L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL |
Les plans napoléoniens (1833), en particulier la feuille BC au 1/1250e nous permet de connaître les dimensions de l'ancien château avec une bonne précision (à moins de 1 mètre près). Rappelons que le nord est approximativement à droite sur ce plan.
Dimensions : Façade principale (façade est) : 27,5m ; Arrière (façade ouest) : 37,5m ; largeur : 6,80 m. ; Aile nord du château : Façade sud : 9,40m ; Arrière de l'aile (nord) : 15,60m ; largeur de l'aile (côté est) : 10m.
Pour les autres documents, on pourra regretter... de n'en pas disposer, ils manquent tous. Certains furent détruits récemment, par négligence et lors de l'incendie d'une dépendance.
Ci-dessus, la dernière photographie du château, tel qu'il se présentait en août 1950 (Cliché J. Hérouart). La démolition de l'ancienne demeure seigneuriale s'effectua quelques mois plus tard, en 1951. Colette Magnier, dernière héritière du château, et Marius Pecquet n'habitèrent pas le château, mais les dépendances. Mais André Magnier (1886-1962), père de Colette, y avait aussi demeuré, ainsi que Hélène Richard (1894-1974), tante de Colette. Celle-ci, bien vite veuve de René Magnier (1891-1930), était aussi la tante de Colette à un deuxième titre, en tant que sœur cadette d'Adrienne Richard (1891-1954), épouse d'André. Ils occupèrent plusieurs pièces du rez-de-chaussée, à l'extrême gauche sur la photo. Hélène déménagea ensuite pour une chambre, approximativement dans le milieu du château. Jacky Hérouart se souvient qu'étant enfant il était admiratif des magnifiques meubles.
Les deux plus anciennes cartes postales du château datent des années 1905/06, ce sont les CP 44 et 139.
CP 44 (postée en 1905) : C'est l'hiver, aucun carreau n'est cassé, des personnes (certainement déjà des locataires) sont présentes sur le pas de la porte de l'aile du château. On semble accéder à la porte principale de la façade après avoir monté quelques marches. Sous les trois fenêtres situées à gauche de cette porte on distingue des ouvertures, probablement les soupiraux des caves. A droite de la tourelle, entre l'aile et la rue, un mur comporte une porte fermée par une légère palissade (permettant probablement le passage avec la Rue d'Amiens, où l'on sait que se trouvait aussi une porte dans la muraille). Le mur délimite à l'est un petit local couvert d'une légère toiture qui, compte tenu de la pente du terrain, montre que le bas du premier étage du château n'est qu'à peine au-dessus du mur de la rue d'Amiens. On distingue à gauche du château un petit édifice, certainement le puits, avec un curieux toit pyramidal. Une large allée centrale comportant un lampadaire en bordure donne accès à la porte centrale de la façade. Une allée perpendiculaire à la précédente permet notamment de passer devant l'aile du château. Ces allées sont enfermées par un haut grillage (environ 1,20 m), solidement implanté, qui sert de délimitation pour les jardins tout en en interdisant leur accès.
CP 139 (postée en 1906) : Photo semblable à la précédente, mais plus rapprochée et prise l'été. La végétation ne permet pas beaucoup d'observations. Le long de la façade plusieurs personnes semblent assises sur des bancs, une enfant est devant la porte. A gauche, les grillages servent d'étendoir pour du linge, probablement celui des locataires. A gauche le sommet du petit édifice (puits ?) présente cette fois une forme plus arrondie.
Chronologiquement vient ensuite la carte photo de l'angle du château, avec le pignon portant l'année 1813 et la tourelle, de la collection Céline Magnier datant des environs de 1916 ( CP 348). Les photos de la série CinDoc, montrent trois aspect du château, la façade principale vue de face, l'aile et la tourelle vue de la Rue d'Amiens (ces deux photos, ci-dessous) et, en 1921, le (château dans le village).
Photo de gauche, par rapport aux photos précédentes, on retrouve la présence de locataires, et des allées grillagées où poussent en bordure quelques arbustes (des rosiers ?) L'arbre de gauche a été élagué d'une grosse branche. A droite on ne voit plus l'arbre que se trouvait derrière l'aile du château. Photo de droite, on retrouve en pierres blanches le petit mur entre la tourelle et la rue d'Amiens, et l'on voit bien la petite toiture du bâtiment de jonction. Deux fils (téléphoniques ?) longent la Rue d'Amiens.
On dispose aussi de cartes postales plus récentes, des années 1935/36, les CP 46 et 182 :
CP 182 (une autre, semblable fut postée en 1935) : Photo prise au printemps, avec un angle nouveau montrant plus nettement la façade et l'aile du château. Le jardin est bien entretenu. L'arbre de gauche est vigoureux. Un fil aérien se dirigeant vers l'angle du château semble alimenter le château en électricité.
CP 46 (postée en 1936, mais semblant antérieure à cette date) : Photo prise en été. Des enfants posent dans l'allée. L'arbre est vigoureux. On ne voit pas de fil d'alimentation électrique.
Plusieurs autres cartes postales, des vues d'ensemble du village, proposent des vues des deux façades arrières du château, les CP 47 (la meilleure), CP 48, CP 136, CP 156 et CP 202. Pour une rare vue du sud, malheureusement que des toitures et du pigeonnier, voir la CP 155.
Démoli en 1951, le dernier château de L'Etoile, le dernier car à n'en pas douter il fut précédé d'au moins une autre construction vraisemblablement totalement détruite lors de la Guerre de Cent ans, était bâti en pierre calcaire dans un style classique, mais coudé à angle droit en forme de L retourné. Il se présentait donc avec une façade principale orientée plein est, et une petite aile, longeant la Rue d'Amiens (actuelle Rue du 8 Mai), s’avançant davantage encore vers l’est.
Ce château d'agrément comportait un rez-de-chaussée largement éclairé sur sa façade principale par neuf très hautes fenêtres identiques. Toutefois le cinquième emplacement, en partant du sud, était en réalité celui de la porte principale, une porte fenêtre d'aspect tout à fait semblable. Une autre porte fenêtre se trouvait au premier emplacement. Les fenêtres, de forme rectangulaire mais dont la rigueur était adoucie par une légère arcature au sommet, comportaient en hauteur 7 rangées de 4 petits carreaux carrés (en fait cinq rangées seulement puisque les deux rangées les plus hautes faisaient partie du bâti. Elles renforçaient l'éclairement des salles intérieures tout en participant à l'esthétique aérée de la façade. La petite aile perpendiculaire ne présentait que deux fenêtres et un espace aveugle assez grand vers le pignon. La baie se trouvant au plus près de la façade principale était en réalité une troisième porte fenêtre, celle-ci donnant accès, du temps des locataires, à un escalier menant à l'étage.
Ce rez-de-chaussée était rehaussé d’un premier étage, apparaissant intégré en façade mais composé d'une toiture en ardoises à la Mansart [Jules Hardouin-Mansart (1646-1708), premier architecte du roi Louis XIV, s'était fait une spécialité des toits à double pente], laquelle était percée de fenêtres en chiens-assis alignées sur celles du dessous et elles-mêmes surmontées de lucarnes éclairant le grenier (sauf au sud où la pente du toit ne permettait pas de poser esthétiquement une lucarne au-dessus de la fenêtre). L’alignement de ces 3 niveaux de fenêtres et lucarnes donnait incontestablement beaucoup de légèreté et d’élégance à l’ensemble de la construction. On retrouvait la même composition sur l'aile (2 fenêtres et lucarnes). On remarquera que le style des fenêtres et même des lucarnes se retrouvent dans de belles constructions de Mansart, datant du dernier quart du XVIIe siècle (comme le château de Dampierre-en-Yvelines).
Le pignon de l'aile est ne comporte qu'une seule fenêtre, à gauche au rez-de-chaussée, de format habituel (mais semblant réduit par rapport aux autres). Le premier étage, entièrement aveugle, affiche en gros chiffres l'année 1813, datation évidente d'une restauration ou d'un aménagement du pignon, et aussi (principalement ?) de la tourelle dont deux frises s'alignent parfaitement avec celles du pignon.
La façade arrière, côté ouest, exposée aux intempéries, présentait un aspect beaucoup plus sobre que celle de la devanture, néanmoins elle était percée de deux rangées d'une dizaine de fenêtres rectangulaires bien alignées sur les deux niveaux. Le toit ne comportait que quatre fenêtres en chiens-assis, de taille moyenne, mais elles apportaient elles aussi lumière et rythme à l’arrière du château.
Le côté rue du petit côté du château était traité de la même manière (2 niveaux de 4 fenêtres, et 2 autres en chiens-assis dans la toiture). Il était flanqué à son extrémité est d’une tourelle ronde en encorbellement à deux étages, décorative, prenant appui sur le premier étage du château. Cette tourelle était surmontée d’une coupole joliment arrondie et d’un petit clocheton qui dominait l’ensemble de la construction. Le "hallebardier" trônant au sommet de cette tourelle avait fait toute la réputation du château !
Compte tenu de la dénivellation du terrain, la base de la construction est en pente, de hauteur plus importante sous les fenêtres de la façade principale. Là on distingue au moins trois soupiraux. De mémoire on signale qu’il y avait trois caves, l’une sous la cuisine et deux autres un peu plus loin, isolées. Mais le partage de 1898 n'en signale toutefois que deux, sous le château. Vers 1930/40, Philippe Vasseur, peintre vitrier, avait son entrepôt de vitres et autres matériels dans une cave située sous le château, avec entrée par l'arrière.
Christian Du Passage est l’auteur de Châteaux disparus de la Somme, publié en 1987 (dont L’Etoile, page 41). En complément de sa publication, il estime que d'après l'aspect de la construction du château de L'Etoile visible sur les cartes postales, ce château datait de la fin du XVIIe siècle. La forme en L retourné traduit la présence de contraintes qui n’avaient pas permis de réaliser cette construction sous une forme simple, rectangulaire, à un autre endroit. L’aspect diversifié entre les façades avant et arrière résulterait de même d’une contrainte, mais qui ne serait que financière : la recherche d’un coût moins élevé pour la façade exposée aux rigueurs climatiques. La tour n’avait évidemment aucune fonction guerrière mais devait témoigner tout simplement d’une nostalgie médiévale. En ce qui concerne la datation de l’ensemble, la présence d’une profondeur simple (et non de petites pièces cloisonnées) confirmerait la période de datation proposée. L'inventaire après décès d'Antoine V Leblond, en 1675, semble effectivement ne se rapporter qu'à de grandes salles. Mais puisqu'il était "à la Mansart", ce château était-il tout neuf au décès du dernier des Leblond ?
Incontestablement ce château existait en 1675, l'inventaire après décès du dernier des cinq seigneurs Leblond du village le prouve. Cette date est aussi la première où le terme de "chasteau" soit explicitement utilisé. Les actes précédents n'utilisaient jamais d'autres termes que "la maison seigneuriale" (1660), " maison amazée de corps de logis, granges, estables,..." (1625), "notre manoir de Lestoille " (1605), " lieu seigneurial , granges, estables, ..." (1592), et "manoir" dans tous les actes précédents (1379, 1274). Alors, la date de 1666 apposée sur un pilier [Note de l'abbé Pont, transcrite par J. Hérouart, p. 33] , même si ce n'est que sur le pilier principal de la ferme, est-elle celle de la vraie construction de ce château ? Naturellement on ne connaît pas l'architecte, et même aucun texte ne fait allusion à cette construction neuve, mais il en est de même pour les restaurations de 1784 et de 1813 dont nous ignorerions totalement les travaux si ces dates n'étaient gravées sur le pigeonnier et sur un mur pour témoigner de la plus ancienne de ces deux restaurations, en gros chiffres sur le pignon de l'aile du château pour la seconde ! La seconde date semble concerner des travaux importants sur l'aile abritant la grande cuisine du rez-de-chaussée, peut-être la suppression des écuries qui étaient attenantes aux cuisines, permettant la pose d'une fenêtre apportant davantage de lumière à ces cuisines en contrebas de la rue d'Amiens ! D'autres aménagements furent peut-être effectués à cette occasion puisque l'inventaire de 1675 signalait alors l'existence de deux tours ou tourelles, la tour d'une chambre et une tourelle (contenant du lard et des jambons). L'aménagement en appartements meublés a certainement apporté des modifications importantes, mais uniquement intérieures, aboutissant à un seul escalier (à l'angle des façades) au lieu de quatre, un couloir de façade à l'étage, et peut-être l'aménagement des combles. C'était certainement l'usage qui était alloué à l'emprunt de 16 000 francs fait par Céleste Démarest en 1883 (incluant certainement aussi les logements des dépendances) et à l'assurance souscrite en 1886 ?
Toutefois, la vraie question demeure : Le dernier château datait-il de 1666 ?
Pénétrons maintenant dans le château, en suivant l’inventaire après décès du dernier des seigneurs Leblond, en 1675. Même si ce cahier est en partie détruit et si sa lecture en est parfois délicate, ce précieux manuscrit nous apporte une foule de détails sur les objets qui se trouvaient dans chaque pièce du château, y compris dans les escaliers, tours et greniers. Sans rentrer dans le détail des 40 pages de cet inventaire nous apprenons que le seigneur semblait n’occuper que trois des pièces du rez-de-chaussée du château : la cuisine (aile nord), la salle et le cabinet (au fond de la salle), le fournil étant désaffecté. Dans la cuisine, se trouvaient des tournebroches à horloge, chaudrons en cuivre, pots et assiettes d'étain, ainsi que les fusils du chasseur défunt. La "salle" était certainement la pièce de vie principale, assez sobre toutefois. Garnie de carrés de tapisseries, elle comportait une table en chêne et des couverts en argent, en petit nombre, seulement une douzaine. On mentionnait aussi dans l’inventaire, un lit en chêne, avec un tour de lit d'étoffe garnie de soie, plusieurs rasoirs et quelques vêtements. A proximité, une vieille table et deux pistolets... Le cabinet était abondamment garni en vêtements et, en particulier, là se trouvaient les habits d'apparat du seigneur : justaucorps, culotte garnie d'aiguillettes de soie de diverses couleurs, vuate (?) garnie de dentelle d'or et d'argent doublée d'un taffetas couleur de soie, bas de soie de même couleur que l'habit, etc. Toutefois la plus grande partie de la garde-robe du seigneur était composée des habits d'usage courant : chemisettes de lin ou de chanvre, caleçons, manteaux, bas de toile à bottes, chaussons, cravates, coiffes de nuit, ainsi que de serviettes et de draps.
Pour les autres pièces, auxquelles on accédait par quatre escaliers, le château ressemblait à un immense garde-manger. En dehors d'une vraie chambre on trouvait les autres salles du premier étage et le grenier remplis de monceaux d'avoine, pois, paumelle, blé et fruits de diverses espèces (camomille ?). On y dénichait aussi des barriques et des futailles, dont plusieurs remplies de cidre. Et l'on signalait encore dans la tourelle des quartiers de lard et des jambons !
Dans les fournil, escaliers et tour s’accumulaient quantités d’objets, souvent anciens, coffres, armoires, tamis, lampe, sacs et bien d'autres objets dont la désignation nous échappe parfois ! L'ensemble de ces biens matériels était estimé à un peu plus de 1 350 livres.
Dans l'écurie (présumée détruite en 1813), attenante à la cuisine, avaient place le cheval noir du feu Sieur, et dix autres chevaux et juments, dont l'une aveugle, chacun ayant sa place attitrée pour tirer la grande et la petite charrue, sans compter les sept poulains. L'étable abritait onze vaches, génisses et veaux, et le taureau. On comptait encore, dans d'autres bâtiments et dans la cour, sept porcs, dont trois gras, 17 cochons, 43 moutons, et un nombre indéterminé de poules. On inventoriait enfin du foin, du gros bois, des fagots, etc., du matériel (charrue, etc.), et divers ustensiles (pressoir, etc.), cet ensemble animaux-matériel étant estimé à environ 1 000 livres. Quant au produit des terres environnantes (blé, lentilles, avoine, orge, frêne, etc.) il fut aussi évalué à plus de mille autres livres.
L’inventaire produit ensuite les lettres et titres, ainsi que les contrats d'acquisitions, lesquels concernaient très souvent des habitants du village ou d'autres villages du département actuel de la Somme, habitants cités en grand nombre.
Voir l'inventaire complet, ADS 3 E 29798.
Crédit photographique : Cindoc.
Dernière mise à jour de cette page, le 19 décembre 2007.