L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL

Les ponts de L'Etoile et des environs, durant la Seconde Guerre mondiale

 

Parfois l’histoire du village déborde un peu sur celle des villages voisins. C’est le cas pour l’histoire des ponts, en particulier pour ceux de la ligne privée Saint-Frères, ligne qui partait de l’usine des Moulins-Bleus et bifurquait à proximité de la Breilloire pour rejoindre d'une part l'usine de Flixecourt, d'autre part la grande ligne SNCF longeant la Somme, le pont privé Saint-Frères sur la Somme étant parallèle à celui de la ligne secondaire SNCF, ces deux ponts situés au lieu-dit la Breilloire, territoire de Flixecourt.

Rommel traverse la Somme sur les ponts de la ligne Saint-Frères...

Le 14 mai 1940 le groupe du XIXème Corps de blindés de Gudérian franchit la Meuse à Sedan. Dans les jours qui suivent, rien ou presque n’arrête ces troupes qui avancent vers la mer.

Les premiers éléments motocyclistes allemands arrivent en reconnaissance à l’Etoile dans l’après midi ensoleillé du lundi 20 mai 1940. Peu a peu les blindés établissent des têtes de pont sur la rive nord de la Somme, à Amiens, Ailly sur Somme, Picquigny, l’Etoile et à Abbeville où ils font leur entrée dans la ville. Le matin du même jour, le Génie Français, afin d’enrayer cette avancée, avait dynamité quelques ponts sur la Somme, en particulier celui de L’Etoile (et celui de Pont-Rémy, le même jour ou auparavant), pour ce qui est de notre secteur. Le pont S.N.C.F. enjambant la Somme à proximité de la Breilloire avait également été dynamité (de même que le 30 août 1914, lors de la précédente guerre ; voir CP 374). Mais parallèlement, se trouvait le pont Saint Frères... Il fut « oublié » par le Génie... Il suffit qu'un pont soit détruit sur une ligne pour que les trains réguliers ne puissent plus passer, mais il suffit qu'un pont ne soit pas détruit sur une rivière pour que les armées puissent s'y engouffrer !  Les ponts suivants, permettant à chacune de ces deux lignes de passer au-dessus de la route départementale D 218 (reliant Hangest à Condé-Folie), n'avaient pas été détruits : la ligne SNCF était donc coupée, mais celle de St-Frères libre...

Le 5 juin, arrivant à Hangest à la tête de la 25ème Division de Panzer, Rommel profite de cette erreur stratégique. Il fait démonter les rails et les traverses de la ligne privée St-Frères depuis le pont sur la Somme jusqu'à celui de la route départementale. Les chars franchissent alors la Somme, suivis par l’infanterie en vagues serrées, et pénètrent profondément dans les lignes françaises. Les 9 et 10 juin ils atteignaient la Seine et l’on sait tout ce qui en découla… Lien, pour en savoir plus...

 
Les chars de la Panzer Division de Rommel traversent la Somme au pont Saint-Frères.
Les rails et traverses sont remplacés par un plancher de madriers.

Peu avant la fin de la guerre, en juillet 1944, les Allemands battent en retraite et cette fois ce sont eux, dans le but d’enrayer l’avancée des troupes alliées, qui font sauter le pont Saint-Frères. Il avait pourtant échappé une seconde fois à la destruction, ayant résisté aux bombardements des Anglais, qui espéraient ainsi retarder cette retraite.

Le principal pont du village ayant été détruit par le génie dès l'annonce de l'arrivée des allemands, ce sont les stelliens qui se retrouvèrent les premiers pénalisés, d'autant plus que l'ennemi était passé par le pont St-Frères ! Un petit pont en bois fut donc construit, à usage des piétons et charrettes, large mais peu résistant (afin de ne pouvoir être un lieu de passage pour les chars de l’armée ennemie). Son accès, un peu en aval du pont détruit, s’effectuait depuis un espace qui est aujourd’hui un jardin privé. Il fut utilisé jusqu'en 1950 et fut démoli après la construction du pont en béton actuel.

Reconstructions des ponts

Peu après la libération du 2 septembre 1944, il n’y avait plus aucun pont permettant le passage de véhicules lourds, encore moins de chars. Le pont principal, qui reliait L’Etoile à Condé-Folie, fait cruellement défaut ! Parmi nos libérateurs, ceux en provenance de Condé Folie sont ainsi bloqués sur la rive sud, la foule des stelliens s'amasse sur la rive nord de l'ancien pont sans pouvoir toucher les soldats anglais (CP 242) !

La reconstruction s’impose. Mais les matériaux arrivent à la gare S.N.C.F. de Longpré où ils sont bloqués, faute de pouvoir traverser la Somme ! Par ailleurs l’usine des Moulins Bleus avait été sérieusement endommagée par les bombardements et nécessitait d’importants travaux et remplacements de machines détériorées. On voit donc les Etablissement Saint Frères participer à l’effort de reconstruction de la France ! En attendant un pont définitif, il est décidé de construire un pont provisoire en bois, un peu en aval de l’ancien pont du village. Saint-Frères met donc à disposition du personnel pour aider les charpentiers professionnels. C’est sur une péniche que prendront provisoirement appui les madriers dans l’attente de la jonction entre les rives nord et sud. C’est également sur cette péniche que la traversée des matériaux s’effectuera et que prendront appui les nombreuses échelles. Les 7 personnes reconnues sur la photo, éditée en carte postale (CP 243), sont tous des manouvriers (5) ou des manœuvres (2) de l’usine Saint Frères des Moulins Bleus (et les deux autres, non identifiées, venaient certainement des communes environnantes). C’était une équipe soudée, endurcie, accoutumée à réaliser des travaux pénibles. Ce pont provisoire durera toutefois jusqu'en 1949, année où fut inauguré le pont actuel, en béton.


A l'arrière : Tête nue : Charles PETRUZ ; Calot sur la tête : Robert RENOUARD ; Cache nez autour du cou : Georges DEMAREST ; Devant l’échelle : Charles DUPONT.
Devant : Casquette sur la tête : Albert AVISSE ; Casquette et pull col roulé : Henri DORION ; Chapeau : non identifié ; Béret, main gauche à la ceinture : Adrien AVISSE (Père d’Albert) ; Casquette main gauche sur la rambarde : non identifié.

Je me souviens, raconte Jacky Hérouart, avoir traversé a pied ce pont de bois entre L’Etoile et Condé Folie, à plusieurs reprises. J’avais quatre ou cinq ans et je n’étais absolument pas rassuré. Je tenais fermement la main de ma mère... les planches n’étaient pas parfaitement jointes et l’on apercevait la Somme quelques mètres plus bas... En outre le parapet (comme on peut le voir sur la photo) présentait d’énormes vides, trop importants pour mes yeux de gosse ! Je n’étais apaisé que lorsque j’étais arrivé à l’autre bout... Mais le soir il fallait le retraverser dans l’autre sens...

 

Les poteaux du pont provisoire.

En mars 2006, le cours de la Somme était particulièrement bas ; il fit réapparaître les piliers en bois de l'ancien pont, rive gauche (côté Condé Folie) [Photo J. Hérouart, 15 mars 2006].

 

C’est la même équipe de manouvriers que celle qui avait participé à la reconstruction du pont de L’Etoile qui aidera l’entreprise spécialisée affectée au remplacement du pont privé Saint Frères. Un drame se produisit. Suite à la rupture d’une des élingues tractant le nouveau pont de 28 mètres de long et d’un poids de 40 tonnes, Charles Dupont, un ouvrier de chez Saint Frères, se trouva sur la trajectoire de cette élingue qui termina sa course folle en heurtant violemment sa tempe. Charles décédera le lendemain, 26 mai 1945, âgé de 26 ans, en laissant une veuve éplorée et leur fille Charline, âgée d’un an seulement...

 

Remerciements à J. Hérouart (Photos et texte), ainsi qu'à Christiane Vasseur qui a reconnu son père Albert et son grand père Adrien, Huguette Dupont pour son frère Charles et Charline Chamu-Pecquet pour son oncle Charles Pétruz (photo des ouvriers sur le pont).

Dernière mise à jour de cette page, le 27 avril 2007.

 

 

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