégie militaire. Le terme castellus désigne surtout un établissement militaire, château fort, tour ou fortification. Il peut désigner un village mais le terme reste totalement laïque. Pour ce qui est de la nature de l’eau où se trouvaient les anguilles, le plus probable serait qu’il s’agisse des douves, « l’eau du château » semble impliquer un rapport étroit) [Remerciements à D. Richard].

Traduction intégrale de la bulle

Alexandre, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, aux filles aimées du Christ, Mathilde, prieure de Moreaucourt et ses sœurs présentes et à venir, qui ont choisi, pour l’éternité, une vie rayonnante.
      Comme, en raison de la fragilité de votre sexe et de votre vœu de prendre la religion, vous ne pouvez vous protéger, l'ordre du droit demande que nous vous offrions notre protection apostolique, dans la mesure où vous pouvez accomplir convenablement le vœu que vous avez fait. C’est pourquoi, filles aimées du Christ, nous nous rendons volontiers à vos justes demandes, prenons sous notre protection et celle de St Pierre votre monastère dans lequel vous avez été consacrées au service de Dieu, et nous vous faisons savoir, par le privilège du présent écrit,
     - tout d’abord, que nous décidons que l'ordre monastique qui, suivant Dieu et la règle de St Benoît, et aussi les pratiques des Sœurs de Fontevrault, est reconnu avoir été institué dans votre monastère, y sera respecté pour l’éternité ;
    - en outre, que toutes les possessions et tous les biens que ledit monastère possède aujourd’hui, de manière juste et conformément aux lois de l’église, ou [possèdera] dans le futur, par concession des papes, générosité des rois ou des princes, offrandes des fidèles ou tout autre moyen qu’il pourra avoir, dans le respect (?) du seigneur, vous resterons acquis et offerts, à vous et vos successeurs :
      la dîme de Vignacourt, la dîme du Camp-Wadin (L'Etoile) ; la dîme de Herchies ; la dîme de Raimbecourt ; la dîme de Autheux (?) ;
      à Bois-Riquier deux charruées de terre devant être possédées librement, sans perception de terrage (champart ) ;
      à Tillé (près Labroye, Pas-de-Calais ), une charruée de terre libre ;
dans l'eau de la cense [sur les produits de l’eau] du château appelé L'Etoile, deux mille anguilles ;
      (le droit sur) toute la pêche depuis Flixecourt jusqu'à L'Etoile, et une écluse à l'intérieur d'un vivier, partout où on le voudrait pour la capture des anguilles ;
      l'eau pour le travail d'un moulin, de sorte que, si ledit moulin ne peut moudre par manque d'eau, un des moulins d'Aleaume d'Amiens fondateur de ce lieu, ou de ses héritiers, cessera jusqu'à ce que vous ayez moulu suffisamment pour votre usage ;
      et aussi du bois pour le chauffage, en la forêt de Vignacourt ;
      dix livres à l'argenterie de Saint-Riquier ;
      dix autres livres sur le minage de Labroye (Pas-de-Calais) ;
      en la cense de Flixecourt, cinquante sols pour l'anniversaire dudit Aleaume ;
      un autel à Fransures avec perception de la totalité des dîmes tant grosses que menues ;
l'église de Rouvrel , avec ses appartenances, en Amiénois [ou à rattacher au groupe suivant];
      en la cense de Gouy-L'Hôpital de St-Martin quatre sols six deniers, et onze chapons [tout ce qui précède vraisemblablement du don d’Aleaume];
      en la cense de Saissemont?, la dîme que l’on sait que Gautier tient ;
      à Domqueur, un demi muid de blé donné par Hugues ;
      à Montreuil (Pas-de-Calais), du don de Gérard [Géraut] de Marle, une rente annuelle de dix sols ;
      à Abbeville, dix-sept sols, du don de Raoul Toille?, que Raoul de Vinacourt a payé en retour pour la maison qu'il tient à Abbeville ;
      du don de Grimaldi et Richarde son épouse, quatre livres et dix sols ;
      quatre muids de vin en la dîme de Nointel (Oise, à l'est de Clermont) ;
      à Clermont (Oise), du don de Fulcon, un arpent de vigne ;
      au domaine de Neuville (nombreux villages, Oise ?), deux muids et demi de vin, du don dudit Fulcon ;
      toute la dîme sur le vin à Villers (Villers-Saint-Paul, près de Clermont - Oise) ;
      la dîme sur le blé de Gaigne ;
      du don de Raoul, comte de Clermont , un muid de vin dans ses domaines, et une manse [mesure de terre] sur sa terre, et un sergent pour collecter la dîme ;
      et que personne ne s’avise d’exiger la dîme sur les novales que vous cultivez de vos mains ou à ferme, ou sur la nourriture de vos bêtes ;
     mais qu'il vous soit permis, dans les paroisses que vous avez, de choisir les clercs [comprend les diacres, vicaires...] et de les présenter à l'évêque, à qui - s'ils sont aptes - l'évêque confiera le soin des âmes, de façon à ce qu’ils doivent répondre devant l’évêque du soins des âmes, mais devant vous des choses temporelles ;
     qu'il vous soit permis également de recevoir à votre confession les femmes libres ayant reçu l’absolution et qui fuient le siècle, et de les retenir dans votre collège sans contradiction d’aucune sorte ;
      nous interdisons en outre, qu’il ne soit permis à aucune de vos sœurs, une fois faite sa profession dans votre couvent, de s’écarter de votre cloître sinon pour rentrer dans une religion plus élevée [prieure, abbesse ?], mais que personne ne s’avise de retenir celle qui part sans la caution de toutes vos lettres. Si en outre, il y a un interdit général en cette terre, qu’il vous soit permis, les cloches éteintes et non poussées, les excommuniés et les interdits exclus, de célébrer silencieusement les offices divins. Nous décidons aussi que la sépulture de ce lieu doit être libre, afin que personne ne s’oppose, dans le maintien de la justice de ces églises, à la dévotion et surtout à la volonté de ceux qui ont décidé de s’y faire enterrer, à moins qu’ils ne soient excommuniés ou interdits, et que les corps des morts soient pris par les eaux.
      Nous décidons donc qu'il ne soit permis à aucun homme de troubler jamais l'assemblée susdite, ou d’ôter les possessions, ou de garder les biens enlevés, ou d’inquiéter par des vexations quelles qu'elles soient, mais que tous les biens soient conservés intacts, pour le gouvernement et la survie de qui ils ont été concédés et sont destinés à être exploités de toutes les manières, dans le maintien de l’autorité épiscopale et de la justice canonique de l’évêque, et la révérence et l’obéissance dues, selon l’habitude, à l’abbesse de Fontevraud. Si, dans le futur, quelque personne laïque ou ecclésiastique, connaissant cette page que nous avons faite, de notre convention aura tenté de la contester, avertie pour la deuxième ou troisième fois, si elle n'a pas corrigé son reproche par une digne justification, qu'elle soit privée de sa dignité de pouvoir et d'honneur, et qu'elle sache qu'elle est soumise à la justice divine à propos de l'injustice qu'elle a faite, et par le corps et le sang très sacré de Dieu de Notre Seigneur Rédempteur Jésus-Christ, qu'elle soit exclue et que dans une dernière extrémité, elle soit soumise à une vengeance rigoureuse ; mais, à tous ceux qui observent ces règles en ce lieu, que la paix de Notre Seigneur Jésus-Christ soit, jusqu'à ce qu'ils perçoivent là le fruit de leur bonne action, et que auprès du juge retenu ils reçoivent les récompenses de la paix éternelle.
Amen. Amen. Amen.


      Seigneur, montre moi tes voies [sur le pourtour de la rota]
      Très Saint Pape Alexandre III [à l’intérieur de la rota]
     Moi Alexandre, évêque de l'Eglise Catholique [souscription du pape (et monogramme Benevalete)]
      Moi, Nubalbus, évêque d'Ostie [souscription du cardinal-évêque doyen]
      Moi, Jean, prêtre-cardinal de P..., titulaire de St-Pierre-et-Paul ; Moi, Jean, prêtre-cardinal titulaire de Saint Anastase ; Moi, Jean, prêtre-cardinal titulaire de Saint-Marc ; Moi Pierre, prêtre-titulaire de Sainte Suzane?; Moi Pierre, prêtre-cardinal, titulaire de Saint Chrysostome?; Moi V..., prêtre-cardinal, titulaire de Saint Etienne sur le mont Celius?; Moi C..., prêtre-cardinal, titulaire de Sainte Cécile; Moi Hugues, cardinal, titulaire de Moi, Mathieu, prêtre cardinal, titulaire de St- Marcel [souscriptions de 10 cardinaux-prêtres (curés des églises paroissiales de Rome)]
      Moi, Ja., diacre-cardinal de Ste-Marie de C...; Moi Ardicio, diacre-cardinal de St-Théodore, et Ramerus diacre-cardinal de St-Georges; Moi Macianus, diacre- cardinal de St-Cosme et St-Damien; Moi Jean diacre-cardinal de St-Ange; Moi B, diacre- cardinal de St-Nicolas [Souscriptions de 6 cardinaux-diacres (desservants des églises succursales)].

      Fait à Latran, de la main d'Albert, cardinal-prêtre et chancelier de la Ste-Église Romaine, le trois des ides de mars, indiction XI, l'an mille cent soixante dix sept [1177] de l'incarnation, en la vingtième année du pontificat du pape Alexandre III. [Au repli].

 

       Remerciements à Damien Richard, membre de l’Association des élèves de l’Ecole Nationale des Chartes, à M. Cryotjeanmin, professeur de diplomatique (juillet 2004), et à M. Rolf Grosse, de l'Institut historique allemand de Paris (octobre 2004).

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