L'ETOILE ET SON HISTOIRE par Ghislain LANCEL

Leblond (1516 - 1675) Généralités, sources et généalogie

 

Généralités et sources documentaires

La famille Leblond de L'Etoile, pour le mieux de toute petite noblesse, est peu connue, elle est rarement citée dans les nobiliaires. Les publications sur L'Etoile se contentent souvent de citer un "Antoine" Leblond dont le blason était visible sur une pierre gravée, derrière l'autel de l'église. Les Leblond de L'Etoile, furent pourtant seigneurs de ce lieu durant plus d'un siècle et demi, de 1516 à 1675. Tous prénommés Antoine, ces Sieurs de L'Etoile, le furent de père en fils, durant cinq générations.

Ce prénom unique n'est pas sans occasionner parfois une certaine confusion, d'autant que le patronyme n'a rien non plus d'original et que vivait aussi au XVIIsiècle un autre Antoine Leblond, baron de Sauchay, en Normandie, le seul d'ailleurs qui soit cité par Chenaye-Desbois [Voir aussi B 95, f° 14 (famille de Normandie, vers 1675) ; B 637 et B 638 (Antoine Leblond et Marie de Maineville, vers 1576) etc.] Le fichier Guerlin ajoute encore pour Amiens, bien d'autres Antoine, dont, paroisse St Jacques, un Antoine Leblond et deux de ses fils de ce même prénom nés en 1624 et 1625 !

Pour les Leblond de L’Etoile on trouve une généalogie succincte, mais source unique de certaines données, dans un cartulaire manuscrit attribué à Rousseville et datant de la fin du XVIIsiècle [BMA, Ms 2132, f° 54 v°]. L’abbé Buteux fait part lui aussi de révélations inédites dans un manuscrit qu’il rédigea au début du XVIIIsiècle [SAP, CB 179, p. 165-166]. On peut également consulter un arbre, sobre mais assez bien informé, réalisé par Froissart [ADP, 58 J 146]. Signalons enfin une généalogie spécifique des Leblond de L'Etoile (et autres lieux), manuscrit [BM d'Abbeville, M 344, principalement p. 33 à 48.] réalisé par l'abbé J. Hoin vers 1875, à l'intention des descendants de la branche Leblond du Plouy. L’abbé, qui cite un titre de 1429, pense démontrer que cette branche de L'Etoile n'est pas, contrairement à ce que pensait le savant bénédictin Dom Grenier, sortie des Le Blond d'Abbeville mais viendrait des sires de la Porte-Montreuil. Il semble même certain, mais avoue n'avoir aucune preuve, que tous les Le Blond (d'Acquest, de Plouy, etc.) descendent de cette branche de L'Etoile ! En résumé il faut admettre que l'on peut seulement dire que cette famille n'a aucun lien connu avec les autres familles homonymes...

Noblesse et armoiries

Blason. "Armes d'argent à trois tours ou portes de gueules à deux manteaux ouverts, posées 2 et 1, crénelées de sable et herselées en sautoir, aussi de sable. Les Leblond devenus seigneurs de L'Étoile ajoutèrent : à l'endroit de l'intervalle des deux premières tours une étoile d'or. Ces Blond avaient pour cri : la porte ou estoigneront !" [Abbé J. Hoin, BM d'Abbeville, M 344, p. 33].

Un sac contenait encore en 1675, lors de l'inventaire du dernier des Antoine Leblond, des titres et contrats de mariage qui justifiaient la noblesse de cette famille [E 29798, f° 18 v°]. Une pierre tombale portant dans l'angle l'écu des Leblond fut retrouvée dans les fouilles de Moreaucourt [Cahon G., Moreaucourt V, p. 6 (et planche page suivante) et t. 8, p."6)" – et voir au chapitre des blasons les commentaires]. C’est peut-être ce Leblond, chantre de Moreaucourt décédé au XV e siècle, qui suscita bien après sa mort l’intérêt que sa famille porta au village de L'Etoile.

Voir les blasons Leblond.

Généalogie(s)

La généalogie, d'après Hoin, commence par :

I - ... LE BLOND, demeurant à Beauvoir (près de Bonnières-en-Artois);

II - ... LE BLOND, demeurant au même lieu, époux de Coline de Faine;

III - Jean LE BLOND (noblesse reconnue par sentence du 9 juin 1431);

IV - Pierre LE BLOND, décédé vers 1493 à Estrée (Pas-de-Calais, près de Montreuil), demeurant à Doullens, époux de Jehanne de Gombermez, dont [Antoine et Robert sont cités par Hoin, et les autres enfants le sont par Froissart (AD du Pas-de-Calais, 58 J 146)] :

1) Anthoine I, seigneur de L'Etoile, qui suit ;

2) Marie ;

3) Jeanne, épouse Jean Tonnelier, d'Herdin ;

4) Jeanne, épouse Jean Cornet, demeurant Honval-en-Artois ;

5) Robert, seigneur de Wamin (Pas-de-Calais, près de Hesdin), demeurant à Lully en 1542, époux Jeanne de Cocquerel [FF 76, f°16, 99 v°] (veuve de Claude de Forceville, seigneur d'Applaincourt), dont :

a) Jean (seigneur de Wamin, sans postérité, dont hérite en 1599 son neveu Louis de Fransures puis des deux en 1600 Philippe de Miraulmont, secrétaire ordinaire de la chambre du Roi, cousin germain de ceux-ci (voir Marguerite ci-dessous ?) [1B15, f° 29 v° puis 42 v°]);

b) Claude (époux Marguerite de Saint-Blimont, dont Louis, etc.) ;

c) Jeanne, épouse de Jean de Franssures, dit de Villers, écuyer, seigneur de Fossemanant [FF 90, f° 52 v° et f° 53 (en 1552)]) – On la trouve dite Marie ;

d) Jeanne (religieuse à Grandvilliers) ;

6) Marguerite, épouse de Jean de Brulle, puis de Nicolas de Miraulmont.

L’ŒUVRE DES LEBLOND A L'ETOILE

Antoine I Leblond était en 1502 avocat et conseiller du Roi au bailliage d'Amiens, seigneur en partie d’un modeste domaine (Homugurel ?, non identifié). Maître Antoine et Robert le Blond, son frère sieur de Wamin (Pas-de-Calais), étaient, dit-on, nobles venus de noble sang.

La seigneurie de L'Etoile avait appartenu à Antoine de Mailly, chevalier de l'ordre du roi, fils aîné de Jean III et d'Isabeau II d'Ailly, seigneur et baron de Boullencourt, descendant d’une prestigieuse lignée bien connue en Picardie. Mais peu avant 1516 celui-ci avait revendu la seigneurie à son frère Adrien, seigneur de Ravensbergues et de Bours. On sait que les frais de guerre (Antoine possédait une nef de 70 tonneaux montée par 70 hommes) et de nombreux procès avaient amoindri la fortune des frères. Ils durent se séparer des fiefs et seigneuries de Frettemeule et Drancourt (16/12/1514), puis encore celle de L'Etoile, en 1516 [Ledru, p. 177/8, avec preuves].
Une source mentionne qu’Antoine Leblond aurait (d’abord !) acheté le fief des Marais de L'Etoile, le 22 Juillet 1516, à Charles de Picquigny, fils de Jean [CP_PM_1, p. 4]. Si cet achat était confirmé, et les taxes qu’il perçoit ensuite sont un sérieux justificatif, le même seigneur disposait alors pour la première fois d’une entité géographique.

En tous cas, c’est donc le 23 juillet 1516 que la seigneurie de L'Etoile fut acquise par Antoine I Leblond. La vente était aussi constituée des quints des villes d'Ailly(-le-Haut-Clocher), Villers(-sous-Ailly) et Longuet, l'ensemble au prix proposé de 8 000 livres tournois (soit 20 fois un revenu annuel estimé à 400 livres) mais provisoirement accepté pour seulement 7 000 livres. L’avocat savait défendre ses intérêts, une expertise fut proposée et il semble que la valeur de l’ensemble fut estimée à un revenu de 300 livres par an au lieu des 400 livres de la base initiale. Curieusement l’acte de vente ne fait aucune allusion à un château seigneurial ni aux arrières fiefs et droits baniers sur des moulins alors qu’il y est fait explicitement mention du bois du pont de L'Etoile, qui a été desmoly durant les guerres dernières faictes par les anglais ou Pays de Picardie. La saisine sera accordée quelques jours plus tard, le 1er août, par l'abbaye de Saint-Ricquier dont relevait la seigneurie [Archives privées, Mailly]. Ces observations nous donnent à penser que les Mailly, empêtrés dans leurs déroutes guerrières et leurs soucis financiers, avaient complètement délaissé cette modeste seigneurie. L’on a aussi le sentiment qu’un demi-siècle après la fin de la guerre de Cent-Ans, L'Etoile était dans un triste état de délabrement : le château ou manoir seigneurial cité dans les actes de 1274 et de 1379 semble ne plus exister, probablement détruit lors de la guerre de Cent-Ans, et le pont de L'Etoile, dont l’existence était attestée depuis au moins le début du XIIIe siècle, n’était toujours pas reconstruit, restant à l’état d’un tas de bois ! Si l’on ne sait rien sur les habitations du village, ni sur l'église, ni sur les moulins, l’on peut supposer que des bâtiments de surface furent aussi la proie d’exactions guerrières et peut-être que les souterrains de L'Etoile furent un refuge dès cette époque.

Par contre la présence des Leblond semble correspondre à un renouveau pour le village. Les preuves documentaires manquent, on ne sait donc pas précisément si l’on doit les améliorations à Antoine I, ou II, ou III, mais l’on peut faire plusieurs observations qui vont dans le sens très net d’une reprise en main. D’abord les Leblond étaient riches et ils donnèrent une valeur considérable à leur seigneurie par l’exploitation de la tourbe. C’est du moins ce qu’affirmait l’abbé Buteux vers 1730, disant qu’ils ont trouvé la manière de faire tourber les prés et qu’ainsi la valeur de la seigneurie, augmentée de Condé-Folie-Bas, était passée d’environ 7 000 livres à l’achat à 100 000 livres à présent. Le chiffre de départ étant véridique on semble devoir porter crédit aux dires de l’abbé. Cette petite fortune devait permettre de s’autoriser quelques largesses et d’abord de s’assurer le confort...

C’était chose faite en 1592, et certainement depuis bien avant. Le contrat de mariage d'Antoine III Leblond permet de comprendre qu’une demeure seigneuriale était effectivement reconstruite, et que même une ferme y était attenante « lieu seigneurial, granges, estables, coulombier, ... ». Un contrat de transaction de 1625 était encore plus explicite " terres, seigneuries et chastellenie dudict Lestoille, Condé et Follies, se consistant en une maison amazée de corps de logis, granges, estables, coulombier, pourprins, avecq une pasture, le tout en continence de quarante journeulx...".
La reconstruction du pont est une réalité, sa présence est attestée entre 1685 et 1635 (mais la présence des guerriers espagnols pourrait avoir à nouveau justifié sa disparition peu après le début de l’année 1635). De même, à la fin du XVIIe s., au moins un moulin est de nouveau en activité à L'Etoile, puisqu’un moulin jouxtant le pont fait l’objet d’un procès.

Concernant la mise en dépendance de Condé-Folie Bas, partie basse du village faisant face à L'Etoile sur la rive gauche de la Somme, on ne dispose que de très peu d’informations. Elle pourrait être une contrepartie à la reconstruction du pont. D’autre part, par le pièces de nombreux procès, l’on sait que les Lebond essayèrent de replacer le prieuré de Moreaucourt (situé entre L'Etoile et Flixecourt) sous la dépendance de la justice de L'Etoile, mais cette fois sans succès.

Les Lebond étaient évidemment très attachés à l'église, trop même si l’on en croit l’aventure survenue à une religieuse du prieuré voisin de Moreaucourt « Charles Leblond, prêtre, fut décapité à Paris, à la Croix du Terroire, par arrêt de l'Hôtel, le samedi 23 août 1631, ayant été pris par le prévost des maréchaux d'Orléans, à cause de rapt, inceste, sacrilège et incendie, ayant enlevé une religieuse de Moreaucourt et l'ai fait engrosser et pour ce faire, mit le feu à un bûché ou autre bâtiment du couvent... » [Mss de Lecouvreur (SAP ?), d’après G. Cahon, Etat VIII]. Mais un sort malheureux s’était jeté sur Moreaucourt. En l’année 1634 on ne comptait pas moins de neufs prêtres confesseurs qui avaient trouvés la mort au couvent de façon mystérieuse en quatre ans, et il fallu une mémorable séance d’exorcisme (Vade Retro Satana ; découverte de deux épouvantables crapauds sous la grille du chœur, etc.) pour que disparaissent ces agissements [De Court Jean Joseph, Mémoires chronologiques..., vol. 2 (BMA, Ms 803, p. 418-420 et surtout l’original : BN, Pic 2)]. Mais ce suppôt de Satan, fils aîné d’Antoine III, était une exception. La famille compta au moins un autre prêtre et une religieuse, et les testaments des seigneurs de L'Etoile fournissent les preuves de leur foi sincère et de leur grande piété. La petite chapelle dite de l’Ecce-homo, qui ne fut démolie que vers 1930 pour permettre une meilleur circulation des voitures autour de cette place, détenait une statue de l’Ecce-homo qui, par sa forme très ancienne daterait du XVIe siècle. On peut évidemment penser à une offrande faite par les seigneurs de L'Etoile pour honorer Jésus en ce lieu qui était alors l’entrée du village, côté Est.

On ne peut en tous cas pas nier que les armes des Leblond de L'Etoile se voyaient dans l'église de l'Etoile au bas du groupe en pierre dit de Saint Sauveur, imposante statue placée dans l’arche centrale de l’abside. Incontestablement il ne pouvait s’agir de d’une offrande des seigneurs du village. L’on sait aussi, par la connaissance des volontés testamentaires, qu’Antoine IV et Madeleine De Heu son épouse furent inhumés dans l'église (tous les deux en 1660 ou environ), l’épouse ayant désiré être inhumée hors du chœur, vis à vis le crucifix. Quant à Antoine V (célibataire décédé en 1675, âgé d’environ 45 ans) il désira que son corps soit mis dans un carrosse et transporté depuis Amiens jusqu’à l'église de L'Etoile pour y être inhumé aux côtés de ses père et mère et de ses aïeux. C’est dire qu’au moins Antoine III (décédé en 1624) repose aussi dans l'église. Pour clore la liste des seigneurs qui reposent sous les pavés de l'église signalons enfin Charles de Briet (beau-frère d’Antoine V), inhumé dans le chœur de l'église le 7 juillet 1694, et Mie Madeleine Dincourt, la pieuse veuve de Pierre Langlois de Septenville, inhumée le 27 juillet 1762, âgée de 78 ans.

Pour information, signalons à propos de l'église que le vocable actuel, St Jacques-le-Majeur, n’apparaît que tardivement dans les pièces d’archives. Le vocable de St Jacques n’est attesté que depuis le 15 décembre 1599, dans un registre paroissial certifié conforme par le curé. On trouve ensuite St—Jaque-le-Grand en 1608 (même registre) tandis que le vocable actuel complet St Jacques-le-Majeur n’est relevé (parmi les documents consultés) que par sa mention dans un état des paroisses daté de 1689 environ [BMA, Ms 514]. Mais l’absence de vocable ancien reconnu semble un indice trop fragile pour justifier d’une construction récente (de même qu’une sœur d’Antoine IV Leblond, décédée aussi paroisse St Jacques en 1641, mais à Amiens, ne saurait être qu’une curiosité…)

S’il s’avérait que l'église actuelle n’était pas antérieure au XVIe siècle il serait alors certain qu’elle fut construite durant la présence des seigneurs Leblond à L'Etoile et tous les faits relevés ci-dessus, la grande dévotion montrée par cette famille, l’attachement à ce village et la restructuration effectuée après les affres de la guerre de Cent-Ans, seraient évidemment en parfait cohérence avec cette construction d’église sur une butte dominante du village. La participation financière de la famille serait au moins attachée au groupe du Saint-Sauveur qui portait les armes Leblond. L’inhumation de ses membres ne pouvait se concevoir que dans l'église.

Remarquons qu’alors l’église aurait pris place en un lieu élevé avec une évidente symbolique mais que surtout qu’alors – comme aujourd’hui – il n’aurait été possible de la construire que là où il restait de la place par rapport aux habitations déjà existantes du village, donc hors du village et du côté Camp-César (les marais n’offrant aucune autre possibilité). Ce serait alors détruire une partie de cette légende qui veut que l'église ait pris la place d’un ancien fanal (une Etoile artificielle) qui aurait guidé de nuit les embarcations sur la Somme et serait aussi à l’origine du nom du village (mais l’observation du plan de Fontenu montrait déjà que la tour et l'église se trouvaient très nettement différenciées dans leurs emplacement). Sans trace d’une construction primitive sous l’actuelle église il resterait alors à expliquer pourquoi sur une plaque de porte d’entrée de l'église était gravée la date de 1130 ? Il faudrait alors chercher ailleurs l’emplacement d’une chapelle primitive…

Laissons le soin aux archéologues d’élucider l’incertitude actuelle concernant la date de la construction de l'église de L'Etoile et si possible d’en préciser le contexte.

 

Publication Ghislain Lancel, d'après des recherches effectuées avant 2008 (avant l'accès aux puissants moyens informatiques actuels...)

Première publication, le 21 juillet 2014. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 

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