L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL

4 G 2227/1. Allongement du chœur (17 mars 1750)
(et nouvelles datations des murs)

 

L'allongement du chœur de l'église de L'Etoile en 1750 est en partie connu par un très intéressant document d'archive [ADS, 4 G 2227/1]. Cet allongement du chœur a généralement été recherché entre l'abside et la nef, mais comment pourrait-on déplacer une abside presque neuve (refaite entre 1720 et 1724) et décaler les murs de la nef pour placer ce nouveau chœur entre les deux ! Il semble plus probable que c'est évidemment la nef qui fut prolongée du côté ouest de l'église existante et qu'ensuite le chœur occupa plus de place, comme on le devine d'ailleurs sur un plan du carrelage où l'on relève l'emplacement de l'ancien maître-autel tout au fond de l'abside et le nouveau chœur, bien déterminé par son carrelage avec tapis, mais se trouvant physiquement dans la nef architecturale, du moins en grande partie. Cette interprétation me semble devoir remettre en cause les datations proposées par l'AFAN pour les divers tronçons de murs de l'église, mais ces seules 7 semaines de fouilles de sauvegarde furent bien trop courtes !

Analyse du document

Le procès verbal de la visite de l'église de L'Etoile, en date du 17 mars 1750, fait suite à une requête des curé, seigneur et habitants visant à obtenir l'autorisation d'allonger le chœur de leur église de 22 pieds ( 7,26 m en prenant un pied de 33 cm et 12 pouces par pied). Il nous permet de connaître les dimensions intérieures de l'église avant les travaux : 18,92 m de longueur ( 11,99 m de nef et 6,93 m de chœur), 8,76 m de largeur, 5,46 m de hauteur et 82 cm d'épaisseur des murs. La hauteur totale du pignon est confuse : 7,91 m au-dessus des murs (plus 8,52 m ?). La toiture est en ardoises, lambrissée dans les combles. L'intérieur de l'église est aussi décrit : armoires pour les linges et ornements, lutrin, bancs du curé et du seigneur, lesquels encombrent le chœur et même le sanctuaire (emplacement du maître-autel). La ferveur des paroissiens est telle que, si nombreux, ils doivent se tenir debout durant l'office du Salut ! L'avis très favorable donné à ces travaux, et même l'agrément d'une clôture du chœur par un cul de lampe, semblent trouver leur financement sur les seules ressources de la fabrique : 5 quartiers d'aire et de prés à tourber par adjudication. De plus il est estimé que ces terres seraient ensuite rendues propres au labour, ce qui serait d'un rapport bien supérieur aux 20 livres actuelles du fermage !

Il n’est pas douteux que les travaux furent effectués puisque d’une part un contrat de 2 300 livres fut signé le 3 mai de la même année à L'Etoile avec pour maître d’œuvre Jacques Quiet [Guiet ?], maçon à Fontaine-sur-Somme [2C 1195, f° 93 v°] et que d’autre part la longueur totale de l'édifice étant actuellement de 26,50 m, ce qui correspond parfaitement à un allongement observé de 7,58 m (non loin des 7,26 m calculés), conformément au projet. A observer un plan actuel, il semble bien que ce soit évidemment par l’allongement de la nef que les travaux s’effectuèrent (et non le recul de l’abside), mais bien au profit d’un chœur qui disposerait ainsi de plus d’espace, le texte ne mentionne d’ailleurs que le chœur !

Il semble que les fouilles de l’AFAN aient retrouvé la rupture du mur nord, au bout de la nef, correspondant à cet allongement. Par contre le mur sud semble avoir été repris à cette occasion sur une bonne longueur, donnant l’impression d’un allongement en diagonale ! Il y a peut-être une explication à ne pas avoir restauré aussi le mur nord, ce serait la présence d’un clocher derrière le mur, ainsi qu’on l’observe sur le dessin de 1714. Placé ainsi, il n’aurait pas été concerné par les travaux, ce qui expliquerait qu’il ne soit pas non plus mentionné dans le document. Le clocher en bout de nef n’aurait été construit que peu de temps après, mais de manière distincte.

Il se pourrait bien que l’exiguïté des lieux n’ait rien eut de récent et qu’elle ne correspondait pas alors à un accroissement soudain de la population. Les études montrent d’ailleurs qu’entre 1700 et 1750 non seulement la population ne s’était accrue globalement que d’une dizaine d’habitants, mais qu’entre 1740 et cette année 1750 elle était au contraire en déficit de 10 ou 11 personnes. Mais on sait que les seigneur et dame du lieu, Jean-Baptiste-Claude de Calonne de Cocquerel et Marie-Madeleine Langlois, avaient encore à cette époque de très bons contacts avec les paroissiens, étant très souvent parrain ou marraine d’enfants du village entre 1749 à 1757, sympathie qui déclina jusqu'à ce que la seigneurie soit saisie par mainmise royale pour impayés en 1763...

 

ADS, 4 G 2227/1

[Recto. Notes d'archivage, en marge: Procès verbal de visite du chœur de Létoille pour l'allonger de 22 pieds]

Nous Louis Antoine Duval, pretre bachelier de Sorbonne, curé de S t-George d'Abbeville, doyen de ch(r)é(tie)nté de la meme ville, et commissaire deputé par ordonnance de Monseigneur l'Évêque d'Amiens en datte du 28 janvier 1750, à la requette des sieurs curé [H. Fournier], seigneur et dame, marguilliers et habitans du village de L'Etoile-sur-Somme, doyenné d'Abbeville à l'effet de se transporter aud(it) village de L'Etoile pour constater l'état de l'église paroissialle dud(it) lieu et examiner s'il convient d'allonger le chœur de laditte église d'environ vingt-deux pieds [7,20 m], ainsy que le demandent les curé, seigneur et dame, marguilliers et habitans, à laquelle visite nous avons procédé ainsy qu'il ensuit :

le dix-sept(ièm)e jour du mois de mars de l'an mil sept cent cinquante [17/03/1750] après que notre visite a esté annoncée dimanche dernier au prosne de la messe paroissialle dud(it) lieu de l'Etoile par led(it) s(ieu)r curé, ainsy qu'il paroit par son certificat attaché à laditte requette, afin que les parties intéressées fussent presentes à laditte visite, nous, estant dans laditte église de l'Etoile, et après avoir convoqué à l'heure indiquée l'Assemblée desdits s(ieu)rs curé, seigneur, marguilliers, corps et communauté des habitans au son de la cloche en la maniere accoutumée, lesquels nous avroient requis de ramplir notre commission, avons commencé par leurs faire la lecture de laditte requette et de l'ord(onnan)ce estant au bas, ensemble de l'acte d'Assemblée desdits s(ieu)rs curé, seigneur et dame, marguilliers et habitans, du dix huit(ièm)e jour de janvier 1750, et la requette présentée par eux à messieurs les gros décimateurs, estant au bas, sous certaines conditions.

 

Ensuitte de quoy, après avoir fait toiser en notre présence la nef et le chœur pour constater l'état actuel de laditte église, nous avons trouvé que la nef porte de dedans en dedans trente six pieds de longueur quatre pouces [10,90 m] sur vingt six pieds de largeur neuf pouces [8,76 m].

Nous avons trouvé pareillement que les deux cottés de maçonnerie du chœur actuel, à la charge de MM. les gros décimateurs, portent chacun deux pieds et demy d'épaisseur [0,82 m], seize pieds huit huit [sic] pouces de hauteur [5,46 m] et vingt un pieds de longueur [6,88 m], meme largeur que la nef ; que le pignon porte de dehors en dehors trente et un pieds neuf pouces [10,40 m], que la houpe du pignon porte de haut vingt six pieds [8,52 m] sur trente et un pieds neuf pouce [10,40 m], qui, pris par moitié et reduits à la meme hauteur que les murailles de seize pieds huit pouces [5,46 m] fait vingt quatre pieds deux pouces [7,91 m], et ce, non compris les pilliers en dehors qui sont de maçonnerie.

[Verso] Sur toute cette maçonnerie est posé un comble proportionné dans ses largeurs et hauteurs convenables, led(it) comble couvert d'ardoises et lambrissé en dedans. De plus nous avons trouvé que le chœur est veritablement tres petit et si embarassé des armoires qui renferment les linges et ornements, d'un luttrin, du ban du curé, et du ban du seigneur qui entame d'un pouce ou deux le sanctuaire, qu'il ne reste plus assez de vuide? pour faire les ceremonies avec la decence convenable. Nous avons egallement remarqué dans un Salut que nous avons fait la veille de notre visite que le village est si peuplé et l'église si petite, que la pluspart des hommes et des femmes sont obligés de se tenir debout durant l'office, ce qui rend l'agrandissement absolument necessaire, supposé qu'il y ait des fonds suffisans pour en faire la depence.

 

Ensuite de la visite de l'église, nous nous sommes transportés avec lesdits s(ieu)rs curé, seigneur et quelqu'uns des habitants dans une portion de terre à usage d'air et de deux autres petites pièces à usage de prés, le tout contenant environ cinq quartiers [125 verges (1)]. Nous avons jugé qu'il n'y a nul inconvenient de tourber lesdittes terres, qui sont voisines d'autres pièces deja tourbées depuis trois ou quatre ans et qui seront remplies entierement avant deux années ecoulées, que la fabrique ne peut souffrir une grande perte durant cet intervalle puisque lesdits cinq quartiers ne sont affermés qu'une vingtaine de livres, au lieu qu'elle retirera bien de l'avantage quand toutes lesdittes terres seront rendues propres au labour et à usage d'aire.

Ainsy nous estimons qu'il est non seulement utile mais meme necessaire d'allonger le chœur de l'église de vingt deux pieds, et de le clore par un cul de lampe, comme le desirent lesdits s(ieu)rs curé, seigneur et habitants, pourvu qu'au prealable il soit fait un devis estimatif du coust de cet agrandissement et qu'on fasse en outre sonder et afficher lesdittes terres pour sçavoir combien il s'y trouvera de pointes de tourbes dans chacune d'icelles, et quelle somme on en poura tirer dans l'adjudication qui en sera faite, afin de juger si cette somme sera suffisante pour une telle entreprise, sans exposer la fabrique à absorber generalement tous ses fonds et la mettre hors d'etat de subvenir dans la suitte à ses charges ordinaires, ou sans estre obligé de recourir sur les proprietaires des immeubles de laditte paroisse [les gros décimateurs ?], qui ne manqueroient pas de se recrier et peut estre de se pourvoir contre l'ouvrage commencé. Et n'avons plus avant procédés aud(it) verbal que nous certifions veritable et l'avons signé. Fait aud(it) village de L'Etoile, le jour et an que dessus. [signé] Duval.

(1) Plusieurs parcelles peuvent convenir, dans les Creuillères et les Argones.

 

Peut-on comprendre parfaitement le document ? Plusieurs termes techniques sont confus à notre époque, ainsi que le sens de certaines phrases. L’avis de plusieurs spécialistes serait souhaitable ! Ainsi, était-il fréquent que les décimateurs ne doivent l’entretien que des murs du chœur ? A quoi correspondent les deux nombres relatifs au pignon et à sa houpe ? A quoi pouvait ressembler le cul de lampe souhaité ? Doit-on comprendre que les « propriétaires » risquant de se récrier étaient les dits décimateurs et que l’un des principaux objectifs de ce document était de présenter les travaux de telle manière que les principaux décimateurs laissent faire sans payer ?

 

Nouvelles datations des tronçons des murs proposées par G. Lancel

 

Si l'interprétation exprimée en haut de page est correcte, alors il faut repousser l'allongement de 22 pieds du chœur au fond de la nef..., et alors revoir les datations des diverses parties des murs proposées dans l'urgence par l'AFAN dans le dossier de l'an 2000. L'église ne date pas pour sa partie la plus ancienne de 1720 !

La partie noire (rectifiée sur ce plan) date de 1720/1724, pas de changement. Il me semble par contre que l'on doive donner pour la partie gris foncé une datation antérieure à 1720, ou même bien avant (et non l'année 1750), et l'année 1750 pour la partie gris clair (et non le XIXe siècle). Le clocher en bout de nef, dont l'existence induirait des contradictions avec les dimensions de 1750, serait donc de construction légèrement postérieur à 1750 (et pourrait avoir ensuite remplacé un primitif clocher situé derrière la partie centrale du mur nord de la nef, comme en 1714). Les fondations, en particulier celles situées à l'est des murs de la nef (et la partie rectiligne fermant la nef, découverte par l'AFAN entre la nef et le chœur) pourraient être bien plus anciennes (XIIe siècle ?) Naturellement les nombreuses restaurations des murs et des piliers faussent l'apparence, avec de nombreuses interventions au XIXe siècle.

En tous cas, sur le plan ci-dessus, on devine que le bénéficiaire de l'allongement fut bien en définitive le chœur plutôt que la nef. De plus, une marche abaissant la nef au niveau des parties gris foncé et gris clair (non apparente sur la plan) et marquant la limite entre deux groupe de bancs devait permettre aux curé, seigneur et notables d'être plus à l'aise... même si pour les simples paroissiens ce n'était pas assuré  !

La petite porte sud-est, que les stelliens les plus âgés ont toujours connue fermée, était même solidement barricadée. Donnant directement sur le chœur, elle aurait pu être condamnée à la suite de l'agrandissement de ce chœur, ou au contraire réservée au passage des quelques notables qui siégeaient dans les petits bancs.

 

Remerciements à J.-L. Bernard pour le plan du dernier sol de l'église que j'ai utilisé comme fond de plan pour y porter les dimensions (également corrigé au niveau de la rupture des tons gris abside/nef du mur nord, conformément à tous les autres plans du dossier).

Dernière mise à jour de cette page, le 10 décembre 2007.

 

<< Retour : Accueil Eglise